De quel arsenal nucléaire la Russie dispose-t-elle et que disent les experts sur les perspectives de son utilisation contre l’Ukraine
L’intimidation du Kremlin par les armes nucléaires (NW) a une longue tradition. C’est Nikita Khrouchtchev, qui est à ses origines, c’est lui qui a proliféré des menaces «d’enterrer l’impérialisme» du haut de la tribune de l’ONU. En fait, le secrétaire général bluffait, car à cette époque, la veille de la crise des missiles de Cuba en 1962, Moscou ne disposait tout simplement pas d’un nombre suffisant de missiles balistiques nucléaires intercontinentaux (ICBM). Poutine, lui, s’est mis à faire chanter le monde avec sa « matraque » nucléaire au plus tard lors de l’annexion de la Crimée ukrainienne en printemps 2014. Depuis ce temps-là, les menaces du Kremlin d’avoir recours à des armes nucléaires sont devenues des « histoires à faire peur » habituelles. Cependant, la communauté des experts se pose de plus en plus la question de savoir ce que vaut réellement l’arsenal nucléaire russe.
Quel armement précisément la Russie possède-t-elle et en quelles quantités
Le potentiel nucléaire de la Russie, considéré jusque-là comme le deuxième au monde, pourrait s’avérer être un autre mythe tout comme celui de la « deuxième armée du monde ». Selon les estimations de la Fédération des scientifiques américains FAS (Federation of American Scientists), la Fédération de Russie possède le plus grand arsenal nucléaire au monde, qui comprend environ 5 977 000 ogives nucléaires. Parmi celles-ci, 1 588 sont déployées (812 installées sur les missiles balistiques basés à terre, 576 installées sur les missiles balistiques basés sur des sous-marins, 200 de plus se retrouvent sur des bases aériennes stratégiques), 977 sont entreposées et il y en a en plus 1 912 munitions tactiques (10-100 kilotonnes). 1 500 ogives de plus doivent être démantelées.
Les forces de frappe nucléaire russes se composent de trois éléments principaux : les forces de missiles stratégiques basées au sol, la marine et l’aviation stratégique : au total 499 vecteurs stratégiques capables de transporter jusqu’à 1 900 ogives nucléaires. 305 d’entre elles (1 126 de propelgols) sont des missiles balistiques stratégiques basés au sol: stationnaire UR-100N UTTH, R-36M2 « Voevoda », R-2PM2 « Topol » et « Yars-M » et mobiles – RT-2P « Topol « , RT -2PM2 « Topol-M » et « Yars ».
La composante navale des forces armées russes compte jusqu’à 800 ogives nucléaires, qui sont transportées par 12 sous-marins nucléaires aux missiles balistiques basés en mer (SNLE) des projets 667BDR (1 unité), pr.667BRDM (6) et pr.955 (5 ).
La composante d’aviation comprend 65 bombardiers stratégiques Tu-160, Tu-95MS et Tu-22M3, qui peuvent porter jusqu’à 200 missiles de croisière à longue portée. Les plus modernes d’entre eux sont les Tu-160 (12 KR X-55 ou X-101/X-102). Aujourd’hui, ces avions attaquent l’Ukraine avec des missiles de ce type à la charge non-nucléaire depuis l’espace aérien de la Biélorussie, depuis la partie nord de la mer Caspienne ou depuis la région de Volgodonsk. Techniquement parlant, rien n’empêche de lancer un missile à l’ogive nucléaire à partir de là.
Il est à noter que les forces nucléaires stratégiques de la Fédération de Russie ont été mises en place dans le contexte d’un bras de fer mondial entre l’URSS et les États-Unis, elles prévoient non seulement une grande capacité de charges, mais aussi un côté d’emploi bien particulier. La trajectoire du vol des missiles balistiques russes a une longue portée minimum, et pour toucher une cible sur le territoire ukrainien les Russes doivent tirer ces missiles depuis le Kamtchatka.
Or, pour viser l’Ukraine, le Kremlin ne dispose que l’arme nucléaire tactique destinée à effectuer des tâches tactiques et opérationnelles, et avec laquelle Poutine fait chanter le monde entier. L’arme tactique que la Fédération de Russie a également héritée de l’URSS, était constituée dès le départ d’un grand nombre de bombes d’aviation, d’obus d’artillerie, d’ogives de missiles, de mines, de torpilles, de grenades sous-marines, etc. L’arme nucléaire tactique est stockée dans des entrepôts à la disposition de la 12e direction générale 12e du ministère de la défense de la Fédération de Russie.
Selon les estimations de la communauté des services de renseignement américain, il s’agit d’une quantité bien précise d’ogives nucléaires de l’arme nucléaire tactique russe prévue pour certains types de vecteurs. En particulier, jusqu’à 70 unités pour « Iskander-M », 20 unités pour « Iskander-K » avec le missile de croisière de surface R-500 et jusqu’à 25 unités (missiles anti-navire Oniks) pour le système de défense côtière « Bastion ».
