Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Volontaire biélorusse « Tchervony »: «Je ne me suis jamais autant battu pour une fille que pour un contrat avec l’armée ukrainienne »

Guerre
20 avril 2023, 09:55

The Ukrainian Week/Tyzhden.fr s’entretenu avec un volontaire biélorusse, opposant au régime Loukachenko, au sujet de sa motivation pour s’engager dans l’armée ukrainienne, l’avenir de son pays et l’état d’opposition biélorusse.

– Comment avez-vous rejoint notre guerre ?

– Je me suis porté volontaire lorsque la guerre a commencé.

– Pourquoi ?

– J’avais des raisons personnelles et sociales. J’avais de nombreux liens avec l’Ukraine. Tout d’abord, ma famille et moi avons beaucoup voyagé dans ce pays, si bien que je connais et aime l’Ukraine. Le Belarus est comme une mère, et l’Ukraine est comme une sœur. Je me bats contre l’impérialisme russe et contre le régime de Loukachenko. J’ai l’intention d’acquérir de l’expérience du combat, des connaissances, puis rentrer chez moi et contrer cet impérialisme et ce régime. D’ailleurs, si je n’étais pas parti, je serais déjà en prison pour des raisons politiques. Et ici, j’ai la possibilité de faire quelque chose d’utile.

-Avez-vous déjà eu une expérience préalable ?

– Ma vie tournait autour de l’armée, bien même je n’ai pas servi. En Ukraine, il existait diverses organisations paramilitaires de jeunesse, « Tryzoub » (Trident) ou «Plast». Nous n’avions pas cela. Mais il y avait des campagnes touristiques, l’airsoft (une discipline qui mobilise l’ensemble du corps – ndlr) et autres. En 2016, j’ai acquis de l’expérience en tant qu’auxiliaire médical. J’ai suivi des cours chez les Hospitaliers, puis je suis allé au front. C’était ma première rotation.

– Que signifie cette guerre pour toi?

– Pour moi, aujourd’hui, le chemin à la maison, vers le Belarus libre, passe par la défaite de la Russie. Les manifestations en Biélorussie en 2020 ont été réprimée, entre autres, grâce au soutien de Poutine. En combattant Poutine nous affaiblissons Loukachenko.

– Y a-t-il quelque chose qui vous impressionne à la guerre ?

– Rien. C’est juste une effervescence. Comme ma vie a tourné autour de l’armée, il n’y a rien de nouveau pour moi dans la guerre. La négligence du commandement, le sang, la saleté, la violence et les masques qui tombent – je peux prendre tout cela à bras-le-corps. Je savais déjà ce qu’était le syndrome de stress post-traumatique. Le sang et les blessures ne m’impressionnent pas. Mais avec du temps, Mais plus tard, on se surprend à sursauter, dès qu’une voiture ralentit quelque part pas loin. C’est une déformation professionnelle.

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Je me sens déjà chez moi ici. C’est comme Boulgakov lorsqu’il décrit un officier qui était instituteur et qui s’est ensuite engagé dans la guerre. C’est probablement le signe d’un volontaire, car ce sont toujours des gens passionnés.

– Y a-t-il beaucoup de Biélorusses qui se battent à côté de l’Ukraine ?

– Oui, il y en a eu beaucoup depuis tout le début, 2014. A ce jour, je pense qu’il y en a un millier ou plus.

– Aurez-vous assez de force pour faire tomber Loukachenko?

– Cela peut servir de base pour en préparer d’autres. Relativement parlant, c’est une école pour les jeunes commandants. Une personne expérimentée peut être chargée d’en former dix autres. Il n’y a jamais assez de personnes comme ça, et il n’y en a jamais trop.

Il pourrait y avoir encore plus de Biélorusses ici. Mais pour nous, en plus de la guerre sur le front, il y a aussi une guerre avec la bureaucratie ukrainienne. Je ne me suis jamais autant battu pour une fille que pour un contrat avec les forces armées. Actuellement, j’ai une carte d’identité militaire, alors qu’avant, j’ai eu des problèmes à chaque point de contrôle. D’une part, je comprends les raisons de cette prudence. Mais quelque part au fond de moi, c’est toujours blessant de constater cette attitude « particulière » à l’égard de nous. Parce que, malgré tout, il y a pas mal de Biélorusses qui se battent pour l’Ukraine. D’autant plus, jusqu’à ces derniers temps, ce n’était pas si honteux, d’être ami avec Lukachenko ici. Même si nous disions qu’il vous tromperait tôt ou tard. Mais on n’était pas si écoutés que ça.

