
Le monachisme est une autre option de carrière féminine, accessible à tous les âges et à tous les statuts sociaux. L'historien Lavrentii Pokhilevitch écrit sur la tradition consistant à installer des couvents de femmes à côté de ceux des hommes, de sorte que les couples âgés qui ont décidé de consacrer le reste de leur vie au service de Dieu puissent vivre dans des cellules séparées, mais non loin les une des autres. Ainsi, le couvent de Sainte-Irène était situé à côté du monastère masculin de Sainte-Sophie ; celui de l'Épiphanie était situé près du monastère masculin de Saint-Michel ; et le couvent de l'Ascension était situé non loin de la Laure des grottes de Petchersk. Le couvent de l'Ascension à Kyiv a existé du XVIe siècle jusqu'en 1712. Il a été liquidé par ordre de Pierre Ier
Les nonnes de ces couvents possédaient un niveau d'instruction et un statut social élevés. Mykola Zakrevskyi dans sa « Description de Kyiv » mentionne une gravure datée de 1627, avec l'inscription mentionnant qu’elle avait été commandée par « Akilyna Fedorivna, une nonne du couvent de Pechersk. » Les moniales du couvent de l'Ascension maîtrisaient une forme complexe d'art appliqué : la broderie d'or au point sec. Selon Guillaume Levasseur de Beauplan (ingénieur, architecte et cartographe français - ndlr), elles confectionnaient d'élégants châles et des épitaphes, qu'elles vendaient aux pèlerins. Le couvent connut sa plus grande prospérité sous le règne de l'abbesse Maria Magdalena, mère de l'hetman Ivan Mazepa.
Cependant, au début du XVIIIe siècle, pour la même raison, le couvent de l'Ascension fut liquidé, les locaux furent partiellement démantelés et les moniales furent transférées à Podil (un autre quartier de Kyiv - ndlr) , au couvent Florivsky, qui hérita de la technologie de la broderie d'or. L'héritage de Maria-Magdalena Mazepa comprend des lettres attestant de sa participation active à la vie spirituelle et étatique de l'époque et des broderies d'or, conservées dans la sacristie de la cathédrale de l'Assomption pendant l'ère soviétique et qui ont miraculeusement survécu en partie au bombardement de l'édifice en 1941.
Piété et charité
Traditionnellement, ce sont les femmes qui s'occupaient des rituels familiaux et organisaient les sacrements, du baptême au caveau. De plus, les femmes ukrainiennes bénéficiant des statuts sociaux les plus élevés défendaient activement la foi de leurs parents sur un pied d'égalité avec les hommes, tenaient les cercles intellectuels, créaient les conditions de la diffusion de l'éducation et des connaissances scientifiques et encourageaient l'édition de livres.
La famille princière de Volyn, les Golchansky, est connue pour ses projets de publication initiés par des femmes. En 1453, la princesse Sophia de la maison Golchansky, épouse du roi Władysław II Jagiełło, (Ladislav II Jagellon en français - ndlr) initia et commandita la première traduction de la Bible en polonais. Un siècle plus tard, l'une des filles du prince Yuriy Golchansky, Anastasia, qui avait épousé Kouzma Zaslavsky des princes Ostroh, prononça ses vœux après la mort de son mari et devint abbesse d'un couvent à Zaslavl. C'est avec son aide et sa bénédiction que débuta en 1556 la traduction du vieil évangile ukrainien, aujourd'hui connu sous le nom d'évangile de Peresopnytsia.

L'histoire a conservé la trace d'un autre projet d'édition qui n'aurait pas vu le jour sans l'intervention des femmes. En 1623, la princesse Théodora Tchartoryska-Bohovytynova persuada l`hiérarque d'Ostroh Cyprien, célèbre pour son érudition et son ascétisme, de traduire les Discours de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul, ce qu'il fit. Cet ouvrage théologique fondamental a été traduit pour la première fois du grec vers le slavon liturgique, et ce projet d'édition est devenu une étape importante pour l'imprimerie de la Laure des Grottes nouvellement fondée à Kyiv.
