Selon le programme « SOS Villages d’Enfants Ukraine », nombre total d’orphelins et d’enfants privés de soins parentaux dans le pays en guerre est d’environ 70 000. Cette chiffre ne cesse d’augmenter en raison des combats. L’État ukrainien n’a pas le temps de construire des internats et des orphelinats. Dans de telles circonstances, les foyers pour enfants de type familial deviennent une solution souhaitable. Tout comme le placement familial, ces formes de prise en charge gagnent en popularité en Ukraine et à l’étranger.
« Les enfants ne sont pas responsables de leur situation. Ces enfants, comme les autres, ont besoin d’amour et de soins. Chacun d’entre eux est unique, a sa propre histoire, mais ils ont tous autant besoin de la chaleur et de l’attention d’une famille », déclare Natalia, ancienne mère adoptive. Elle travaille avec des enfants depuis plus de 10 ans et est convaincue que ce n’est pas dans un orphelinat que l’avenir de notre pays doit grandir.
En Ukraine, les orphelinats de type familial assurent l’éducation conjointe de 5 à 10 enfants sous un même toit, avec les enfants d’un couple. Oleksandr et Maryna Moruh, parents-accompagnateurs de l’une des maisons d’enfants de type familial de la région de Kyiv, explique à Tyzhden.fr les différences entre la prise en charge familiale et les internats : « Dans les internats, on n’accorde pas suffisamment d’attention à chaque enfant, ce qui donne malheureusement l’impression d’une forme d’éducation « en troupeau ». En revanche, dans une maison d’enfants de type familial, le nombre d’enfants n’est pas élevé, par exemple nous sommes huit, et chaque enfant peut bénéficier d’une attention suffisante. Si un enfant vient demander de l’aide, on l’écoute, on résout les problèmes rapidement. Dans les internats, il peut y avoir 50, 100, 150 enfants, et les éducateurs n’y vivent pas comme les parents avec eux, mais viennent simplement y travailler. Par conséquent, ils n’ont pas le temps de s’occuper de chaque enfant, même s’ils aimeraient bien le faire ».
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La maison dans laquelle vit la famille Moruh leur a été offerte par l’organisation caritative internationale « SOS Villages d’Enfants ». Deux étages, quatre chambres et un salon spacieux permettent aux enfants de profiter de la vie de famille. L’odeur des plats faits maison et les rires des enfants se font entendre dès le pas de la porte. Plusieurs paires de chaussures d’enfants et des rollers colorés dans le couloir près de la porte d’entrée suggèrent qu’il y a beaucoup d’enfants qui vivent ici. Le salon est rempli de jouets, le réfrigérateur est couvert de dessins d’enfants. La vie de famille comme il se doit.
« Tu te sens bien dans ta nouvelle famille ? » demandé-je à Katya, la plus petite de la fratrie. « Oui, j’aime maman Maryna et papa Sacha », réponde-t-elle timidement. Katya a 8 ans actuellement, elle vit dans ce foyer de type familial depuis l’âge de 5 ans. Selon la loi ukrainienne, les enfants peuvent vivre dans ces foyers jusqu’à l’âge de 18 ans. La famille qui en a la garde est entièrement responsable de la vie, de la santé, du développement physique et mental de l’enfant placé et représente ses intérêts auprès de tous les organismes et institutions.
« Cette année, j’aurai 18 ans et j’envisage de quitter сette maison, parce que je me sens prêt à l’indépendance. Marina et Sasha m’ont appris tout ce dont j’avais besoin pour commencer à vivre une vie d’adulte », déclare Mykhailo, un futur bachelier.
En Ukraine, contrairement à la France, il n’y pas que les couples mariés qui peuvent devenir famille d’accueil pour des orphelins. Les personnes célibataires qui ont suivi une formation spécifique et obtenu le statut approprié y ont aussi droit. Pour créer un centre familial, les futurs parents d’accueil doivent jouir d’une bonne réputation et d’une situation financière stable.
L’État, quant à lui, apporte à ces familles un soutien matériel, médical, social et éducatif. Le gouvernement fournit aux enfants placés en famille d’accueil un logement, des allocations sociales mensuelles pour chaque enfant, des soins médicaux adéquats, un soutien psychologique et une éducation gratuite dans les écoles secondaires et les établissements d’enseignement supérieur.