– En tant que communauté, en tant que peuple, êtes-vous prêts à renverser un dictateur ?

– Bien évidemment. Les événements de 2020 le confirment. Mais il est impossible de comparer nos régimes. Vous avez eu Viktor Ianoukovytch pendant quatre ans et nous avons eu notre dictateur pendant trois décennies. Certes, en tant que nation, nous avons de nombreux problèmes de développement, mais nous faisons ce que nous pouvons.

Le fait est que les Biélorusses sont une nation de paradoxe. Nous ne devrions pas exister, mais à chaque moment de l’histoire, nous avons trouvé comment ressurgir. En effet, comme les Ukrainiens. Mais nous sommes moins nombreux, nous avons moins des ressources… La Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et d’autres guerres avant cela nous ont dévastés, et tout allait vers le point où nous allions être rayés de la surface de la terre. Mais nous avons survécu. Au début des années 1990, nous avons eu de la chance. Et après trente ans de régime, en 2020, nous nous sommes à nouveau relevés. Ce qui, semble-t-il, n’aurait pas dû arriver.

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Nous pouvons parler longtemps du caractère et des particularités du Belarus, mais l’idée nationale biélorusse génère constamment de nouvelles personnes passionnées qui se battront pour elle. Malgré Poutine et de Loukachenko. Toutes les nations passent par ce chemin. La plupart d’entre elles l’ont surmonté lors du Printemps des nations, un mouvement révolutionnaire qui a secoué l’Europe en 1848. Pour une raison quelconque, les Ukrainiens l’ont fait plus tard, et nous l’avons fait encore plus tard. Mais nous continuerons, comme l’a écrit le classique, à prendre notre place parmi les nations.

– Les Biélorusses se battront-ils contre les Ukrainiens si Poutine convainc Loukachenko d’entrer pleinement en guerre ?

– On le saura au moment où cela se produira. Mais c’est peu probable. La dictature biélorusse souffre de même problème que toutes les dictatures. Quand tout dépend d’une seule personne, toutes les autres créent une réalité virtuelle. Lorsqu’une dictature est jeune, elle fait encore quelque chose, et peut-être même quelque chose de bien. Mais avec le temps, lorsque le dictateur vieillit, tout le monde est occupé à imiter la loyauté envers lui, alors qu’ils profitent eux-mêmes de la situation.

En principe, le système militaire biélorusse ne fonctionne pas comme une armée. Les soldats biélorusses peuvent parader, se donner en spectacle, etc. Mais en temps de guerre, tout s’écroule. Les soldats se comporteront différemment. Au lieu de cinq chars, il n’y en aura qu’un seul, car tout est volé. Pendant tout ce temps, il n’y avait tout simplement pas de financement. Sans parler de la composante idéologique et morale. Le régime n’a construit aucune idéologie. Il n’y a qu’un personnage de dictateur, mais il est comme une girouette. Au gré du vent, tantôt il est avec l’Europe, tantôt il est avec la Russie. Et il n’est pas sacralisé comme un roi. Il n’est que parfois à craindre. « Pourquoi devrais-je mourir pour Loukachenko? » serait la première question posée par les soldats biélorusses.

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Il n’y a pas de motif réel pour faire la guerre à l’Ukraine. C’est une gaffe de la propagande biélorusse. Ils n’ont pas réussi à le créer. De plus, nous avons sous les yeux les pertes subies par la Russie, « Kyiv dans trois jours », etc. Au total, je pense qu’ils n’arriveront à rien.

– L’absence de leader empêche-t-elle la nation de se battre ?

– C’est parfois déconcertant, mais la question est de savoir pourquoi nous avons besoin d’un leader. Lorsqu’un certain nombre de personnes actives ont une idée, elles peuvent s’organiser et travailler ensemble pour la mettre en œuvre. Un leader est une superstructure, qui aidera à avancer. Chaque leader a ses inconvénients, ce qui peut parfois poser problème. Cependant, l’essentiel est qu’il remplisse bien ses fonctions. Nous avons des leaders. Svetlana Tikhanovskaïa exerce une fonction représentative, et c’est une bonne chose. Il y a des leaders qui viennent de forces d’ordre. S’ils travaillent pour l’idée dans leur domaine, ça me va. Au fil du temps, le leader se cristallisera. Et le fait qu’ils disputent? C’est la politique, il en a toujours été ainsi. Mais quant à moi, je veux apprendre à tirer à la mitrailleuse, obtenir cette expérience. Lorsque chacun à sa place fait quelque chose, un leader émerge au fil du temps. L’essentiel, c’est qu’on aille vers le but.