Les témoignages des femmes du début de l'époque moderne révèlent leur culture matérielle et le monde des choses aux XVIe et XVIIe siècles. Le fait que les femmes rédigeaient elles-mêmes leur testament indique un certain degré d'indépendance économique et la capacité de gérer leurs propres finances. En effet, pour pouvoir faire don d'objets et de biens de valeur à des œuvres caritatives, les femmes devaient posséder et gérer elles-mêmes ces biens.
Les femmes étaient souvent les donatrices des couvents. Il existait une division tacite entre les couvents « riches, » qui étaient censés faire des dons de valeur que les femmes nobles pouvaient s'offrir, et les couvents « pauvres, » qui se contentaient de n'importe quel don. Certains souverains ukrainiens, en fonction de leur statut, étaient autorisés à faire des dons non seulement à des monastères nationaux, mais aussi à des monastères étrangers : le Ruskyi Zohrafskyi Pomiannyk, découvert lors d'une expédition scientifique au Mont Athos, contient des références à des dons de la famille Kotchoubey en 1686 : Vassyl, Lioubov et leurs enfants.
Les mécènes de l'éducation
C'était une pratique courante pour les femmes ukrainiennes de financer des écoles et des collèges afin que les jeunes orthodoxes puissent suivre une éducation dans des établissements d'enseignement nationaux. Par exemple, le propriétaire de la ville de Gostcha à Volyn, la princesse de Smolensk Raina Solomyretska, a fondé un monastère d'hommes et une école « pour l'enseignement des sciences libérales aux enfants de la noblesse et du peuple » à l'église de l'Archange Michael. Le Collège orthodoxe de Gotstcha a été fondé peu de temps auparavant en opposition à l'établissement d'enseignement fermé, dans lequel, soit dit en passant, Gryhoriy Otrepiev a étudié, qui revendiquerait plus tard le trône de Moscou et deviendrait connu sous le nom de Faux Dmitri le Premier.
Dans son testament, la princesse déclare « Moi, Irène de Gostcha, princesse Nikolaieva Solomoretskaya, princesse de Smolensk, déclare par cet acte volontaire, qui doit être connu maintenant et toujours, qu'étant l'héritière du domaine de mon grand-père, du château et de la ville de Gostcha, par amour particulier pour le Seigneur Dieu et pour accroître sa sainte louange, je le fournis et l'enregistre au père Ignace Oksenovitch, abbé et recteur du monastère de Gostcha, épris de liberté, à tous les moines de la religion grecque et à leurs successeurs, en obéissance au saint père du patriarche de Constantinople, de ne pas s'unir à l'Église de Rome dans le monastère de Gostcha, que j'ai fondé dans la ville et les faubourgs de Gostcha, afin que le culte de la foi grecque dans le monastère et l'église que j'ai construits puisse y demeurer dans le confort et sans aucun obstacle et de toute hérésie, et que les sciences puissent être répandues dans les écoles que j'ai fondées. » Le collège Gostcha devint un établissement d'enseignement réputé et couronné de succès. Cependant, malgré le commandement de la princesse, au XVIIe siècle, le monastère a encore appartenu pendant un certain temps aux pères Basiliens.
Un cas intéressant est le don de Galchka Goulevitchivna, la fondatrice de l'école fraternelle de Kyiv à Podol, qui devint plus tard l'Académie Mohyla à Kyiv. Les historiens débattent encore de l'authenticité de ce document, car l'original n'a pas survécu. Le chercheur de l'éducation moderne précoce, Maksym Yaremenko, note que jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, le personnage clé pour comprendre l'histoire de l'établissement d'enseignement était « le fondateur », à savoir le métropolite Petro Mohyla (1596-1647). Cependant, après avoir reçu un décret du Consistoire spirituel de Kyiv pour fournir des informations sur la création du monastère fraternel, l'Académie a envoyé en 1766 un certificat signé par le recteur de l'époque, Samuel Myslavsky, concernant le monastère et l'établissement d'enseignement, avec l'ajout des « extraits des livres authentiques du gouvernement Zemsky Kyiv, qui sont disponibles au monastère de l'école fraternelle de Kyiv ».
