Comment survivre après la mort d’un fils ? The Ukrainian Week a parlé de l’héroïsme et du sacrifice avec le prêtre Mykhailo Dymyd, le père d’Artemiy Dymyd, un officier marin supérieur des forces d’opérations spéciales des forces armées ukrainiennes, décédé d’une blessure mortelle le 18 juin dans la région de Mykolaïv. La conversation a eu lieu lors du voyage Lviv-Cherkasy-Mykolaiv, au cours duquel le père Mykhailo a tenté de se rendre à l’endroit où son fils est décédé. Il a pu rencontrer ses frères d’arme.
Le 21 juin, tout Lviv est venu dire au revoir à Artemiy, 27 ans. Selon le conseil municipal, il s’agissait des funérailles les plus fréquentées de la ville depuis le début de la guerre. Sa mère Ivanka a chanté une berceuse à son fils en guise d’adieu, ses sœurs et son frère ont recouvert le cercueil d’un parachute. Artemiy aimait les sports extrêmes. Il était au Brésil en train de sauter en parachute depuis la statue du Christ Rédempteur, au moment où la Russie envahissait toute l’Ukraine. Il a aussi traversé à moto une cinquantaine de pays dans le monde. Il a été membre de Plast (Scouts ukrainiens – ndlr) dès l’âge de sept ans, et lorsqu’il est retourné en Ukraine alors en pleine guerre, il a rejoint les forces armées, son surnom de scout « Kurka » est devenu son nom de guerre.
Mémoire du plus précieux
Mykhailo Dymyd – prêtre, théologien, scientifique, premier recteur de l’Université catholique ukrainienne – vit aujourd’hui temporairement en Belgique, où il est né. Il prend désormais soin de sa vieille mère. Mykhailo ne vient qu’occasionnellement en Ukraine. La tragédie s’est produite quand il était à Lviv, c’est alors qu’il a subi le coup du sort. « J’ai reçu un appel téléphonique du meilleur ami d’Artemiy. J’étais seul à la maison avec ma fille cadette, Emilia âgée de 14 ans. Je l’ai appelée et lui ai dit: serre-moi fort dans tes bras. Nous nous sommes étreints et j’ai dit: Artemiy est parti, Artemiy est mort. J’ai commencé à pleurer, et Emilia aussi. Puis elle a dit: « C’est la première fois que je vois mon papa pleurer. »
Pour certains, cela peut sembler étrange, mais en attendant la dernière rencontre avec leur fils, les parents ont réfléchi au meilleur moyen d’immortaliser sa mémoire. « Ivanka a présenté l’idée de créer une bourse d’étude à la mémoire d’Artemiy », explique le père, « je suis immédiatement allé voir le recteur de l’Université Catholique Ukrainienne (l’UCU) Bohdan Prah, et deux jours avant des funérailles, nous avions déjà diffusé l’annonce. À ce jour, nous avons collecté presque la totalité du montant de la bourse (75 000 $). Il existe aussi une autre bourse d’un donateur anonyme pour une durée de 10 ans. Autrement dit, nous avons deux bourses du nom d’Artemiy Dymyd. L’une est pour un étudiant de Plast, et l’autre, pour un étudiant de l’ UCU. »
Sur les traces de son fils
Le père a ressenti le besoin de se rendre à l’endroit où son fils a été tué, de rencontrer les gens qui étaient avec lui dans ses derniers instants et de voir le père du compagnon de guerre d’Artemiy, Pavlo Nakonechny (« L’historien »), qui a été tué en même temps. Pendant la guerre, la concrétisation de cette idée semblait presque irréelle. Mais il fallait essayer.
Avant de quitter Lviv, nous nous rendons sur la tombe d’Artemiy. En six mois de guerre, le cimetière nouvellement créé sur le Champ de Mars s’est agrandi considérablement. La tombe d’Artemiy est ornée de deux grands drapeaux rouges et noirs. Les foulards de Plast sont noués sur la croix, il y a des tournesols dans un vase. Après le service commémoratif, une jeune femme s’est approchée du prêtre. Son fils est enterré au rang suivant. Elle dit qu’une heure après avoir appris la nouvelle de la mort d’Artemiy, elle a appris que son fils était également décédé.