Pourquoi les manifestations de 2020 au Belarus ont-elles échoué et ne se sont-elles pas transformées en quelque chose de plus important ?

– Chaque nation en formation suit son propre chemin influencé par l’histoire, la culture et la mentalité. En 2020, En 2020, les Biélorusses ont essuyé 26 ans de dictature, au cours desquels tous les mouvements sociaux, patriotiques et nationalistes, tout ce qui allait au-delà de ce que les autorités autorisaient, ont été réprimés. Il y avait parfois un dégel, mais tôt ou tard, tout se terminait par un resserrement des vis. De plus, il existait une sorte de contrat social symbolique entre Loukachenko et la population. Il accordait un certain niveau de vie en échange de la non-ingérence de la société dans la politique. Et en général, cela a fonctionné jusqu’à un certain point.

COVID-19 a été l’un des catalyseurs des manifestations de 2020. Il a remis en question ce contrat. Si le régime avait l’habitude d’assurer la stabilité, sa réponse au COVID-19 a été dérisoire. Au lieu d’aider les gens, le régime s’est appuyé sur l’économie. Il a proposé un traitement à base de vodka et de tracteur. De nombreuses personnes ont été scandalisées et se sont demandé si c’était le gouvernement dont nous avions besoin. Au cours de l’élection, plusieurs candidats ont apparu qui, en termes de technologie politique, ont eu plus ou moins de succès.

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Les citoyens espéraient que leurs avis seraient comptés. Cependant, les autorités se sont attribué un niveau de soutien excessivement élevé. Si elles s’étaient octroyé 55 % de soutien, cela aurait pu être toléré. Mais elles ont craché au visage des gens lorsqu’elles se sont attribué un soutien de plus de 80 %. L’attitude des autorités à l’égard de leur peuple est devenue insultante. Et pour couronner le tout, les autorités ont fait preuve de violence. C’est ainsi que même les citoyens les plus conservateurs ont demandé de ce qui se passait.

Cependant, le désir d’être du côté du bien a joué un rôle majeur dans le caractère pacifique des manifestations. Bien que les anciens opposants et ceux qui avaient l’habitude de participer à des manifestations aient compris que les manifestations ne contribueront pas à la chute du régime, le facteur suivant a été décisif: pendant 26 ans, tous les mouvements patriotiques au Belarus ont été détruits. Nous n’avions pas de forces plus ou moins organisées qui pouvaient non seulement protester ou aller en prison pour la liberté, mais aussi de se battre pour elle. Ces jeunes pousses étaient régulièrement éliminées. Ils sont nés, mais ils ont été mis en prison, forcés de quitter le pays, etc.

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L’année 2020 a bien montré qui est qui. Beaucoup de gens ont compris qu’il faut se battre pour la liberté. Il faut savoir combattre. Plus tu es compétent, plus rapidement tu peux obtenir la liberté. La guerre en est la preuve. L’attitude à l’égard des Biélorusses qui ont participé à la guerre en Ukraine sera un exemple révélateur. Auparavant, même les médias de l’opposition ont essayé de respecter la parité dans la couverture de la participation des Biélorusses à la guerre en Ukraine, en écrivant aussi sur ceux qui ont combattu du côté de soi-disant « séparatistes pro-russes ». Il est vrai que jusqu’en 2020, le Belarus avait des médias indépendants qui étaient assez objectifs à l’égard du gouvernement et de l’opposition. Toutefois, ils ont souvent tenté de contourner le sujet des volontaires biélorusses en Ukraine, en appuyant un argument qu’il ne s’agit pas de la guerre pour la Biélorussie. Et seulement après les événements de 2020 que ces médias ont adapté une position plus claire. Il n’y avait plus cette pseudo-objectivité. Ils ont cessé de faire le silence sur ce sujet et se sont plutôt exprimés du côté de ceux qui se battent en Ukraine.

– Les Biélorusses pourront-ils profiter de l’affaiblissement de la Russie provoqué par la guerre pour se débarrasser enfin de Loukachenko ?

– Certes, l’affaiblissement de la Russie aura un impact sur le régime. Mais il est difficile de prévoir si une situation révolutionnaire se présente. De notre côté, nous devons chacun faire ce que nous pouvons pour influencer la situation. Mais une Russie faiblissante, affaiblira-t-elle le régime chez nous ou se transformera-t-elle simplement en quelque chose de semblable à la Corée du Nord ? Aura-t-il assez de ressources pour tenir ? Qui sait ? J’espère vivre pour voir ce moment et ébranler le système autant que possible. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, pour arriver là.