La déclaration faisait spécifiquement référence à la charité de Galchka Goulevitchivna. Selon Maksym Yaremenko, à l'époque, l'Académie Mohyla cherchait activement ses propres racines, et le résultat de ce regard vers le passé pouvait être à la fois la découverte de nouveaux matériaux inconnus sur les origines et leur fabrication. Quoi qu'il en soit, l'inclusion dans l'histoire de l'éducation de la noble de Kyiv Galchka et la tradition subséquente de l'honorer en tant que fondatrice témoignent de la prise de conscience contemporaine du rôle des femmes dans les activités culturelles et éducatives.
Puissance et mémoire
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les femmes ont commencé à influencer de manière significative le monde politique masculin dans la Rzeczpospolita. Le début de cette tendance avait une origine étrangère : elle avait été l’œuvre de la princesse milanaise Bona Sforza d'Aragona, épouse du roi Sigismond Ier, et Louis Maria Gonzaga de Nevers, qui était particulièrement impliquée dans la politique, fille d'un duc français et épouse des derniers rois de la dynastie Vasa, Władysław IV et Jan II Casimir.
Les histoires de familles cosaques fournissent un matériel fructueux pour mettre en lumière le facteur féminin dans la formation de l'élite ukrainienne des XVIIe et XVIIIe siècles. En particulier, dans la famille du juge général Vassyl Leontiovytch Kotchoubey, il est facile de retracer le rôle des femmes dans le soutien de l'activité sociale et politique de cette famille dans l'environnement de l'élite de l'Hétmanat.

L'épouse du juge général, Liubov Kotchoubey, est décrite comme une femme volontaire, énergique et ambitieuse. Elle est même tenue pour responsable du conflit entre son mari et l'hetman Ivan Mazepa (homme d'Etat ukrainien qui s'est opposé à la domination russe - ndlr) et considérée comme une sorte de Lady Macbeth ukrainienne. Dans une lettre adressée à Kotchoubey, Mazepa a fait remarquer à son destinataire qu'il était dirigé par sa femme. Au contraire, le confesseur de Vassyl Kochubey, le hiérarque Varlaam (Yasynskyi), a comparé dans une lettre cette femme, à la seconde sainte Sarah et aux courageuses Judith et Phael.
D'une manière ou d'une autre, au cours de l'enquête ouverte après la dénonciation de Vassyl Kotchoubey, son épouse Lioubov Kotchoubey a veillé au bien-être de la famille. Grâce à ses liens familiaux, elle a défendu activement ses droits et ses intérêts et réussit finalement à récupérer les terres qui lui avaient été retirées sur ordre du tsar russe Pierre le Grand.
Anastasia Skoropadska, la fille du marchand Marko Markovych de Prylouky et la deuxième épouse de l'hetman Ivan Skoropadsky, qui, dit-on, a considérablement contribué à son élection au poste d'hetman, a acquis une réputation similaire. Leur vie conjugale et la répartition des rôles dans la famille ont été inlassablement moquées : « Ivan porte une jupe de Nastia », disaient leurs contemporains. L'histoire n'a pas gardé les témoignages précis sur l'éducation d'Anastasia, bien que des documents de l'époque maintiennent qu'elle était peu éduquée, peut-être analphabète, ce qui ne l'a cependant pas empêchée de laisser une marque notable dans l'histoire ukrainienne du XVIIIe siècle, de mener des négociations diplomatiques, de recevoir des invités de marque, et voyager à Moscou pour affaires. Elle y a reçu, entre autres, « une belle montre de la nouvelle mode et deux étoffes en or et en argent français, ainsi qu'un petit ensemble d'outils de dessin qui se trouve toujours dans la chambre. »
Il y avait aussi des dons de terres plus importants de la part des autorités russes. Après 1709, les Skoropadsky acquièrent Gamaliivka, qui appartenait à la famille noble Gamaliya précédemment réprimée. C’est là, qu’ils construisirent avec dévotion un couvent, qui devait devenir le sanctuaire familial des Skoropadsky.

