Olga Reshetylova : « Des procès historiques se déroulent actuellement devant les tribunaux ukrainiens »

Guerre
17 mai 2023, 14:28

Olga Reshetylova est cofondatrice et coordinatrice de l’Initiative des médias pour les droits de l’homme. Elle recueille des preuves pour les procès internationaux de criminels de guerre russes et participe activement à la recherche des personnes disparues.

Aujourd’hui, l’Initiative des médias pour les droits de l’homme et d’autres organisations ukrainiennes spécialisées s’adressent souvent à des partenaires internationaux pour leur présenter des preuves des crimes commis par les Russes, y compris des récits de personnes réelles, à savoir, des témoignages. Pourriez-vous citer des cas où ces recours se sont avérés efficaces ?

– En ce qui concerne les prisonniers, nous n’attendons pas à ce qu’une personne soit libérée des suites d’un événement. Nous, nous informons la communauté internationale sur les actions des Russes à l’égard de ces personnes. Cela permet d’exercer une pression sur la Russie. Parfois, cela peut aussi protéger les personnes illégalement détenues sur le territoire russe contre les mauvais traitements.

De plus, s’il s’agit d’otages civils, il n’existe aujourd’hui aucun mécanisme pour leur libération. Сe n’est pas prévu par le droit international. C’est pourquoi nous menons des campagnes. L’Ukraine et la Russie ne peuvent pas négocier la libération des otages civils, parce que nous n’avons pas de fonds. L’Ukraine ne détient pas de civils. Donc, il doit certainement y avoir un tiers impliqué pour les libérer.

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Notre association a identifié environ un millier de personnes dont le lieu de détention en Russie nous est connu, du moins approximativement. Mais il est possible qu’il y en ait au moins trois fois plus d’Ukrainiens civils dans les prisons russes. Pour beaucoup d’occidentaux, les otages civils sont une catégorie abstraite. Nous parlons du fait qu’en plus des simples déportés, qui sont relativement libres (peuvent probablement se déplacer sur le territoire et trouver un emploi en Russie), il y a des gens dans les camps et les centres de détention provisoire, auxquels personne n’a accès. Beaucoup d’hommes politiques et d’organisations européennes ne les prennent pas en compte. Nous avons parlé de cette catégorie, montré les lieux de détention, expliqué que nous avions demandé aux avocats russes de vérifier le SIZO n° 2 (un camp de rétention russe) dans la région de Briansk , car nous savions qu’au moins 640 Ukrainiens s’y trouvent. Mais les avocats se sont vus refuser l’accès.

– En tant qu’organisation, êtes-vous impliqués d’une manière ou d’une autre dans la communication avec la partie russe ? Peut-être pour confirmer l’identité des personnes retenues en otage ?

– – Nous ne communiquons pas avec la Fédération de Russie. Il y a des avocats de familles de civils pris en otage et des prisonniers de guerre qui écrivent des demandes aux organes officiels russes. Certaines de ces demandes reçoivent une réponse, mais souvent elles ne confirment même pas la présence de personnes sur le territoire russe. Certes, certains avocats russes qui s’y trouvent peuvent être utiles sur place, bien qu’il ne s’agit pas d’un travail systématique, mais plutôt d’un démarche auxiliaire – c’est-à-dire qu’ils n’ont accès à rien et sont très souvent soumis à de fortes pressions de la part de leur état.

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L’une de nos principales ressources est le recueil d’informations auprès des prisonniers de guerre libérés. Nous constatons que de plus en plus de personnes sont libérées [des lieux de détention] à l’intérieur même de la Russie. Au début, il s’agissait de territoires non loin de la frontière avec l’Ukraine : Briansk, Belgorod, Rostov. Maintenant, nous évoquons plutôt Toula, Riazan etc. Nous savons que certains des prisonniers de guerre sont détenus par Kadirov à Grozny. Même après la fin de la guerre, il sera très difficile de retrouver ces gens. Par conséquent, il est important de suivre non seulement les lieux où ils sont détenus, mais aussi leurs déplacements.

– Nous entendons souvent des commentaires sur l’inefficacité des structures comme le CICR. Pourriez-vous expliquer ce que le CICR et les Nations unies devraient normalement faire en Ukraine en ce qui concerne les prisonniers de guerre ?

