Début mars, Kyiv avait entamé des négociations avec des partenaires concernant l’extension de l’accord sur le « corridor céréalier », qui supprime les obstacles à l’exportation de céréales ukrainiennes via la mer Noire. S’ils ne parviennent pas à un accord sur la prolongation, le contrat prendra fin le 18 mars.
Dans le même temps, la Russie exerce un chantage en se retirant de l’accord. « Nous assistons à une situation typique de pression croissante et de chantage de la part de l’État terroriste russe. Cela s’est passé déjà en novembre, et maintenant l’histoire se répète », a déclaré Olga Trofimtseva, ambassadrice du ministère des Affaires étrangères en mission spéciale, coordinatrice du Conseil des exportateurs et des investisseurs, lors d’une conférence de presse.
Dans ce contexte, le 7 mars, le site Internet du British Royal Joint Defence Research Institute (RUSI) a publié le document « Combattre la menace sous-marine : comment l’Ukraine peut lutter contre les sous-marins russes », signé Siddharth Kaushal, chercheur au RUSI sur la composante navale de la force militaire, et Kevin Rowlands, chef du Royal Naval Strategic Research Center. Les auteurs tentent de répondre aux moyens dont l’Ukraine a besoin pour contrer la flotte sous-marine russe en mer Noire. The Ukrainian Week/ Tyzhden.fr publie les principales thèses.
Au départ, Kaushal et Rowlands notent que l’Ukraine a obtenu un succès significatif en refusant à la Russie la possibilité d’utiliser sa flotte de surface pour bloquer l’Ukraine. Le naufrage du croiseur Moskva et la victoire dans la bataille de l’île aux Serpents en sont la preuve. Toutefois, une nouvelle tentative de blocage est probable si la guerre d’usure se poursuit.
« Dans cette optique, la Russie dispose d’autres options pour menacer l’économie maritime de l’Ukraine. Le risque posé par les mines marines est un des vecteurs ; un autre est l’utilisation de sous-marins, qui n’ont pas joué un rôle significatif dans le conflit jusqu’à présent » indique l’article.
La force sous-marine de la flotte russe en mer Noire, composée de quatre sous-marins des projets 636 et 877 (Kilo et Kilo amélioré selon la classification de l’OTAN), n’a pas encore été utilisée pour le blocage, mais seulement comme rampe de lancement pour les missiles Kalibr. Dans un avenir proche, les principaux événements se dérouleront sur le terrain, mais en cas d’impasse dans les combats terrestres, l’attention de la Russie pourrait se porter sur l’épuisement de l’économie ukrainienne.
« Dans une certaine mesure, on peut affirmer que Moscou n’a pas besoin de force militaire pour mettre en place un blocus de facto – un simple retrait de l’accord sur les céréales, par exemple, ferait grimper les taux d’assurance à des niveaux exorbitants. Cependant, deux scénarios alternatifs peuvent être envisagés. Premièrement, Moscou souhaitera peut-être augmenter les dépenses d’assurance sans payer le prix diplomatique de la sortie de l’accord. Les sous-marins de classe Kilo peuvent être utilisés à ces fins. Ces navires peuvent poser secrètement jusqu’à 24 mines marines chacun au cours d’un seul déploiement. Une attaque directe à la torpille serait plus risquée, mais il convient de rappeler le temps qu’il a fallu pour attribuer le naufrage du navire sud-coréen Cheonan à la Corée du Nord en 2010. Cela a pris quatre mois, alors que l’indignation internationale initiale s’était apaisée. Pour mettre en perspective l’impact de telles actions, en 2019, les taux d’assurance dans le détroit d’Ormuz ont été multipliés par dix après les attaques iraniennes à l’aide de mines magnétiques, malgré la mise en place d’un système de convoi, » écrivent les auteurs.
La deuxième menace qui provient des bateaux, comme indique le texte, est la poursuite des attaques de missiles contre l’infrastructure énergétique de l’Ukraine à l’aide de Calibres. Tout effort pour maintenir la viabilité à long terme de l’Ukraine dépendra de la capacité de son économie à se remettre au moins partiellement des effets de la guerre, et les lignes de communication maritimes ouvertes seront essentielles.
La guerre anti-sous-marine nécessite des compétences et une technique sérieuses. Il est peu probable que l’Ukraine reçoive des équipements trop coûteux et complexes tels que des avions de patrouille P-8 ou des frégates anti-sous-marines. Par exemple, la formation d’un aviateur sur l’hélicoptère Merlin de la Royal Navy britannique prend au moins 11 mois, et partout les installations de formation sont déjà pleines. Par conséquent, la résolution du problème des navires ukrainiens – du moins à court terme – nécessite des approches fondamentalement différentes et pas traditionnelles, concluent Kaushal et Rowlands.
Ces décisions doivent être fondées sur le fait que l’objectif de l’Ukraine ne sera pas de détruire les sous-marins russes, mais de bloquer leur efficacité. Les eaux peu profondes au nord de la mer Noire, qui est une zone d’intérêts économiques exclusifs de l’Ukraine, rendent déjà difficile l’utilisation de sous-marins, et les mines à distance américaines Hammerhead pourraient être ajoutées au dispositif ukrainien. « Ces mines peuvent être programmées pour rechercher certaines anomalies magnétiques, ce qui permet d’éviter les erreurs d’identification des cibles » souligne le rapport.
De plus, les drones combinés à des bouées hydroacoustiques et à des torpilles légères peuvent être utilisés pour poursuivre des sous-marins. C’est une voie qui est développée dans plusieurs marines, mais seulement à titre expérimental pour l’instant.
« Il n’y a pas de solution instantanée parfaite au problème des sous-marins. À long terme, après la fin de la guerre, l’Ukraine pourrait bien envisager la possibilité d’atteindre les objectifs fixés dans sa stratégie navale de 2019, notamment la restauration d’une flotte de surface capable d’un contrôle limité de la mer en temps de paix, ainsi que des missions anti-sous-marines au large de ses côtes et des missions de refus d’accès à la mer. Toutefois, s’il est peu probable que l’idéal de refuser l’accès aux sous-marins russes soit atteint, l’Ukraine peut imposer des conditions aux Kilo et à leurs opérateurs qui mettront la pression sur les navires et les équipages, même si la menace ne disparaît pas », concluent les auteurs.