Les effets souterrains de la guerre: le syndrome de stress post-traumatique

Société
17 janvier 2023, 17:44

L’impact de la guerre n’est pas seulement celui qui s’illustre au quotidien et de façon spectaculaire par les destructions, les bombes et la mort; c’est aussi dans le temps long que les séquelles des combats dévoilent leurs néfastes influences.

Lors de la grande guerre de 1914-18, certains psychiatres ont été alertés par le comportement d’un grand nombre de soldats incapables de reprendre le combat sans qu’ils puissent invoquer pour cela  des atteintes physiques.

Les autorités militaires y virent d’abord le manque de courage, la fuite face à un ennemi, voire la manifestation de la trahison et y répondirent par la répression. Des condamnations « pour l’exemple » furent prononcées; elles conduisirent à de nombreuses fusillades de soldats pour désertion.

Ainsi méconnue par leurs chefs militaires, qui n’y voyaient que de la lâcheté, la souffrance psychique des combattants, exprimée par des symptômes particulièrement intenses et identifiables, fut en revanche reconnue comme « névrose de guerre » par ceux qui avaient déjà rencontré et traité des comportements  névrotiques, qui leur semblaient proches, dans une pratique médicale dont la psychanalyse naissante avait ouvert la voie; son abord pouvait permettre la compréhension de symptômes insurmontables par la simple bonne volonté de leurs patients. La détresse psychique des soldats put alors être considérée et reconnue au même titre que les blessures visibles. Sans développer l’apport fécond des premiers psychanalystes, notons qu’ils furent nombreux à participer aux recherches, aux études et au succès de certains traitements de même qu’à la diffusion de l’idée de traumatisme psychique.

Les répercussions des traumatismes, de quelque nature qu’ils soient, ont occupé des places et des significations variées dans l’histoire des différentes civilisations; mais ce n’est qu’au XIXème siècle que l’importance prise par l’exploration psychique a donné sens à certains phénomènes. Elle a permis dans certains cas pathologiques d’isoler les symptômes et de poser un diagnostic.

En affinant l’étude de ces symptômes, conséquences des grands traumas dont le XXème siècle s’est nourri (en particulier les grandes guerres meurtrières avec leurs millions de victimes civiles et militaires), on est passé de la « névrose traumatique » au « trouble de stress post-traumatique ».

Les occasions de traumatismes (personnels ou collectifs: viols, ruptures familiales, humiliations, persécutions, mort d’une personne aimée, accidents, attentats terroristes, catastrophes naturelles,   combats etc.) se rencontrent fréquemment au long d’une vie mais jamais elles ne se déploient autant et avec un nombre aussi considérable de personnes que dans les grands conflits guerriers. Personne ne peut s’y soustraire; le SSPT se développe indépendamment de l’âge et du sexe.

Les combattants sont soumis à un stress permanent; sur le champ de bataille, la menace est partout. La vigilance ne connaît pas le repos. Le risque de blessure, la confrontation avec la mort (celle des autres et la sienne) alimente une anxiété endémique. Le  « S.S.P.T. est une réaction normale à des circonstances anormales, » – explique Anna Vovk, psychologue dans un hôpital militaire.

On retrouve dans le SSPT ces différents facteurs, mais avec une intensité telle qu’elle a débordé la capacité d’adaptation du sujet. L’évènement traumatique (ou vécu comme tel) cause un choc émotionnel extrême qui ne permet pas d’en assimiler l’expérience.

Le trouble sévère qui se manifeste alors met le sujet dans un état de confusion anxieuse produisant immédiatement des effets de perte de contrôle, des crises de panique et un sentiment d’impuissance devant une menace de mort imminente.

Les symptômes qui se développent se traduisent souvent par des cauchemars faisant revivre de façon presque hallucinatoire le traumatisme vécu; des pensées obsessionnelles envahissent la conscience; des crises d’angoisse réactivent parfois des traumatismes antérieurs. Le sentiment intense de détresse psychique donne lieu à des altérations profondes de la vie sociale, professionnelle et intime, aboutissant quelquefois à l’errance, la drogue et la boisson, la précarité, l’isolement et même le suicide.

Les études sur le SSPT révèlent que les symptômes d’un traumatisme apparaissent chez 60 à 80 % des militaires qui ont été témoins du décès de leurs camarades et chez des civils confrontés à la proximité de la mort. Le risque de symptôme post-traumatique concerne aussi les jeunes militaires (de 18 à 24 ans) qui réagissent par des symptômes de dépression. Les recherches des psychologues les ont amenés à constater des troubles spécifiques. Ils décrivent en particulier le regard vide et égaré de soldats qui ont instauré une barrière émotionnelle face aux horreurs rencontrées. Il s’ensuit souvent une dépendance aux drogues et à l’alcool.