En ce qui concerne les missiles de croisière portés par les vecteurs aéroportés, il s’agit d’environ 580 ogives nucléaires pour les missiles Kh-55 et Kh-102 (analogues non nucléaires des Kh-555 et Kh-101). À cela, on ajoutera 500 bombes nucléaires à chute libre, plus 10 charges nucléaires pour les missiles de croisière hypersoniques Kinzhal. Les avions (TU-22M3, SU-24M, SU-34, SU-30SM, Su-35S, MiG-31K) peuvent leur servir de moyen de lancement.
De plus, selon le SIPRI, 290 charges à une ultra-basse puissance (1 kilotonne) pour les missiles anti-aériens S-300 et S-400 devraient être considérées comme appartenant à la catégorie tactique. 935 autres ogives nucléaires sont répertoriées sans tenir compte de leurs moyens de lancement sur des missiles tactiques et des torpilles de la marine russe.
Il est important de savoir qu’aucun des vecteurs spécifiés ne garantit à l’agresseur avec une certitude absolue que l’objectif soit atteint compte tenu du niveau élevé de pertes et du taux d’accidents des missiles eux-mêmes, qui n’atteignent pas tous le sol de l’’Ukraine et ne touchent pas la cible, même s’il s’agit de nouveaux « Iskanders » balistiques. De plus, la destruction d’un missile avec une tête nucléaire en l’air ne devrait pas se traduire par une explosion nucléaire, bien que la présence de fragments radioactifs de la charge dispersés dans une certaine zone nécessitera des mesures pour les localiser et les désactiver.
Les armes nucléaires tactiques ne peuvent pas être utilisées inopinément, cela doit être précédé d’un long enchaînement, à commencer par la décision à l’utilisation imminente des armes nucléaires tactiques (par opposition aux forces de dissuasion nucléaire stratégique).
La Russie possède 40 installations de stockage d’ogives nucléaires sur son sol. Pour amener le vecteur dans un état de préparation au combat (avion, lance-roquettes, etc.), la charge nucléaire doit y être emmenée. Mais tout mouvement de charges contenant une radiation nucléaire sera immédiatement fixé par le renseignement technique occidental, ce qui aura de graves conséquences pour la Fédération de Russie.
En cas d’explosion nucléaire, ses conséquences peuvent affecter les territoires de nombreux pays, y compris de la Fédération de Russie elle-même. Les États-Unis et l’OTAN ont déjà averti le Kremlin de l’inadmissibilité de l’utilisation d’armes nucléaires sous quelque forme que ce soit. Et en cas de violation de cette interdiction, la Russie recevra une réponse rapide et sévère.
En réponse à la manifestation non-déguisée de la Fédération de Russie dans l’espace médiatique de sa disposition à entamer la guerre nucléaire (accompagnée de discours officiels prônant l’inopportunité d’un tel scénario), l’Occident, en la personne des États-Unis, réagira de manière catégorique et rapide.
Selon l’ancien directeur de la CIA, David Petraeus, il s’agira d’une « contre-frappe avec l’emploi des armes conventionnelles ». C’est le scénario de la doctrine du « Rapid Global Strike » adoptée aux USA. Il est supposé que pour neutraliser 80 % du potentiel nucléaire de la Fédération de Russie, il suffit de frapper en quatre points critiques : la ville de Gadjievo (région de Mourmansk), la ville de Vilyuchinsk (Kamtchatka), la base aérienne stratégique d’Engels (région de Saratov) et la base aérienne stratégique d’Ukrainka (région de Amourskaya). Le reste des complexes mobiles des missiles balistiques (« Topol » et « Yars ») sera éliminé à l’aide d’armes de haute précision. En même temps, à partir des estimations, on prétend que la probabilité du dommage porté aux Etats-Unis et leurs alliés sera proche de zéro lors de « la frappe de prévention ».
A propos des risques de l’utilisation de l’arme nucléaire par le Kremlin
Cependant, la guerre contre l’Ukraine peut être interprétée à Moscou comme « être ou ne pas être », or la menace d’utilisation des armes nucléaires existe. La politique russe de dissuasion nucléaire prévoit que les armes nucléaires peuvent être utilisées, y compris en réponse à une attaque conventionnelle qui « menacerait l’existence de l’État ». Le danger est que le Kremlin peut interpréter cette menace de différentes manières : de fait, comme bon lui semble. Après tout, le déroulement de la guerre en Ukraine qui ne peut que le frustrer constitue pour Poutine une menace imminente pour lui en personne. Et il peut éventuellement interpréter les armes nucléaires comme l’argument final.
Dans ce dernier cas, deux scénarios sont envisageables : l’utilisation démonstrative et de combat (au front) de l’arme nucléaire. Par exemple, l’expert polonais Artur Kaspzyk estime que les Russes peuvent utiliser leur arme nucléaire en Ukraine de façon limitée pour faire jouer les muscles et intimider l’ennemi, en faisant exploser une charge nucléaire dans une zone peu peuplée. Dans le cadre du deuxième scénario, le Kremlin peut utiliser l’arme nucléaire directement sur le front. Selon l’expert, un tel scénario peut se réaliser si l’Ukraine tente de restituer la Crimée occupée par la force. Et selon l’évaluation de l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW), il est possible également dans le cas de l’effondrement du front russe et de l’avancée incontrôlée des forces armées d’Ukraine dans toutes les directions. Cependant, les deux scénarios ne fournissent aucune garantie que même après cela, l’Ukraine cède à l’agresseur.
