La répression post-mortem : les pratiques soviétiques en œuvre

Histoire
27 septembre 2024, 14:46

On pense souvent que rien ne peut surprendre venant d’un régime totalitaire, mais récemment, notre collègue spécialisée dans l’histoire, Olga Petrenko-Tseunova, a découvert deux formes particulièrement odieuses de répression politique infligées par les autorités soviétiques à leurs citoyens. Elles sont d’un cynisme sans borne. 

La première concerne la répression des morts. En effet, quand un prisonnier mourait, la famille ne pouvait pas récupérer le corps avant la fin de la peine à laquelle il avait été condamné. En d’autres termes, les résistants continuaient à expier leurs « crimes antisoviétiques » même après leur mort. Ainsi, les grands dissidents ukrainiens Vassyl Stus, Oleksa Tykhyi ou encore Yurii Lytvyn, décédés en 1984 et 1985, n’ont pu être inhumés qu’en 1989.

La seconde forme de répression post-mortem a perduré même après la chute de l’URSS. Lors de la réhabilitation de ceux qu’on appelait des « ennemis du peuple », mais qui étaient en réalité des ennemis du régime soviétique, tous n’ont pas été automatiquement réhabilités. Par exemple, il suffisait que l’affaire fabriquée pour les condamner mentionne des actes de violence envers des civils, une accusation couramment utilisée contre les résistants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, pour qu’elle échappe à la réhabilitation automatique.

Le 17 avril 1991, le Parlement de la République Soviétique Socialiste d’Ukraine a promulgué la loi « Sur la réhabilitation des victimes de la répression politique en Ukraine », accélérant ainsi le processus de réhabilitation. En 2001, soit en dix ans, 307 450 dossiers ont été examinés, mais seulement 248 710 personnes ont été réhabilitées. Ces chiffres sont-ils représentatifs de la répression soviétique en Ukraine ?  Évidemment, non ! Le véritable nombre des victimes ukrainiennes de la répression de Moscou se compte en millions.

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En mai 2018, une nouvelle loi ukrainienne intitulée « Amendements pour améliorer la procédure de réhabilitation des victimes de la répression du régime totalitaire communiste de 1917-1991 » est entrée en vigueur. Une Commission nationale de réhabilitation a été créée. Le 18 juillet 2019, elle a tenu sa première séance publique au cours de laquelle elle a décidé de la réhabilitation de victimes de la répression politique des régimes communiste et totalitaire en Ukraine.

Cela a permis de réhabiliter davantage de victimes, mais le processus d’examen de chaque cas, à la demande de parents ou des associations demeure très lent. La publication « Réhabilités par l’Histoire » compte déjà plus de cent tomes, mais le compte n’y est toujours pas. Il existe même un portail numérique qui répertorie les « victimes de la répression soviétique en Ukraine » – mais à qui s’adresse-t-il ? Les héritiers des victimes vieillissent et meurent, leurs descendants ne disposent pas des informations nécessaires pour effectuer des recherches – lieu exact de naissance, lieu d’arrestation, etc.

Dans un article, l’historienne Natalia Khanenko-Friesen soutient que les archives ukrainiennes sont parmi les plus accessibles au monde. Beaucoup ont été numérisées et sont disponibles en ligne. Des entreprises privées émergent pour assister les citoyens dans leurs recherches dans les archives, mais pourtant, les salles de lecture des archives restent vides. Tout le monde ne souhaite pas raviver un passé traumatisant, ce qui est compréhensible. Cependant, tant que la réhabilitation de toutes les victimes n’est pas achevée, leur mémoire demeure salie.