– En fait, le CICR a été créé précisément pour garantir les droits des prisonniers de guerre, assurer la communication, avertir les proches et surveiller les lieux de détention. Aujourd’hui, le Comité international de la Croix-Rouge n’est pas en mesure d’assumer cette fonction. La Fédération de Russie enfreint tout simplement toutes les règles qui ont été créées après deux guerres mondiales et au-delà. Elle s’assoie sur le droit international humanitaire, niant tous ses principes. Nous pensons aussi que le CICR n’est pas très actif pour tenter d’accéder aux centres de détention. S’ils commencent à s’exprimer activement, la Russie leur fermera toutes les portes. Il y a peut-être une certaine logique dans ce raisonnement, mais cela fait longtemps que ça dure. Nous avons des informations sur les décès en captivité. Ils auraient pu être évités si le CICR ou la mission des droits de l’homme de l’ONU avaient été plus actifs. Mais ils se sont concentrés sur certaines questions humanitaires, pour lesquelles nous leur en sommes très reconnaissants également.

– La procédure par contumace est actuellement l’un des moyens de prouver la culpabilité de l’armée russe pour les crimes en Ukraine. Les verdicts par contumace prononcés en Ukraine, seront-ils reconnus par des tribunaux internationaux ?

– Il s’agit d’affaires relevant du droit ukrainien qui, bien entendu, influencent le déroulement des procédures internationales, mais il s’agit avant tout de la réponse de notre système judiciaire à l’agression russe. Et il n’y a rien de mal à ce que ces processus se déroulent par contumace. Dans de nombreux pays, de telles procédures existent déjà, elles sont appelées in absentia – un procès spécial en l’absence de l’accusé. Mais les standards lors de l’examen de tels cas sont encore très élevés, car une personne ne peut pas se défendre directement devant un tribunal. Par conséquent, le système judiciaire de l’État de droit doit garantir le droit à la défense autant que possible.

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Il est extrêmement important que les avocats nommés pour défendre les personnes accusées de crimes de guerre ou d’autres personnes liées au conflit armé en Ukraine fassent pleinement leur travail. Ceci est important parce que des procès historiques se déroulent actuellement devant les tribunaux ukrainiens. L’attention des meilleurs experts du monde est focalisée sur eux, et la légitimité de la justice concernant la guerre en Ukraine dépendra de la manière dont nous démontrerons notre capacité à examiner les dossiers de manière objective, impartiale et qualitative.

– A votre avis, quelle est la méthode appropriée pour amener les criminels Russes en justice ?

Dans notre Coalition Ukraine. 5 heures du matin les discussions sont en cours, et nous ne sommes pas encore parvenus à une réponse claire. Les uns estiment que le mieux pour l’Ukraine est un mécanisme hybride qui sera créé sur la base de la législation nationale. C’est ce que disent nos partenaires américains, par exemple. Il y a une certaine logique à cela, parce que la masse principale de l’enquête repose sur les épaules du système national. Par conséquent, nous devons renforcer les capacités de ce système. De plus, l’État ukrainien promeut l’idée d’un tribunal spécial concernant l’agression et se montre assez réticent à l’égard d’autres idées, telles que le mécanisme hybride – le président V.Zelensky l’a dit à plusieurs reprises. Lorsqu’il promeut le tribunal sur l’agression, l’État communique souvent comme s’il s’agissait d’un moyen de soumettre tous les criminels de guerre à la justice. Or, ce n’est pas vrai, parce que le tribunal chargé des crimes d’agressions l’enquête seulement sur le crime d’agression lui-même.

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Il est évident que l’agression est la cause première de tous les autres crimes, mais cela ne signifie pas que les autres crimes, un par un, feront automatiquement l’objet d’une enquête. Aujourd’hui, si je ne me trompe pas, nous parlons déjà de 84 000 cas de crimes commis dans le cadre du conflit armé en Ukraine depuis le 24 février 2022 seulement. Nous disposons également d’un grand nombre de cas enregistrés datant de 2014 et plus tard. On ne sait pas très bien qui va enquêter sur ces cas et comment. Tous les experts affirment qu’aucun pays au monde ne serait en mesure d’enquêter sur un tel nombre de crimes de manière suffisante. Il est donc évident que nous avons besoin d’aide. Quand nos partenaires discutent de la création d’un mécanisme hybride, cela peut avoir du sens. Notre travail consiste à documenter les crimes et à mener nos enquêtes civiques sur les droits de l’homme d’une manière qui soit utile à la justice, quel que soit le mécanisme.