Lecteurs, auteurs et personnages
Les femmes occupaient une place assez importante dans l'espace public et privé de l'époque baroque. En fonction de leur âge et de leur statut social, elles disposaient d'une certaine latitude pour se réaliser. Elles lisaient des livres, peut-être pas seulement la Bible, écrivaient des lettres et faisaient des dons et influençaient le cours de la pensée et l'espace culturel.
Comme le souligne l'historien polonais Jakub Niedźwiedź, il est difficile de d’estimer le niveau d'alphabétisation des hommes au début de l'ère moderne, sans parler des femmes. Mais au moins certaines sources nous parlent. Par exemple, l'historien analyse le livre des entrées de la confrérie de Sainte-Anne de l'archevêque de Vilnius. La confrérie comprenait des femmes et des hommes de confession catholique, et lors de l'adhésion, chacun devait signer le livre, qui était conservé depuis 1580. Un secrétaire s'en chargeait pour les analphabètes, mais les signatures manuscrites de nobles et de citadins cultivés ont également été conservées.
Les femmes, si elles avaient du talent, étaient éduquées à la maison. Cependant, Jakub Niedźwiedź écrit que dans la seconde moitié du XVIe siècle, il y avait une école calviniste à Vilnius, où les filles protestantes étaient probablement éduquées, et dans les années 1690, une école pour filles catholiques a aussi été fondée au couvent des Bernardines. Cependant, ils enseignaient surtout des choses pratiques : broderie, couture, filage, tissage, parfois cuisine et lessive, et parfois lecture et, dans une moindre mesure, écriture. L'éducation des femmes était si exclusive qu'il fallait parfois adresser une requête au roi : il existe une lettre de Sigismond III à l'abbesse Kuczowska concernant l'admission au noviciat de la fille du barbier Jakub Kal, qui avait été élevée auparavant au couvent de Sainte-Catherine.
La vie quotidienne des nonnes était remplie de lectures collectives et individuelles de livres. Elles ont copié et, très probablement, complété et créé des textes sur des sujets religieux ainsi que des chroniques. L’Ukraine ancienne n'avait pas sa propre Madame d’Aulnoy : la conteuse française du XVIIe siècle, qui a fondé la tradition du genre « conte de fées magique » et a été suivie par Charles Perrault. Il n'y avait pas non plus de sœur de Juana Inès de la Cruz, nonne mexicaine du XVIIe siècle et auteur d'une prose confessionnelle. Mais qui sait quelles figures se cachent sous les noms d'auteurs anonymes de traités polémiques ?
La littérature baroque ukrainienne était entièrement religieuse, marquée par le culte de la Vierge. Cependant, même ce corpus de textes écrits par des hommes pieux comprenait des personnages féminins. Dans leur registre inférieur typique, des chantres itinérants jouaient avec des histoires bibliques sur « la bonne Eve » et « la bonne Esther ». Et dans l'hagiographie est apparue l'image de la Sainte Vierge d'une beauté surnaturelle ; Juliania de Golchanska, la seule sainte de la Laure de Kyiv-Pechersk : « Elle était blanche de corps et belle, comme si elle dormait vivante, richement décorée, vêtue de soie et de robes tissées d'or, elle avait autour du cou des hryvnias (monnaie ukrainienne - ndlr) en or avec de nombreuses perles, aux mains des chaînes d'or et des anneaux précieux, » témoignent les chroniques. Sur sa tête se trouve une couronne en or avec des perles, des boucles d'oreilles sont aussi en or avec de grosses perles et des pierres précieuses. Une telle insistance sur la beauté corporelle et la richesse matérielle est tout à fait atypique pour un texte hagiographique qui est censé se concentrer sur la décoration spirituelle.
