Le président Zelensky a habilement créé l’intrigue autour de son « plan de la victoire », qui devait être présenté au président américain sortant Joe Biden et aux deux candidats à ce poste, Kamala Harris et Donald Trump, au cours de la dernière semaine de septembre. Il semble toutefois que ce document n’influencera pas les décisions des partenaires occidentaux, du moins pas avant l’élection américaine.
La réaction officieuse de certains de ceux qui ont eu l’occasion de lire ce plan lors de la session l’Assemblée générale de l’ONU est plutôt sceptique : un plan sans échéance, ou une « liste de souhaits » qui ne contient pas de véritables surprises et qui, s’il est mis en œuvre, ne changera pas radicalement la situation. Alors pourquoi le président ukrainien propose-t-il une autre « formule pour la paix »?
Il semble qu’il s’agisse d’une tentative désespérée de faire passer un message sur fond d’appels de plus en plus audibles à une paix injuste de facto, dont le rejet a déterminé le cours de cette guerre depuis 2022. « La guerre peut être gagnée », disent les Ukrainiens. « À quoi ressemble la victoire sur une puissance nucléaire ? », demande l’Occident.
Les Républicains états-uniens n’ont pas tort lorsqu’ils affirment que l’administration Biden ne voit aucune possibilité de victoire pour l’Ukraine. Toutefois, la vision de la fin de la guerre qu’ont certains Républicains eux-mêmes, dont J.D. Vance, potentiel vice-président des États-Unis, relève de la même pensée magique que celle dont il accuse les démocrates.
Moscou a déjà perdu des guerres, dont deux avec un statut nucléaire : la guerre en Afghanistan et la première guerre de Tchétchénie. Les événements qui ont suivi la première n’ont pas confirmé les craintes des analystes occidentales sur le risque d’une prolifération nucléaire incontrôlée avec un leadership affaibli du Kremlin : l’URSS s’est effondrée pacifiquement peu de temps après le retrait soviétique du pays. Quant à la Tchétchénie, son sort montre ce qui arrivera à un pays qui ne reçoit pas une aide internationale suffisante dans sa confrontation avec l’impérialisme russe.
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Il ne s’agit donc pas de renverser le régime russe par des moyens militaires, comme ce fut le cas avec l’Allemagne hitlérienne, mais d’éviter une paix aux conditions de l’agresseur. Il s’est avéré que, même au XXIe siècle, les concessions proposées au pays longtemps perçu comme victime semblent être une voie plus réaliste vers la paix qu’une assistance à sa défense par tous les moyens disponibles.
Le plan de la victoire contre la formule de paix du président Zelensky
Les deux documents ont le même objectif : transmettre la vision ukrainienne de la survie d’une Ukraine indépendante face à un dialogue politique complexe sur la scène internationale, marqué par des doutes sur la capacité des Ukrainiens à gagner et par l’intérêt de maintenir la coopération avec la Russie pour des raisons économiques, politiques et personnelles. Comme l ‘a expliqué l’historien américain Thimothy Snyder, l’Occident a longtemps considéré la Russie comme une « vraie puissance », mais les États aujourd’hui indépendants qu’elle avait colonisés, sont perçus différemment.
Toutes ces couches d’intérêts, de préjugés, de récits, de réalités politiques et économiques multiplient les plans de paix et continuent d’empêcher les Ukrainiens de transmettre la vérité évidente selon laquelle la Russie comprend la dissuasion principalement par la force. Le dosage des armes, la crainte d’une escalade, les concessions, en particulier dans le domaine de la sécurité, ne feront qu’aiguiser l’appétit du Kremlin.
Cette vérité, évidente dans l’immensité de l’ancienne sphère d’influence soviétique, nécessite de plus en plus d’arguments nouveaux au fur et à mesure que nous nous déplaçons vers l’ouest et le sud. Il est étrange de devoir encore exercer ses talents d’orateur alors que tout est devenu évident après la libération de Boutcha.
Outre le plan de paix Brésil-Chine, les efforts des présidents Orban et Erdogan, les propositions de l’Indonésie, du Vatican et de l’Afrique du Sud, le chancelier Olaf Scholz, malgré le soutien déclinant du parti social-démocrate allemand, tente également de se positionner en tant que « chancelier de la paix » en travaillant sur une proposition rappelant les accords de Minsk de 2014-2015. N’oublions pas les opinions très polarisées de la communauté des experts et de l’élite politique aux États-Unis. Précisons donc le contexte international.