Les Ukrainiens sont en guerre depuis 2014 (dans le Donbass). Ils se sont heurtés dès cette date à l’existence alarmante du syndrome de stress post-traumatique. Les soldats ayant besoin d’une aide psychologique étaient nombreux sur le front (de l’ordre de  20 à 40 %). Mais tous ne demandaient pas d’aide. La crainte du jugement de leurs camarades, l’appréhension devant l’éventualité que leurs symptômes soient considérés comme des aveux de faiblesse et de lâcheté les retenaient, de même que le risque de voir leur carrière militaire en souffrir. Les symptômes du SSPT se manifestent chez environ 12 à 20 % de militaires qui ont été blessés au combat et qui n’ont pas souhaité une aide psychologique. Les motifs sont divers. Andriy Kozinchuk, psychologue militaire, note que certains refusent catégoriquement tout traitement. Dans ce cas , il préconise de faire appel à un militaire ayant vécu une expérience similaire.

Les Ukrainiens se sont préoccupés très tôt du bien-être psychique des combattants: la présence de psychologues dans l’armée est essentielle. «Dans les rangs de l’armée ukrainienne il y a des psychologues militaires qui peuvent assurer un soutien  psychologique d’urgence au plus près de la ligne de front. Ce soutien peut également être proposé par les commandants d’unité, les aumôniers, les camarades, les équipes mobiles de soutien psychologique » relate Anna Vovk.

Le nombre de centres de psychothérapie pour militaires continue d’augmenter depuis 2014, c’est-à dire, depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine. Anna Vovk indique qu’existent désormais des services de réadaptation dans les centres médicaux publics (comme le centre clinique médical militaire de la région occidentale de l’Ukraine, le dispensaire neuropsychiatrique régional de Lviv, l’hôpital régional de Lviv pour les anciens combattants, l’hôpital d’urgence, le Centre de santé mentale « Lisova polyana », le centre municipal de crise de Kyiv, « Sociothérapie », « Fenix », « Veteran Hub », « Les portes ouvertes », « La Maison des vétérans », « L’oiseau bleu » et beaucoup d’autres. Ils assurent les soins médicaux des combattants et de leur famille. Ce sont des professionnels ayant reçu la formation médicale appropriée qui travaillent  dans ces institutions; il leur est demandé d’avoir deux ans d’expérience clinique auprès de militaires.

Ces centres mettent en oeuvre, avant toute véritable thérapie, un accueil rassurant et bienveillant. L’expression des émotions, qui est souhaitable, ne peut en général venir que peu à peu; bien souvent, par exemple, la «culpabilité du survivant », n’apparaît consciemment qu’après un temps,  avec un questionnement douloureux (pourquoi est-ce moi qui suis vivant? Comment en ai-je réchappé?).

L’aide de l’entourage, de la famille, des amis, est importante et peut être sollicitée: « Dès que le syndrome est diagnostiqué, les proches de la victime peuvent la soutenir, lui donner la possibilité de faire ce qu’elle aime et ce qui lui procure du plaisir, précise Anna Vovk. La clé de la communication avec la victime est de lui redonner la confiance en soi et de lui manifester affection et compréhension. Néanmoins, le psychologue militaire Andriy Kozinchuk, met en garde contre   toute manifestation de pitié exagérée, entendue comme condescendante, voire méprisante.

Les nombreuses guerres, précédées par l’expérience de la première guerre mondiale, qui a permis pour la première fois de le repérer, ont malheureusement multiplié les occasions d’observer les ravages du syndrome de stress post-traumatique chez les vétérans. Mais les erreurs du passé ont pu être évitées et l’Ukraine s’est appuyée sur les acquis et les savoir-faire antérieurs; elle s’est efforcée d’anticiper les risques de SSTP, de prévenir et de reconnaître les signes d’un malaise alarmant.

Depuis 2014, ces efforts ont été assurés surtout par des volontaires. Les choses sont en train de changer grâce à l’aide de spécialistes du monde entier. Plusieurs méthodes sont à l’étude, entre autres un programme de thérapie de groupe; ce sont des projets spécialisés destinés aux militaires. Ils ont été mis en place en Ukraine récemment, peu avant la grande invasion de 2022. L’expérience ukrainienne pourra à son tour servir à secourir les victimes d’autres conflits armés dans le monde.

Notons enfin que la conscience de se battre pour la souveraineté de son pays, pour la sécurité de sa patrie, et pour sa liberté, influe sur le moral des soldats et les protège en partie contre le tourment et les troubles psychiques.

 

L’article est rédigé dans le cadre d’un projet commun de «Tyzhen» et de l’Ecole de journalisme et de la communication médiatique d’Université catholique d’Ukraine.