Selon Leonid Ouchkalov, les artistes baroques ukrainiens ont habillé des personnages de l'histoire sacrée avec des robes ukrainiennes, les peintres d'icônes ont représenté la Mère de Dieu et les saints martyrs sous la forme de jeunes filles ukrainiennes, et les scènes de la Nativité ont montré Rachel comme une jeune femme vêtue d'une plakhta (une sorte de jupe, élément du costume national ukrainien - ndrl). La vie d'une personne du début de l'ère moderne n'était pas facile, mais elle était brillante, pleine et riche. Et cela valait pour les deux sexes.
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À l'époque du Moyen Âge, on imaginait que le monde était assez petit pour une personne. La Renaissance a quelque peu élargi ses frontières, grâce aux découvertes géographiques, aux voyages éducatifs et aux découvertes anciennes. Et à l'époque baroque, la porte entre l'Orient et l'Occident était grande ouverte, de sorte que de nouvelles idées scientifiques et philosophiques étaient discutées et assimilées par les intellectuels ukrainiens de manière synchrone avec l'ensemble du monde occidental. La prise de conscience de la présence de l'Ukraine dans l'espace civilisationnel européen multiconfessionnel de la Rzeczpospolita (du latin, res publica : la chose publique, désignant la Pologne à différentes époques -ndlr), dans le cadre du dialogue culturel avec le catholicisme et le protestantisme, permet de dépasser le sentiment d'isolement provincial. La certitude absolue de leur subjectivité et de leurs pleins droits a encouragé les scribes baroques à créer des projets artistiques et politiques créatifs. Le statut de périphérie provinciale, ainsi que le complexe d'infériorité, sont apparus tout juste au XIXe siècle du fait des efforts déployés par la politique de colonisation de l'Empire russe. [caption id="attachment_2234" align="aligncenter" width="452"]

Soutien de l'État
L'auto-organisation des citadins orthodoxes en confréries sous les auspices d'une piété éclairée est devenue un catalyseur pour la scolarisation ukrainienne. En général, la capacité à s'aider soi-même a joué un rôle décisif dans le développement de la culture baroque et le rassemblement des intellectuels. La différence avec le baroque espagnol, qui s'épanouit aussi magnifiquement que l'ukrainien, est révélatrice. Cependant, l'absolutisme de la monarchie espagnole a délibérément nourri la culture en langue castillane, éduqué l'élite à l'aide de manuels spéciaux avec des exemples d'anciens héros. De même, la monarchie a soutenu le théâtre de cour et de masse en langue castillane. [caption id="attachment_2236" align="aligncenter" width="966"]
Culture rhétorique et politique
Bien que l'Union Berestyïska (aussi appelée Union de Brest en Biélorussie - 1596 -ndlr) ne soit pas devenue un exemple d'union religieuse réussie, elle a plutôt ouvert un large champ de discussions, au cours desquelles, comme on le sait, la vérité est née. Le résultat de la polémique entre partisans et adversaires de l'Union est devenu tout un corpus de textes qui témoignent de l'intense recherche intellectuelle de sa place sur la carte mentale de l'époque. Les chercheurs modernes évitent la tentation de l'univocité dans l'interprétation des compétitions religieuses et culturelles et parlent de l'Union de 1596 et des polémiques qu'elle a générées comme d'une puissante impulsion culturelle et d'un facteur constructif dans la formation de la typologie du scribe baroque. Les sejmikis (membres du Sejm ou Diète, i.e une des deux chambres du Parlement polonais - ndlr) constituaient une plate-forme importante pour l'application des compétences oratoires. Nous pouvons parler des rudiments de la société civile et de la culture politique, qui se sont formés à cette époque et se sont poursuivis pendant longtemps malgré la désintégration de la Rzeczpospolita et de l'État cosaque. La tradition de communication du peuple avec le pouvoir et de défense de ses droits, dont parle un historien ukrainien Vitalii Mykhailovskyi, a été reprise de la noblesse par l'aristocratie cosaque. Cette tradition a été conservée comme modèle parmi les descendants des officiers, en opposition au despotisme moscovite, pour devenir plus tard, en 1918, un modèle pour l'Hetmanat de Pavlo Skoropadskyi. [caption id="attachment_2237" align="aligncenter" width="490"]