Il n’existe actuellement aucun consensus sur le risque que la Russie utilise des armes nucléaires tactiques. Ainsi, selon Malgozhata Bonikowska, chef d’un think tank et du Centre des relations internationales de Varsovie, Poutine pourrait recourir à l’utilisation des armes nucléaires tactiques, mais seulement lorsque toutes les autres possibilités s’avèrent être épuisées. Selon elle, le président russe « se bat désormais pour le pouvoir et pour sa propre vie ».
Et si les précédentes menaces russes de lancer une frappe nucléaire tactique visaient à dissuader les États partenaires de fournir de l’aide à l’Ukraine, les déclarations actuelles de Poutine indiquent un changement d’orientation et le désir de la Russie d’utiliser des armes nucléaires pour empêcher la défaite à l’est et forcer l’Ukraine à se rendre. Autrement dit, l’objectif est de mettre fin à la guerre des conventions selon ses propres termes. Il s’agit d’une tactique classique bien connue du Kremlin (« escalade pour désescalade »).
Mais les experts américains estiment que la menace d’utilisation d’armes nucléaires tactiques par la Fédération de Russie reste peu probable, et le chantage nucléaire de Poutine est plutôt un signal pour que l’Occident arrête de soutenir l’Ukraine.
De l’autre côté du miroir dangereux de Poutine
Aujourd’hui, la Russie ne produit pas les derniers modèles d’armes nucléaires, de sorte que certaines ogives ont un âge plutôt respectable de 50 à 60 ans, de sorte que leur efficacité est plutôt relative. L’arme nucléaire de défense tactique russe n’a pas été mise à jour depuis l’époque de l’URSS, et son potentiel ne faisait que diminuer. Ainsi, les munitions d’artillerie nucléaire de calibre 152 mm et 203 mm de la Fédération de Russie ont été mises hors service en 1995-1997 et éliminées en 2000.
Les derniers essais nucléaires ont eu lieu à la veille de l’effondrement de l’URSS en 1990, lorsqu’une détonation souterraine groupée de huit charges d’une capacité totale de 70 kilotonnes a été effectuée sur le site d’essai de Novaya Zemlya. La vérification de l’état de préparation réel des lanceurs s’effectue généralement en tirant la fusée la plus ancienne: si elle remplissait sa tâche, la durée de vie était prolongée. Si ce n’est pas le cas, la prochaine fusée est lancée jusqu’à ce qu’un lancement réussi ne se produise et ainsi de suite.
Le missile balistique russe « Topol-M » le plus moderne (développé par l’usine de Sud « Yuzhmach ») a été privé de maintenance de routine prévue (tous les 2 ans) en raison de la rupture des relations avec l’Ukraine après 2014, son état technique réel est donc inconnu. De plus, le plutonium dans les ogives de missiles doit être remplacé de temps en temps, mais on ne sait pas si les Russes le font par eux-mêmes et à quelle fréquence.
Le 1er octobre, un avion de chasse supersonique lourd MiG-31K transportant un missile hypersonique Kinzhal est tombé pendant le décollage et s’est écrasé sur la base aérienne de Belbek dans la Crimée temporairement occupée. Il s’agit de la troisième perte de MiG-31 en Fédération de Russie depuis le début de l’année. Le 8 avril, un MiG-31 s’est écrasé dans la région de Leningrad de la Fédération de Russie, et le 29 janvier, également au décollage, il est sorti de la piste et un autre s’est détruit également déjà dans la région de Novgorod de la Fédération de Russie.
Enfin, en décembre 2020, à l’aérodrome de Taganrog-Sud (région de Rostov), des inconnus ont volé dans l’avion de contrôle stratégique Il-80 aux alentours de 39 à 60 unités secrètes d’équipements radio-électroniques et 5 cartes électroniques. Par conséquent, ce point de contrôle aérien pour les actions des forces armées de la Fédération de Russie pendant le conflit mondial était hors service et n’a pas pu être restauré. L’enquête n’a jamais permis de savoir s’il s’agissait d’un banal vol de matériel destiné à la revente ou d’une action de services spéciaux étrangers. Un chômeur de 36 ans a été « désigné » coupable de tout, il a été contraint d’assumer s a faute et a été condamné à 10 ans de prison ferme. Telle est la réalité d’un pays agresseur corrompu, où tout a été saccagé totalement, même des éléments des forces nucléaires stratégiques.
Ce qui précède suggère qu’en fait, l’arsenal nucléaire de la Fédération de Russie constitue un danger principalement pour lui-même. Dans de telles conditions et selon des principaux indices, on ne peut que parler de la capacité de combat de la « triade » nucléaire plutôt relativement. Bien qu’il soit probablement trop tôt pour rejeter complètement le danger de l’utilisation d’armes nucléaires par le Kremlin.