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« Le principal avantage est que les foyers pour enfants de type familial sont une famille. Bien qu’il s’agisse d’un foyer d’accueil, c’est toujours une famille. Ce sont des petits déjeuners faits maison, de beaux vêtements, une éducation de qualité et de bons moments passés ensemble. C’est aussi un exemple de famille saine, ce qui est important d’un point de vue pédagogique », estime Maryna Moruh.
Les choses deviennent plus difficiles dans les internats et les orphelinats d’État. Selon les données officielles, quelque 106 700 enfants vivent actuellement dans les internats ukrainiens. Parmi eux, 92,3 % ont au moins un parent et seulement 7,7 % sont orphelins. 17,3 % des enfants placés en institution sont handicapés. Selon les statistiques, près de 20 % des diplômés sont incapables d’acquérir une profession ou de trouver un emploi ; 41 % ont des problèmes de logement, et près de 20 % des anciens élèves sont poursuivis en justice.
Denys, un ancien élève d’internat, a accepté de partager son expérience de la vie en institution. Denys a étudié et vécu dans un internat pendant près de deux ans avant de déménager dans une famille d’accueil. Il a maintenant 21 ans et peut donc comparer les conditions de vie dans une institution et dans une famille, avec le recul. « Dans notre internat, il y avait un à deux éducateurs pour un groupe de 15 à 20 enfants, et personne ne s’occupait vraiment de nous, car c’était physiquement impossible.
Je me souviens d’une fois où mes amis et moi sommes allés jouer sur le terrain de football sur le territoire de l’internat sans tuteurs, nous avions 6 ou 7 ans à l’époque. Des seringues utilisées par des toxicomanes traînaient sur le terrain, et tout le monde le savait : des plus jeunes enfants à l’administration de l’établissement. Mais nous n’avions pas peur, et nous avons décidé d’en emporter une dans notre chambre en guise de souvenir et de la regarder. Ce n’est qu’un exemple de négligence et d’indifférence dans l’orphelinat, et il y a en fait beaucoup d’autres cas de ce genre ».
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Denys se souvient du manque total de distractions et de loisirs. « Il n’y avait qu’une pièce avec une télévision, mais nous n’avions pas le droit de la regarder. Seule une assistante de garde, qui était gentille avec nous, nous laissait regarder la télévision avec elle, mais seulement la nuit, car personne ne l’utilisait pendant la journée. Nous ne connaissions pas les mots « développement personnel » et « hobbies ». Ce n’est que lorsque j’ai rejoint la famille d’accueil que j’ai compris ce que cela signifiait de faire ce que l’on aime et de ne pas traîner à rien faire éternellement après les cours », confie Denys.
Malgré les avantages des familles d’accueil, il est encore difficile de passer systématiquement à ce mode d’éducation des orphelins en Ukraine. Des logements et des fonds sont nécessaires pour encourager et soutenir les familles qui souhaitent accueillir des enfants. « Un autre inconvénient majeur est qu’il n’existe pas actuellement de profession de « parents d’accueil » en Ukraine, de sorte que notre travail est considéré comme du bénévolat ; par conséquent, nous ne gagnons pas de salaire, ce qui signifie que nous n’aurons pas de pension à l’avenir. En fait, nous sommes considérés comme des chômeurs, bien que nous ayons travaillé pendant des années pour élever des enfants », explique Oleksandre Moruh.
Il ne faut pas oublier que la guerre en Ukraine a aggravé la situation des orphelins et des enfants privés de soins parentaux et augmenté leur nombre. Cette catégorie d’enfants est la plus vulnérable, c’est pourquoi ils sont le plus souvent déportés par les occupants russes. Ce n’est qu’après la fin de la guerre que l’on prendra conscience de toute l’ampleur du problème, mais dès maintenant il est indispensable d’avancer dans le bon sens : soutenir les courageux qui sont prêts à prendre en charge des orphelins, organiser des formations pour eux, trouver les fonds nécessaire pour encourager cette activité, et aussi régulariser le statut des parents d’accueil. Dans ce sens, l’expérience positive des autres pays serait d’une grande utilité.