Maksym Vikhrov ex-rédacteur en chef du journal Tyzhden

Le silence de Greta

Politique
6 juin 2023, 07:37

« Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses ! Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et de contes de fées qui prônent une croissance économique éternelle ! Comment osez-vous ? » – il y a trois ans ce court discours de l’adolescente de 16 ans à l’ouverture du Sommet Action Climat au Siège des Nations Unies à New York a fait de cette jeune militante suédoise, Greta Thunberg, une star mondiale du mouvement écologique.

Après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, Greta est venue devant l’ambassade russe à Stockholm avec une pancarte où était inscrit « Stand with Ukraine ». Depuis lors, plus rien, un silence total sur les crimes environnementaux des Russes. Au début de l’année 2023, alors que les pertes écologiques en Ukraine atteignaient déjà 48 milliards d’euros, Greta était occupée par une mission bien plus importante: elle protestait contre la destruction d’une demi-douzaine de maisons abandonnées dans un petit village de Lützerath, près de Cologne, dans l’ouest de l’Allemagne.

Même la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhovka a laissé l’activiste suédoise indifférente, bien qu’il s’agisse d’un acte d’écocide. Et s’agit-il seulement de Greta ? La condamnation de l’agression russe devrait devenir le principal sujet de protestation pour les éco-activistes du monde entier. Après tout, l’invasion de la Russie a provoqué la destruction d’écosystèmes entiers, dont beaucoup ont été détruits à jamais. Des forêts dévastées, des steppes écrasées par les obus, des sols empoisonnés par des métaux lourds, ne s’agit-il pas d’une catastrophe écologique, et ce, sans même considérer les conséquences de la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhovka ? Mais les activistes climatiques s’obstinent à ne pas remarquer ni l’éléphant dans la pièce, ni celui qui, du Kremlin, tente de lui couper la trompe. La jeunesse écologiste ne voit que les conséquences du réchauffement climatique.

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Et quoi encore? Devant les restrictions d’énergie causées par la guerre en Ukraine, les « capitalistes » ont décidé d’augmenter l’extraction du charbon. Mieux vaudrait acheter du gaz russe, n’est-ce pas, Greta ? On a vu depuis longtemps Moscou utiliser les « Verts » occidentaux dans la perspective de rendre l’Europe dépendante de son gaz. Mais ce n’est pas le Kremlin qui a donné naissance à la génération actuelle d’éco-activistes. Greta et ses partisans sont les enfants de la naïveté libérale de la fin des années 80 au 20e siècle. A cette époque, il était admis que tous les problèmes du monde pourraient être solutionnés par des réglementations, des programmes et des stratégies, et que le commerce était la meilleure garantie de paix. Toutes ces « grèves de lycéens », ces flash mobs et ces invectives sur Twitter ne sont rien d’autre que l’arsenal de rebelles habitant la planète des poneys roses, qui construisent des barricades de falafels et tentent de changer le monde à l’aide de hashtags. La plupart des éco-activistes font partie d’un monde illusoire dans lequel ils placent comme pires prédateurs les dirigeants des entreprises (toutes par nature supposées polluantes) et ceux qui n’ont pas encore adopté le scooter électrique.

Ils ignorent les dictateurs fous sur cette planète magique. Des dictateurs qui bombardent leurs voisins de milliers de missiles et provoquent délibérément des désastres environnementaux. Pour eux, la guerre n’existe pas, c’est de l’histoire ancienne, digne du temps des dinosaures. La seule guerre qu’ils connaissent est celle contre le « capitalisme consumériste ».

« Nous sommes maintenant à Davos, où les personnes qui alimentent le plus la destruction de la planète se sont rassemblés », a déclaré Greta en janvier 2023. « Sans une pression publique massive venant de l’extérieur, […] ils continueront à investir dans les énergies fossiles, ils continueront à sacrifier les gens pour leur propre profit ». Ma chère Greta, veux-tu voir comment les gens sont massacrés, font face aux chars et sont bombardés, sans qu’on puisse en comprendre le sens ou l’avantage? Certes, il est plus facile de troller les bourgeois ou les élites; et peut-être ceux-ci applaudiront-ils. On a parfois l’impression que les militants écologistes sont prêts à tout : verser de la soupe sur des tableaux dans les musées, taguer les monuments anciens et dégrader les fontaines – tout pour éviter d’aborder des sujets vraiment « majeurs ».

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Heureusement, l’année dernière, l’Occident a su dépasser les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Les grandes puissances ont compris que « la fin de l’histoire » n’avait pas eu lieu et que, le chemin vers la paix était d’abord de vaincre l’agresseur par la force armée. Combien de temps faudra-t-il aux activistes climatiques pour réaliser qu’il y a un lien entre l’élimination du régime génocidaire de Moscou et la préservation de l’environnement ?

C’est ainsi qu’on pourrait dire que les défenseurs les plus efficaces de l’environnement sont actuellement les forces armées ukrainiennes. En effet, la Russie de Poutine fait obstacle au processus civilisationnel et à la protection de l’environnement. Après la défaite de la Moscovie, le monde sera plus sûr et l’environnement plus salubre. Mais il est évident que cela se produira sans Greta.

Note de la rédaction: Deux jours après la tragédie, Greta Thunberg a commenté l’incident.  « Cet écocide, qui s’inscrit dans le prolongement de l’invasion massive et non justifiée de l’Ukraine par la Russie, est une atrocité de plus qui laisse le monde sans voix. Nos yeux sont une fois de plus tournés vers la Russie, qui doit être tenue responsable de ses crimes », a tweeté l’activiste. Les accusations de l’auteur à l’encontre de Greta Thunberg peuvent donc être considérées comme réfutées. Toutefois, la question de savoir si la réaction de Greta Thunberg était une réponse un peu obligée à l’indignation massive des Ukrainiens face à son silence reste ouverte.