Après l’invasion totale de l’Ukraine, le nombre de militaires est passé de 260 000 à 880 000. Le ministère des Anciens combattants estime que, compte tenu de la durée de la guerre, le nombre des militaires et de leurs familles augmentera encore de 3 à 5 millions. Dans le même temps, le déficit du budget de l’État ukrainien en 2023 a atteint 1,33 trillion de hryvnias -UAH- (30,8 millions d’euros), soit près de six fois plus qu’en 2021, avant la guerre.
Le défi est énorme. Selon l’ancienne ministre des Anciens combattants, Yulia Laputina, jusqu’en 2018, les efforts ne pouvaient pas être qualifiés de systémiques. En effet, l’ensemble du système de soutien aux anciens combattants était basé sur des approches soviétiques. S’inspirant des meilleures pratiques internationales, l’Ukraine a créé en 2018 le ministère des Anciens combattants, qui devait travailler non pas « pour » les anciens combattants, mais « avec » les anciens combattants. À l’heure actuelle, le ministère lui-même devait procéder à un audit de ses propres processus de gestion.
En 2021, le ministère a lancé la Fondation ukrainienne des anciens combattants, qui fait office de centre d’information et de coordination pour la réintégration des anciens combattants dans la vie civile. En deux ans, la Fondation a financé l’entrepreneuriat des vétérans pour un montant de plus de 201 millions d’UAH (4,66 millions d’euros), soutenu 508 entreprises appartenant à des vétérans et lancé une ligne téléphonique d’assistance de santé mentale « Comment vas-tu ? » , lancée par Olena Zelenska, la femme du président ukrainien. La Fondation fournit également des conseils juridiques, mène des recherches, des campagnes d’information et des projets spécifiques.
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La plateforme en ligne e-Veteran, basée sur le registre national unifié des anciens combattants, a été lancée. Cette ressource contient des informations sur les services publics disponibles, les avantages et les projets en cours, allant des soins médicaux et psychologiques au logement, à l’éducation et à l’aide à l’emploi, en passant par les services publics et les services funéraires. Toutefois, il n’existe pas encore de statistiques précises sur le nombre d’anciens combattants.
Sur la même plateforme, dans le cadre du développement des sports adaptés, un ancien combattant peut se porter candidat à la sélection de l’équipe nationale pour la compétition sportive des Invictus Games. Ou encore devenir assistant d’un ancien combattant dans le cadre d’un projet pilote visant à créer un réseau de spécialistes dans les communautés qui, d’égal à égal, apportent un soutien individuel pour faciliter la pleine réadaptation à la vie civile.
La plupart de ces initiatives sont mises en œuvre en partenariat avec la société civile, les entreprises et les organisations internationales d’assistance technique. Les ONG ne se contentent pas de fournir directement des services, elles influencent également les politiques publiques. En particulier, l’ONG de défense des droits de l’homme Yurydychna Sotnia (Сentaure juridique) a déjà fourni des conseils à plus de 100 000 des anciens combattants.
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Environ 50 000 personnes auront besoin de prothèses à cause de la guerre. Le Superhumans Centre, spécialisé dans les prothèses, la chirurgie reconstructrice, la rééducation et le soutien psychologique aux victimes de la guerre, offre des services gratuits grâce au soutien des entreprises et aux dons.
Fondée en 2017, la fondation caritative Veteran Hub met en œuvre un large éventail de projets, notamment la parentalité consciente, le retour des militaires à l’activité sexuelle après avoir été blessés, le travail avec les familles des anciens combattants et la banalisation du recours à l’aide psychologique.
Fin 2023, cinq organisations de la société civile – Veteran Hub, Prinсipe, Yurydychna Sotnia, Prostir mozhlyvostej (Espace des possibilités) et Mouvement Veteranka – ont présenté le concept d’une nouvelle politique des anciens combattants. À ce jour, il s’agit du document le plus complet, qui propose de mettre à jour la loi et le cadre réglementaire sur le statut des vétérans et de leur famille, d’améliorer la coordination de la prestation de services et de les réviser pour les rendre plus centrés sur l’être humain.