Deuxième Jérusalem
La spécialiste de la littérature Natalia Pylypyuk écrit sur la transformation radicale que l'héritage de la Ruthénie, voué au déclin, a subie à la fin du XVIe siècle dans l'espace ukrainien. La contribution significative du cercle de l’Académie kyivo-mohylienne à la vie culturelle et ecclésiale de l'Ukraine, entre autres, consistait à établir un lien entre la culture de la Ruthénie médiévale et son époque baroque contemporaine. Le programme socio-politique de Petro Mohyla et de ses associés comprenait la canonisation des premiers saints de la Ruthénie, l'ajout du titre métropolitain de « toute la Ruthénie », la renaissance des églises princières : la cathédrale Sainte-Sophie, le monastère de Pétchersk, l'église de la Dîme, la promotion du topos de la Ruthénie avec sa capitale Kyiv comme deuxième Jérusalem, la préparation d'éditions baroques du texte médiéval emblématique du Paterikon (genre littéraire byzantin hagiographique rassemblant des dits de saints, martyrs et évêques et de contes à leur sujet -ndlar) de Kyiv-Pétchersk. Toutes ces activités ont travaillé sur la formation de l'identité, la conscience de leur place et de leur droit à cette place. Comme l'a noté Natalia Yakovenko, l'identité nationale émerge dans la combinaison du territoire et de l'histoire. L'église a développé l'idée de succession à partir de la prophétie de la chronique de l'apôtre André sur les collines de Kyiv et de la légende du baptême de Volodymyr le Grand dans le cadre d'un programme polémique. Pendant ce temps, la noblesse avait sa propre motivation pour faire appel au code kyivien. Recherchant l'égalité des droits à l'intérieur des frontières de la Rzeczpospolita, les magnats et les nobles (et leurs poètes de cour) ont insufflé des légendes généalogiques dans le trésor du patrimoine ruthène. C'est ainsi qu'est apparue toute une pléiade de poètes panégyristes, qui ont construit l'hérédité des patronymes magnataires à partir de l'armée princière. Ce blason “noble folklore”, bien que mythifié, mais publié dans des livres respectables de la presse de Cracovie, a fini par former l'idée de “notre” territoire et de “notre” histoire. Les siècles suivants peuvent être considérés en grande partie comme une période de développement et de réalisation de ces idées. L'aréopage de Kyiv de Petro Mohyla est devenu une plate-forme créative exceptionnelle, où des visions ont été produites, dont le potentiel créatif sera réalisé dans les œuvres historiques du XIXe siècle, les concours de libération nationale du XXe siècle et la vision actuelle du passé ukrainien. Et les mythes politiques de l'époque baroque, créés dans le cadre de la culture de la noblesse, continueront d'exister et donneront une impulsion au développement de l'identité moderne. Les mythes sarmates (de noblesse) et khazars (cosaques) décrits dans un certain nombre de textes journalistiques justifiaient les droits de l'élite dirigeante et le territoire d'influence. Déjà au XIXe siècle, cela sera extrapolé à d'autres États, non seulement à l'élite politique, mais aussi, en particulier, aux paysans, qui, dans le concept populiste, seront considérés comme la "réserve de l'ukrainité" dans les conditions d'assimilation de l'élite.Portail vers la haute culture