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La formule de paix est née de la nécessité de contrer la demande insistante de faciliter les négociations et de parvenir à des compromis qui signifieraient pour l’Ukraine la perte de personnes, de territoires et de possibilités d’adhérer à l’OTAN, tandis que pour la Russie, il ne s’agirait que de ne pas atteindre ses objectifs. Les accusations des dirigeants ukrainiens de ne pas vouloir résoudre le conflit par des moyens diplomatiques ont contribué à la création de la formule du sommet de la paix.
Cette manœuvre a permis, d’une part, de démontrer l’ouverture de l’Ukraine à discuter de la fin de la guerre et de la volonté de l’Ukraine de parvenir à une paix durable, plutôt qu’à un gel du conflit ou à une trêve de courte durée aux conditions de l’agresseur, et a évité d’imposer des négociations avec l’agresseur dans une position désavantageuse. D’autre part, elle a souligné l’importance de l’Ukraine pour le monde et le rétablissement de la justice par l’implication de la communauté internationale dans une action réelle autour d’un « menu » d’éléments individuels dans l’intérêt de tous.
On sait déjà que la Russie ne participera pas au deuxième sommet de la paix, ce qui n’est pas surprenant. Dès le début, Moscou n’a pas voulu négocier, mais imposer ses propres conditions. Ainsi, la Fédération de Russie elle-même a donné aux avocats de l’Ukraine un argument supplémentaire : aucune formule de paix ne peut vaincre le désir irrésistible des dirigeants russes de rechercher le « respect » par la terreur, ainsi que de faire mourir une partie du peuple russe dans les champs ukrainiens pour quelques milliers de dollars.
Par conséquent, la réalisation des objectifs ambitieux de la formule de paix dépend principalement de l’assistance militaire et économique des partenaires pour contraindre la Russie à la paix. Cette approche se reflète dans le plan de la victoire, une liste de besoins urgents pour maintenir l’Ukraine sur la carte politique et au moins rétablir la justice. En fait, il s’agit d’une reformulation des appels répétés à maintes reprises sous différentes formulations afin de ne pas pousser l’Ukraine sous le train de l’imprévoyance politique.
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Plus généralement, il y va de la sécurité à long terme et de la position géopolitique de l’Ukraine, qui inclut son adhésion rapide à l’OTAN et de l’aide militaire occidentale à des conditions plus souples. Par exemple, la demande d’utilisation des missiles à longue portée contre des cibles sur le territoire russe et de fermeture de l’espace aérien ukrainien, fait partie de ce plan. Il appelle également à des sanctions plus sévères à l’encontre de la Russie et à des investissements en Ukraine, notamment dans le secteur de la défense.
Le voyage de Zelensky avec son nouveau document est un pari sur plusieurs numéros simultanés dans le dernier tour de roulette de la course à la présidentielle américaine. Tout d’abord, le plan sera présenté comme une opportunité pour Joe Biden, dont la carrière politique s’achèvera avec son mandat présidentiel en raison de son âge, de laisser un héritage politique significatif, voire de déterminer le cours de l’histoire. Mais jusqu’aux résultats de l’élection début novembre, ce ne sont que des paroles en l’air, car l’administration actuelle ne fera rien qui puisse, même théoriquement, nuire à Kamala Harris.
Deuxièmement, il s’agit d’un travail proactif, car l’Ukraine devra travailler avec la Maison Blanche, quel que soit le futur locataire du bureau ovale. Bien que Kamala Harris devance légèrement Donald Trump, il est sans doute risqué de parier sur le vainqueur aujourd’hui. Compte tenu des déclarations ambiguës répétées de l’ex-président, notamment sur la fin de la guerre à des conditions inconnues avant son entrée en fonction, il est important de ne pas tirer à la courte paille dès maintenant.
Le président Zelensky a déclaré au New Yorker que le plan de la victoire était principalement conçu pour soutenir Joe Biden, qu’il devait être adopté de toute urgence, et que l’Ukraine avait besoin de renforts dès octobre, novembre et décembre de cette année. Auparavant, il avait dit que c’est cet automne qui décidera de la suite de la guerre, soulignant qu’avec ses partenaires, le pays peut renforcer ses positions.
En d’autres termes, le plan sert de garantie contre une répétition de la situation de blocage de l’aide à l’Ukraine à la fin de l’année dernière et, dans le pire des cas, contre une réduction maximale de cette aide par les États-Unis l’année prochaine.
Par ailleurs, les mesures spécifiques que prendra Harris pour aider l’Ukraine si elle est élue ne sont pas tout à fait claires. Comme le montre la pratique, « rester aux côtés d’un pays aussi longtemps que nécessaire » n’est pas une stratégie. Si la stratégie consistant à « éviter l’escalade » se poursuit, elle revient davantage à tenir la main d’un blessé qui se meurt parce qu’il perd son sang qu’à lui apporter faire un garrot pour le sauver.