L’ancien combattant Masi Nayyem, cofondateur de l’organisation de défense des droits de l’homme Principe, a expliqué la nécessité de sa création par une métaphore : « La politique des anciens combattants est comme Dieu. Tout le monde a entendu qu’il existe, mais personne ne l’a vu. Notre tâche est de renforcer l’État. Aujourd’hui, les différents ministères mènent leurs propres projets en faveur des anciens combattants. C’est une bonne chose. Mais il n’y a pas de politique unique pour eux. Je le dis en tant que bénéficiaire de cette politique ».
L’Ukraine est bien consciente que la politique impérialiste de la Russie ne disparaîtra pas dans les années à venir. La capacité de défense sera une priorité pour le pays. Il est évident que les anciens combattants constituent un élément important de la capacité de défense, de sorte qu’une politique efficace en leur faveur contribue à la sécurité nationale. Que faut-il faire dès maintenant ? Outre le suivi de l’assistance déjà fournie, nous devons adopter les expériences étrangères.
Par exemple, sur la base de l’expérience des Pays-Bas, l’Ukraine envisage de créer un réseau de centres de réadaptation modernes dans chaque région. La profession de thérapeute en réadaptation a été ajoutée à la liste des professions et des programmes de stages internationaux ont été mis en place.
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Par contre, lorsqu’il s’agit de fournir un soutien psychologique, le problème n’est pas seulement de surmonter la stigmatisation liée à la recherche d’une aide, mais aussi le manque de spécialistes capables de traiter professionnellement le syndrome post-traumatique. Un problème similaire est observé avec les médecins de famille, qui ne sont souvent pas informés des protocoles de prise en charge des conséquences chroniques de la participation aux combats.
Les anciens combattants ukrainiens, dont la plupart se sont retrouvés dans l’armée en raison de l’invasion massive plutôt que de choisir une carrière militaire, sont des personnes en âge de travailler. Il est difficile de surestimer leur contribution à la reprise économique après la démobilisation, de sorte qu’une politique purement axée sur les prestations ne résoudra pas le problème de la réintégration. À l’heure actuelle, seul un tiers des anciens combattants inscrits au chômage sont employés par les centres pour l’emploi. Il est intéressant de prendre l’exemple des États-Unis comme référence pour l’emploi des vétérans dans les forces de sécurité et les brigades de pompiers.
Plus de 50 % des anciens combattants rêvent de créer leur propre entreprise. Il est donc important d’étendre les programmes de subventions gouvernementales, de développer le mentorat, les incubateurs d’entreprises pour aider les candidats entrepreneurs, et de mettre en place des programmes de formation à court terme, y compris certains avec garantie d’emploi. Dans le même temps, leur taux de chômage a atteint 30,95 %. Selon une étude de l’organisation états-unienne IREX, ils sont presque aussi nombreux à penser que c’est leur statut de combattant qui a provoqué le refus de les employer.
L’aménagement d’espaces de travail et d’espaces publics inclusifs adaptés aux personnes handicapées pose problème. Un système d’incitations pour les employeurs à embaucher des anciens combattants ayant des besoins spécifiques fonctionnerait mieux qu’un système de sanctions pour des manquements mineurs aux exigences en matière d’aménagement.
Selon le Fonds ukrainien des anciens combattants, ces derniers estiment que, outre les bas salaires, les problèmes de santé physique (63,61 %), le manque de compréhension de la part de la société (63,32 %) et les difficultés psychologiques (50,57 %) constituent des obstacles importants à l’emploi. En général, plus de la moitié d’entre eux considèrent que l’aide publique existante pour le développement professionnel et de carrière après la démobilisation est inefficace.
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Le parcours d’un ancien combattant s’étend de l’entrée dans les forces armées jusqu’à la fin de sa vie, en passant par les nombreuses années qui suivent sa démobilisation. À chacune de ces étapes, l’État doit offrir une assistance multidimensionnelle à ceux qui ont défendu son existence même.
Aujourd’hui, l’Ukraine doit à la fois se défendre contre une attaque armée de l’ennemi et s’occuper de ceux qui ont déjà regagné leur foyer et doivent retrouver une vie relativement paisible, pour autant que la situation dans le pays le permette. En recueillant petit à petit l’expérience étrangère, l’Ukraine crée un précédent qui pourrait être utile à de nombreux autres pays. Toute expertise et aide professionnelle est bienvenue.