Comment les femmes ukrainiennes recherchent leurs maris disparus au front

Guerre
27 avril 2023, 09:07

Elle a un sourire doux et une voix fatiguée. Ça fait treize mois que cette femme est sans nouvelles de son mari, disparu au front. Le 22 mars, l’époux de Lubov Gerasymiuk, un soldat de la 24e brigade mécanisée, a participé à la défense du village Popasna, dans la région de Louhansk. D’après la note explicative sur la disparition, on sait que le véhicule blindé, où se trouvait le soldat, a été touché par un missile antichar pendant la bataille. De suite, tout l’équipage de trois personnes a disparu.

« Les démarches de recherche sont très difficiles », raconte l’épouse du disparu. « J’ai d’abord déposé une demande au service secret (SBU), puis à la police, mais le dossier n’était pas enregistré définitivement que trois mois plus tard. Le département de Ivano- Frankivsk l’a transféré au département de Kyiv, et le département de Kyiv l’a transférée au département de Louhansk. Donc, ma demande a pas mal voyagé », explique Gerasimiuk.

Selon la loi ukrainienne, quand une personne disparaît, il faut produire deux documents pour établir le statut de la personne disparue. L’un d’eux est un extrait du Registre unifié des enquêtes préliminaires. « J’ai fait une demande à la police, une déclaration a été enregistrée, et dans la journée l’information est inscrite dans le registre. J’ai obtenu un extrait qui indique que la procédure a été ouverte », raconte la femme.

Le second document qui permet d’entamer les recherches est un rapport du commandant à l’unité militaire indiquant qu’un combattant a disparu sur le champ de bataille. Sur la base de ce rapport, une enquête interne est menée et une conclusion est formulée : soit un soldat a disparu, soit il a probablement été capturé.

« Quand un militaire disparaît, les proches reçoivent une notification de l’unité militaire ou du commissariat militaire », poursuit l’épouse du militaire ukrainien. « Je n’aurais probablement pas reçu la notification jusqu’à présent si je n’étais pas allé à Kyiv, Lviv et Yavoriv en décembre et ne l’avais pas trouvée au Commissariat militaire. Ce document n’était pas envoyé, parce qu’ils ont perdu mon adresse, bien que je sois venu personnellement à l’unité à de nombreuses reprises. Il ne maintenait ni adresse ni numéro de téléphone pour moi ou ma fille. Et pourtant mon mari ait rempli des questionnaires trois fois avant l’invasion ! » raconte Lubov.

La femme dit avoir reconnu son mari à deux reprises dans des vidéos provenant de chaînes Telegram russes. La première fois, c’était deux semaines après qu’il ait disparu. La vidéo a été enregistrée à la périphérie de Marioupol, où se trouvaient de nombreux prisonniers d’autres unités, y compris des marines.

Pour la deuxième fois, Gerasymiuk a trouvé une photo de la prison de Sukhodil (dans la région de Louhansk), où son mari était probablement détenu. « L’unité militaire où mon mari a servi m’a dit qu’elle n’avait pas de spécialistes capables d’identifier les personnes sur les photographies. On m’a conseillé de contacter le quartier général de coordination [pour le traitement des prisonniers de guerre] afin de trouver des spécialistes ayant cette expertise. C’est ainsi qu’ils m’ont assigné un consultant personnel », explique la femme.

Lorsque Lubov Gerasymiuk s’est personnellement rendu au siège de la coordination à Kyiv en décembre et a apporté la dernière preuve photographique en provenance de la prison, il s’est avéré que le dossier manque encore de pièces : « Devant moi, ils ont ouvert leur base de données. Cette grille contenait des informations selon lesquelles mon mari… est célibataire. Nous nous sommes mariés bien avant la guerre [à grande échelle]. Leurs données n’ont pas été mises à jour. Je n’ai reçu le rapport de l’enquête officielle que récemment, bien qu’un an se soit déjà écoulé depuis sa capture », raconte l’épouse du disparu.

Le chef des services de renseignements ukrainiens, Kyrylo Budanov, a déclaré que 90 % des prisonniers de guerre avaient été capturés par les Russes au cours du premier mois de combats, en mars 2022, ainsi que lors de la tragédie de Marioupol, lorsque les défenseurs du détroit d’Azov ont reçu l’ordre de sauver la vie de leur personnel et ont été contraints de se rendre. C’est très probablement le cas de l’époux de Lubov Gerasymiuk, qu’elle espère toujours retrouver sein et sauve.