Veronika Velch directrice d’Amnesty International en Ukraine

En Ukraine, les militaires se battent aussi pour pouvoir se pacser

SociétéGuerre
2 juillet 2024, 15:47

En Ukraine, d’après des sondages, plus de 70% des Ukrainiens sont favorables à l’égalité des droits pour les membres de la communauté LGBT. Cependant, il n’existe pas encore d’analogue au pacse français. Veronika Velch, directrice d’Amnesty International en Ukraine, s’exprime en faveur de tel changement.

Notre rencontre a lieu dans le centre de Kyiv. Nastya est en service maintenant dans la capitale et est en convalescence après une grave blessure. Au milieu d’une guerre interminable, car elle est allée au front pour la première fois au commencement de l’opération anti-terroriste. Maintenant elle parvient enfin à passer du temps avec la personne qu’elle préfère.

Mais si la blessure de Nastya, à Dieu ne plaise, avait été plus grave, si sa vie était menacée, son aimée, sa partenaire, ne serait pas autorisée à entrer dans son unité de soins intensifs. Selon la législation ukrainienne, elles ne sont absolument personne l’une pour l’autre. Pour Nastya, c’est cette absence de perspectives « légitimes » dans une vie de couple, et une situation dans laquelle des personnes ne peuvent pas acheter un bien immobilier ensemble, avoir des enfants et ne voient pas d’avenir ensemble qui détruit des vies.

La jeune fille ne commence pas son récit par l’importance du partenariat civil pour les militaires LGBT, ni même seulement pour la communauté LGBT+. Nastia se préoccupe des droits de tous les Ukrainiens : « La guerre fait rage. Tout le monde n’a pas des parents sur le territoire contrôlé par l’Ukraine ».

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Et c’est vrai. Le partenariat civil signifie la reconnaissance d’une personne proche comme un parent en ligne directe. Une personne qui sera en mesure de vous assister ou de prendre certaines décisions s’il vous arrive quelque chose. Dans le cas où les autres membres de votre famille se trouvent en territoire occupé ou à l’étranger, s’ils ont disparu ou s’ils sont morts… « Les familles biologiques peuvent avoir des tant de divergences, les gens peuvent ne pas avoir confiance en leurs proches », précise la jeune fille. « Mais chacun peut choisir son compagnon de vie ».

« Une de mes amies a une relation avec une jeune fille et se trouve dans le territoire contrôlé par l’Ukraine. Sa partenaire est le seul parent qu’elle puisse avoir. Mais l’État ne reconnaît pas cette relation », ajoute Nastya tristement.

L’Etat ne reconnaît non plus son choix. Une pétition en faveur des partenariats enregistrés pour les couples homosexuels et les couples hétérosexuels, à l’appui du projet de loi numéro 9103 « Sur la création des partenariats enregistrés », a été soutenue par plus de 25 000 citoyens l’année dernière. La collecte de ces signatures a été facile: d’après des sondages réalisés par l’Institut International de Sociologie de Kyiv, plus de 70% des Ukrainiens sont favorables à l’égalité des droits pour les membres de la communauté LGBT.

Le président de l’Ukraine a répondu à la pétition. Selon lui, « malgré les épreuves difficiles, l’État ukrainien s’efforce de se rapprocher des normes européennes ». Il a toutefois précisé que, selon la Constitution de l’Ukraine, le mariage se base sur le consentement d’une femme et d’un homme (article 51), et qu’il est impossible de la modifier en période de loi martiale ou d’état d’urgence (article 157). Cependant, il a proposé au Cabinet des ministres d’élaborer un texte de préparation au partenariat civil enregistré.

Lentement mais sûrement, le projet de loi s’avance. Le ministère de la Défense l’a récemment soutenu et le ministère de la Justice est sur le point de le faire.

Il est clair qu’il est nécessaire d’accélérer le processus. Pour le moment, il ne s’agit que de discussions du projet de loi, de sa conformité apparente avec l’article 8 de la Convention des droits de l’homme et des poursuites judiciaires contre l’Ukraine devant la Cour européenne. Cela dure depuis des années… Les personnes concernées se sentent sans protection, ce qui dérange, surtout quand il s’agit de nos défenseurs qui risquent leur vie quotidiennement.

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Nastya sourit, même si elle est triste. « Il y a des personnes LGBT dans l’armée et il y en aura d’autres. Et elles ont peur. Leur moral ne correspond pas à celui d’un soldat qui donne le meilleur de lui-même », explique-t-elle.

Elle poursuit qu’il est difficile pour tout le monde de revenir de la guerre. Il est difficile de comprendre pourquoi tu as fait la guerre et les gens autour de toi ne l’ont pas fait. Mais quand il s’agit d’une ancienne combattante lesbienne? « Elle est démobilisée de l’armée, rentre chez elle et comprend qu’elle n’a toujours aucun droit dans le pays pour lequel elle a perdu sa santé. Elle ne peut toujours rien faire. Sa petite copine qui est allée jusqu’au bout avec elle n’a aucun droit non plus. Elle ne peut pas devenir membre d’une famille de militaire » !

« Combien de mariages arrangés sont enregistrés actuellement? Combien de personnes se marient juste pour éviter d’aller à l’armée ? ». La question reste en suspens. « Nous avons rejoint l’armée de notre propre gré, mais nous ne pouvons pas légaliser la relation avec nos partenaires… »

Je ne sais pas quoi répondre. Mais je suis consciente que la véritable preuve du progrès social est la capacité à protéger et à soutenir chaque personne qui sert fidèlement son pays. Il faut que chaque militaire se sente protégé.