Khrystyna Chabat: « Les enfants sont le miroir de leur parents »

Société
20 mars 2023, 15:05

En Ukraine, 75 % des enfants ont subi des traumatismes psychologiques dus à la guerre, les symptômes les plus courants étant des “fluctuations émotionnelles ».

« Trois quarts des enfants ukrainiens (75 %) présentent des symptômes de traumatisme psychologique, » révèle une étude récente menée par la société d’analyse Gradus Research. Un enfant sur cinq souffre de troubles du sommeil, et un sur dix d’une diminution du désir de communiquer, de cauchemars et de troubles de la mémoire.

Pour soutenir les parents et réduire le niveau de stress des enfants, l’UNICEF publie régulièrement des conseils sur la santé mentale et physique, la sécurité, la nutrition, l’éducation et le développement. Plusieurs centres d’aide psychologiques ont vu le jour, dont le Centre pour la dignité de l’enfant à l’Université catholique ukrainienne (UCU). Notre correspondant s’est entretenu avec sa directrice, Khrystyna Chabat.

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« Les conversations qui ont lieu à la maison, à l’école entre camarades de classe, la réaction et le stress des parents, tout cela affecte les enfants », rappelle-t-elle. Les chercheurs de l’UCU dirigés par Anastasia Chyroka ont conclu que l’état émotionnel des parents est en corrélation avec l’état émotionnel de leurs enfants. Si les adultes sont capables de se contrôler, de connaître les techniques d’auto-apaisement, les enfants sont aussi plus calmes. Si, au contraire, ils parlent constamment de problèmes et paniquent, le comportement des enfants se détériore et ils se sentent moins en sécurité.

« Habituellement, les psychologues travaillent séparément avec les adultes et les enfants. Mais quelques fois, pour un bon résultat, il faut avoir recours à la thérapie familiale. Auparavant, il n’existait qu’un seul protocole pour le suivi des enfants touchés par la guerre. Mais aujourd’hui, tout est changé. Les enfants ont besoin d’un psychologue ou d’un psychothérapeute. Surtout ceux qui n’ont pas seulement vécu pendant la guerre, mais qui ont subi traumatisme profond. Comme par exemple, voir leurs parents tués, être maltraités ou être témoins de maltraitances ou d’abus. Cependant, les enfants finiront par oublier leurs peurs actuelles, car leur cerveau est plastique », explique Khrystyna Chabat.

Pour aider les enfants à surmonter les traumatismes, la participation à des actions de bénévolat peut être un remède efficace. De cette façon, un traumatisme devient plus facile à vivre. L’enfant trouve sa place dans le monde et se sent utile. Il ne se considère plus comme une victime, mais comme un « aidant ». Être dans l’action en apportant sa contribution à la société lui permet de également de (re)construire une image positive de soi-même.

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Les enfants qui ont eu à subir la morsure terrible de la faim peuvent surmonter ce traumatisme. A charge pour les adultes de les aider à se sentir à nouveau en sécurité et leur montrer qu’on s’occupera d’eux. « Il est normal que les enfants réagissent à ce genre de traumatismes en cachant de la nourriture. Nos proches ont fait ça toute leur vie. On souffle sur le pain qui tombe, on finit toute son assiette et, même si les fins de mois sont difficiles, pour les fêtes on cuisine tant de nourriture qu’il y a des restes pour toute une semaine. À cause des traumatismes historiques que nous avons subis – le Holodomor (la grande famine organisée par l’Etat soviétique au début des années 1930 et ayant entraîné la mort de plusieurs millions de personnes – ndlr), deux guerres mondiales, nous avons peur d’avoir faim, c’est inscrit dans notre mémoire génétique, » explique Khrystyna Chabat.

La façon dont les enfants perçoivent un signal d’alarme influe sur la réaction des adultes qui les accompagnent. La tâche principale des parents est de ne pas paniquer, d’apprendre à respirer, rester calme et de montrer l’exemple à leur enfant. Les psychologues conseillent également de mettre de la musique douce, de danser, de jouer, – de tout faire pour réduire le niveau de stress.

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« Dans notre société existait un schéma narratif persistant : la victime est responsable de ce qui lui est arrivé. J’espère que ça va changer avec la guerre. Nous voyons clairement que c’est toujours l’agresseur qui est à blâmer. Il faut que l’idée se répande qu’une victime n’a pas à avoir honte, mais qu’au contraire il est important d’accepter de parler de ce qui vous est arrivé. Alors la société deviendra plus tolérante à l’égard des personnes traumatisées », conclut Khrystyna Chabat.

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Le Centre de l’UCU pour la dignité de l’enfant est un établissement essentiel d’expertise, d’éducation, de recherche dans la lutte contre la violence à l’égard des enfants en Ukraine. Il organise de nombreux programmes éducatifs, des formations et des conférences, et apporte une aide ciblée aux enfants et aux parents dans le besoin. Il s’agit essentiellement de personnes déplacées de l’est du pays qui ont été forcées de fuir les occupants vers les régions occidentales de l’Ukraine.

L’article a été écrit dans le cadre d’un projet commun de The Ukrainian Week et de l’école de journalisme et de communication médiatique de l’université catholique ukrainienne.