Avant d’aller à Mykolaïv, nous nous rendons à Tcherkassy pour rencontrer Yuriy (le père de « L’historien »). On ne sait pas quand il peut être envoyé au front, alors il faut se dépêcher. La connaissance des deux parents, dont les fils ont donné leurs vies pour la Patrie, semble nécessaire. Des familles de Lviv et de Tcherkassy sont désormais unies pour toujours par la mort de leurs enfants. Le père de Pavlo, comme le père d’Artemiy, souhaite également garder la mémoire de son fils héros et poursuivre son œuvre. Il y a deux ans, dans le légendaire Kholodny Yar dans la région de Tcherkassy, Pavlo Nakonechny, avec un groupe d’amis, ont fondé l’association « L’appel du Yar » et régulièrement organisaient des colonies des vacances pour les enfants. Pavlo était convaincu qu’ il était nécessaire de former une jeunesse responsable et consciente pour que l’Ukraine soit forte et prospère.
Ne laissez pas les héros mourir
« Quand je pense à la mort de mon fils, qui est mort pour la liberté de l’Ukraine, je remercie Dieu de pouvoir l’accepter », déclare le prêtre Mykhailo. « D’autre part, je réfléchis à la manière dont cela doit être interprété dans la culture de chaque nation. Dans notre tradition, parmi les exemples d’amour pour la Patrie, il manque des histoires modernes. Nous parlons principalement des Cosaques, des soldats de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (1942-1960 ndlr). Et à présent, de nouveaux héros apparaissent, et leurs histoires sont nécessaires. D’où venaient-ils, qui était leur famille, comment vivaient-ils, quels étaient leurs idéaux et comment ont-ils donné leurs vies pour la Patrie? »
« Les Ukrainiens ont cette formule d’auto-apaisement : les héros ne meurent pas, or, cette formule n’est-elle pas nocive? », ai-je demandé à Myhailo. « Est-ce une forme d’auto-illusion, derrière laquelle on veut cacher la douleur qui ne guérit pas ? »
« Aux funérailles d’Artemiy, j’ai dit que les héros meurent. Mais en mourant, ils laissent une graine, une idée, une action, une vision positive de l’avenir. Ils meurent physiquement, mais pas spirituellement, car ils laissent derrière eux un exemple qui sera suivi par les jeunes générations. Oui, la douleur, le sacrifice, la mort existent. Mais tout cela est le prix à payer pour être un héros.
« Ce serait de l’auto-illusion si nous laissions l’accomplissement de toutes les tâches à ces héros et à notre passé, poursuit le père Mykhailo. Par exemple, si on pense que, parce que nous nous sommes engagés dans le combat, nous vaincrons sûrement les Russkof. Parce que j’ai souffert, je peux accepter des pots-de-vin. Nous sommes un peuple héroïque qui, pendant des générations, a donné ses fils pour la liberté de l’Ukraine. Mais l’héroïsme n’a pas porté ses fruits à cette époque. Et l’une des raisons est que l’exemple des héros n’a pas été transmis au peuple. Ils ont été glorifiés, mais n’ont pas été imités, ce qui compromet la vérité.
Le présent est différent. Toute une génération de jeunes a déjà grandi dans l’Ukraine indépendante, et la voyait comme sa propre maison, dont il faut être propriétaire. Ces jeunes ont vu que leurs parents ne géraient pas très bien c’est pourquoi ils ont voulu changer cela. Ils ont commencé par eux-mêmes, et d’eux sont issus ceux qui sont des héros, qui se battent et donnent leur vie, qui influencent l’avenir – économique, historique et culturel. »
La volonté de se sacrifier
Je demande au père Mykhailo : « Est-il possible d’apaiser la douleur simplement en réalisant l’héroïsme de son enfant? Toute mort, aussi héroïque soit-elle, est une perte terrible. Surtout quand il s’agit de la mort d’un enfant bien-aimé. »
« Perdre un fils à la guerre est toujours une tragédie pour tout le monde », répond le prêtre, « surtout pour les parents ». « Je ne sais pas comment, avoue-t-il, je le vis positivement ». Cette phrase me déroute un peu, mais le père poursuit son propos: « Il y a trois phases dans la vie. La première se passe dans le ventre de notre mère, quand nous devons venir au monde. Ensuite, nous vivons sur cette terre aussi longtemps que Dieu nous donne du temps. Après la mort, la personne va à la vie éternelle dans le Royaume des Cieux. Et je crois profondément en cette transition. Quand je pense à Artemiy, mon fils, je suis sûr qu’il a vécu pleinement ici et qu’il était déjà prêt pour la transition vers l’éternité. Je suis convaincu que Dieu ne prend personne de cette Terre sans lui donner la possibilité de se préparer, de réfléchir à sa vie et, surtout, qu’il puisse partir un jour.