Les modernistes ukrainiens ont désespérément combattu la rusticité des folkloristes et l'identification de la nation ukrainienne exclusivement à la paysannerie. Et leur source d'inspiration dans cette lutte était la culture baroque. Culture à grande échelle, autosuffisante et hautement éduquée de la grande ville et des petites villes. Culture polyglotte, mais ukrainienne d'esprit, créée notamment en vieil ukrainien, proche de la langue parlée. Une culture qui n'a pas commencé avec Kotlyarevskyi, mais s'est développée avec confiance pendant plus d'un siècle. Une culture élitiste raffinée qui déconstruit le mythe simpliste, imposé par la Russie, ainsi que l'image d'un pauvre petit russe (Malorosse ou Petit-Russien). Dans les années 1920, ce style baroque devient iconique. Aujourd'hui, cette tendance est également observée, et les répliques baroques connaissent un succès indéniable, étant associées à l'authenticité par opposition à l'artificialité de mauvaise qualité. Qu'il s'agisse de musique comme par exemple, le chant baroque angélique "A cappella Leopolis" ; qu'il s'agisse d'art illustratif, comme une collection de koliadky (chants rituels de Noël - ndlr) de la maison d'édition "A-Ba-Ba-Ga-La-Ma-Ga" avec des magnifiques illustrations d'Andrii Poturail, Rostyslav Popsky et Vladyslav Yerk ; ou des vêtements, par exemple, " Vêtement noble" de Ruslan Pavlyuk. [caption id="attachment_2238" align="aligncenter" width="475"]
Voyage dans le but d'étudier
La première sortie d'un homme des débuts de l'ère moderne hors de son village ou de sa ville était souvent la route vers un établissement d'enseignement : un collège à Ostroh, Lutsk, Derman, Kyiv, Tchernihiv, Pereiasliv, Kharkiv, ou une école jésuite, dominicaine ou protestante. Les réformes éducatives de Petro Mohyla (figure politique, ecclésiastique et éducative ukrainienne - ndlr) et l'ouverture en 1632 du collège de Podil, organisé selon les modèles occidentaux, ont considérablement influencé les itinéraires des voyages éducatifs. Le panégyrique de Sophronii Pochaskii consacré à ces événements s'intitule Eucharysterion, ou Gratitude. La raison de cette gratitude était qu'à l'avenir «les enfants de Ruthènie n'auraient plus besoin de parcourir le monde en pèlerinage pour apprendre la sagesse». Rappelons que la Ruthénie était l’ancêtre de l’Ukraine. [caption id="attachment_1379" align="aligncenter" width="531"]

Chantres itinérants
Tout le monde n'a pas eu la chance de découvrir le vaste monde. La plupart des étudiants n'avaient pas assez d'argent pour suivre le programme d'enseignement de 12 ans du collège de Kyiv ou d'une autre ville de l'Hetmanat (Etat cosaque ukrainien des XVIIe-XVIIIe siècles qui existait sur le territoire de l'Ukraine actuelle - ndlr). Ils devaient donc utiliser les connaissances acquises en histoire sacrée, leurs talents de poètes et leur humour juvénile pour gagner leur vie. C'est ainsi que s'est formée une communauté de chantres, (dyaks en ukrainien) itinérants, pour la plupart des étudiants qui voyageaient, interprétant des «poèmes d'hommes». Il y avait un ordre spécial de l'administration de l'Académie de Kyiv-Mohyla de 1764, selon lequel chaque année, du 9 mai au 1er septembre, les étudiants de la classe de rhétorique et les plus âgés, qui n'avaient pas de moyens de subsistance appropriés, les orphelins, les enfants de parents pauvres étaient officiellement libérés pour mendier de la nourriture avec l'obligation de revenir au début de l'année scolaire. [caption id="attachment_1381" align="aligncenter" width="340"]
En pèlerinage
La communauté des pèlerins était extrêmement diverse : population pauvre et analphabète, nobles fortunés et intellectuels éduqués partaient en pèlerinage. Les textes qui subsistent de ces derniers racontent en détail leurs itinéraires et leurs impressions sur ce qu'ils ont vu. Le genre de pèlerinage vers les lieux saints était connu à l'époque de la Ruthénie, État médiéval ukrainien qui existait aux IXe-XIIIe siècles, mais ce pèlerinage était dominé par le formalisme propre au Moyen Âge. Pendant la période baroque, l'élément séculier des pèlerinages s'intensifie, incarné par le désir des auteurs de graver dans la mémoire les circonstances les plus intéressantes de leur voyage. Les pèlerins s'intéressaient à l'histoire et à la géographie des pays qu'ils visitaient, au climat, aux relations politiques entre les États, à l'architecture, à la culture, à la vie, à la composition nationale, sociale et religieuse de leurs habitants. Cela reflète la vision du monde de l'époque, qui associe les deux plans : sacré et profane, car les auteurs avaient conscience de parcourir les lieux d'action des récits bibliques ou les parcours de vie des saints. Reconnaissant la grâce des reliques de saint Nicolas de Myre (270-343), originaire de Lycie en Anatolie, Vasyl Hryhorovych-Barsky, dans ses Voyages aux lieux saints... évalue en même temps avec scepticisme les conditions de conservation d'autres reliques et, dans un esprit de scepticisme éclairé, met en doute leur authenticité. En tant que pèlerin expérimenté, fort de 24 ans d'expérience, Hryhorovych-Barsky laisse de précieux conseils sur les hôtels de pèlerinage dans lesquels il vaut mieux séjourner, les endroits où il est préférable de rester, la route à suivre, les sanctuaires à ne pas manquer. Il est dommage que ses dossiers n'aient été publiés que trois décennies après sa mort. [caption id="attachment_1382" align="aligncenter" width="385"]
Les vieux musiciens errants
Un autre groupe social, appelé à pérégriner sur la route dans les temps baroques, était les musiciens aveugles errants, les kobzars : chanteurs de psaumes, joueurs de bandura, de kobza (instruments à cordes traditionnels ukrainiens - ndlr) et de lyre, réunis dans la corporation des anciens, lesquels chanteurs étaient réunis en confréries selon des règles bien définies d'apprentissage, de rituels d'initiation, de mise à l'épreuve, de réception d'un nouveau nom, de poursuite du fonctionnement en atelier. Selon Volodymyr Kushpet, historien de la musique ukrainienne, cette communauté s'est développée surtout pendant la Khmelnytchynna, période historique de 1648-1657, durant le soulèvement mené par l’hetman Bohdan Khmelnytsky. C'est alors que se sont formés leurs répertoires : doumy (poèmes épiques) accompagnés de psaumes et de chants sacrés, essence de leur philosophie spécifique et de leur mission spirituelle. [caption id="attachment_1383" align="aligncenter" width="650"]

Homo viator
Il ne s'agit pas d'un aperçu exhaustif de tous les objectifs qui ont permis à l'homme baroque de prendre son essor. Les nobles se rendaient dans les lieux de leur réunions ; les abbés des monastères voyageaient pour des questions spirituelles ; les cosaques menaient des expéditions militaires et les paysans visitaient les foires saisonnières. Au début de l'ère moderne, le monde est devenu beaucoup plus proche, et la fréquence des voyages a augmenté de manière significative par rapport aux époques précédentes. Le style de vie vagabond, pour lequel le philosophe Hryhoriy Skovoroda (1722-1794) est devenu célèbre, devint un signe de l'époque. En même temps, l'homme baroque se déplaçait dans l'espace non seulement sur le plan horizontal, mais aussi sur le plan vertical symbolique, s'approchant ainsi de Dieu et se connaissant lui-même. Souvent, c'est le chemin qui est important, pas le but du voyage. Skovoroda estime que le besoin de voyager est ressenti par les philosophes, les théologiens et les prophètes. Les autres, tels qu’agriculteurs et guerriers, doivent s'adonner à leurs propres occupations. [caption id="attachment_1385" align="aligncenter" width="451"]