Oui, il y a encore un moment émotionnel de nostalgie quand je pouvais le toucher, le câliner. Cette nostalgie me fait-elle souffrir? Oui. Est-ce que je me sens vide? Oui. Mais est-ce que ça m’empêche de vivre? Non. Est-ce que ça m’enlève ma force? Au contraire, cela me donne de la force. En tant que chrétien, je suis sûr que quand Dieu bénit quelque chose, il le compense.
Quand Dieu a appelé Abraham et lui a dit: » Prends ton fils Isaac, emmène-le sur la montagne et offre-le en sacrifice. Avant cela, Dieu avait promis à Abraham qu’il deviendrait le père de toute une nation, et maintenant, il devait sacrifier son fils unique. Et Abraham était prêt à faire ce sacrifice. Ce n’est qu’au dernier moment qu’un agneau est apparu, et Dieu dit de sacrifier cet agneau. Cette volonté de sacrifier son fils est très importante. Si vous êtes prêt pour cela, vous recevez une bénédiction du Seigneur pour devenir le père de toute une nation. Ce sont des façons de pensée qui dévoilent une autre face de notre vie. Et si vous saisissez cela, alors la mort de votre fils devient vivifiante, elle apporte une nouvelle vie. »
Je demande, si le père Mykhailo était prêt pour le sacrifice? Etait-t-il conscient, quand Artemiy est parti en guerre, que tout pouvait arriver? « Il y avait de la compréhension, mais au niveau du subconscient, pas au niveau de la pensée consciente. En tant que prêtre, j’enterre les gens et parle des trois phases de la vie que j’ai déjà mentionnées. Quand on regarde le crucifix, on voit la mort, mais on ne croit pas à cette mort, mais à la Résurrection, à la vie qui vient après la mort. C’est une question existentielle: que ressentons-nous face à la mort? Si la mort est la fin, alors nous sommes pauvres. Si la mort est une transition, alors il y a une perspective complètement différente, de l’éternité. Et je pense qu’on vient sur cette terre pour l’éternité. »
Pour donner un sens à la lutte
Sur le chemin de Cherkasy à Mykolaïv, nous prévoyons de rendre visite à Dmytro, le plus jeune fils du père Mykhailo qui se bat aussi sur le front sud. Le prêtre lui apporte un drône tout neuf de la part de sa grand-mère, Lesya Krypyakevich. Ensuite, on nous attend dans la ville Korabeliv pour la nuit, mais, comme cela arrive parfois, quand on a l’intention de prendre un raccourci et d’aller tout droit, il faut s’attendre à des aventures. Non, nous ne sommes pas perdus. Malheureusement, nous n’avons pas pu continuer sur cette belle route pendant longtemps car elle a été détruite. Nous avons donc dû traverser de nombreuses fosses pour nous rendre à destination. Au poste de contrôle entre les villages des steppes, où nous sommes arrivés au milieu de la nuit, les garçons locaux ont sincèrement sympathisé avec nous et nous ont montré une piste secrète, beaucoup plus confortable et plus rapide à conduire. Cela nous a sauvé.
En général, notre voyage s’est avéré étonnamment réussi, nous avons eu la chance d’accomplir presque tout ce qui était prévu, ce qui, dans ces circonstances imprévisibles de guerre, semble souvent irréaliste. La seule chose qui ne sera jamais réalisée est de se rendre sur le lieu de la mort de « l’Historien » et de « Kurka », mais il y a une bonne raison à cela.
« J’ai fait le voyage dans la région de Mykolaïv comme une mission personnelle », dit le père Mykhailo, « pour avancer le plus loin possible vers le front jusqu’à l’endroit où mon fils Artemiy est mort, pour recueillir des preuves et des faits. Nous n’avons pas pu nous rendre sur le lieu où il a été mortellement blessé, parce qu’il y a encore des combats, mais nous avons retrouvé beaucoup de ses camarades, nous leur avons parlé, et cela nous donne beaucoup d’informations et de preuves. »
« Notre lutte est une lutte pour nous », déclare le prêtre. – C’est peut-être égoïste, mais on se bat pour vivre bien. Une histoire de héros modernes aidera la jeune génération à voir ces héros à côté d’eux. Des héros, dont ils peuvent entendre parler par des amis: « je l’ai connu, et je l’ai vu ». С’est très important. C’est déjà une attitude différente vis-à-vis de leur grade, c’est un niveau de compréhension différent. C’est presque le mien. Je serai le même. Je n’aurai pas peur. J’aurai une idée, je protégerai ma Patrie, je serai sage, observateur. J’aurai une idée, je protégerai ma Patrie, je serai sage, observateur. J’apprendrai et j’essaierai de donner un sens à cette lutte, afin qu’elle ne soit pas une question de sacrifice, mais d’avenir et de développement. »