Le week-end a été marqué par les événements en Russie. Samedi, de nombreux Ukrainiens ont cherché quelle serait la blague la plus pertinente sur la « marche wagnérienne” vers Moscou et les tentatives du Kremlin de l’arrêter. Le dimanche, lorsque la fronde s’est terminée, ils sont passés à une autre activité populaire : essayer d’expliquer un événement sur lequel on ne dispose que de peu d’informations fiables.
Le premier exercice était assez réconfortant. Il faut reconnaître que, dernièrement, nous avons rarement l’occasion d’observer un événement lié à la guerre qui ne cause aucun dommage chez nous. Mais le second exercice s’avère moins réussi. D’ores et déjà, des théories très confuses circulent sur les réseaux. Les uns soupçonnent « un spectacle organisé pour que les Wagnériens, dirigés par Prigogine, puissent attaquer l’Ukraine depuis le Belarus ». Les autres racontent que « les Américains sont intervenus et ont tout réglé lorsque les wagnériens ont atteint les dépôts de munitions nucléaires ».
Pour ne pas tirer de conclusions qui ne sont pas vérifiables, nous nous proposons de relever trois points importants.
1. C’est la guerre de la Russie, pas celle de Poutine
L’opinion dominante dans les pays développés estime encore que l’invasion de l’Ukraine est la « guerre de Poutine ». L’opposition russe a adopté cette expression depuis longtemps.
En Ukraine, cette formulation est critiquée car elle exonère symboliquement la population du pays agresseur de toute responsabilité. Cela donne lieu à de faux espoirs d’une fin quasi automatique de la guerre en cas de destitution de l’actuel chef du Kremlin. Une telle façon de voir les choses permet également de blanchir la population russe aux yeux des sociétés occidentales qui, disent-elles, « souffrent aussi de la dictature ».
Lire aussi: Rapport RSF: les territoires occupés de l’Ukraine servent de laboratoire aux attaques hybrides de Wagner
L’autre jour, j’ai entendu un diplomate occidental à Kyiv se plaindre de ses collègues, scandalisés par le fait que leur pays réduisait les dépenses en soutien à la société civile en Russie. « Ils ne comprennent toujours pas que deux ou trois personnes qui s’opposent au régime ne constituent pas la société civile », a déclaré ce diplomate.
La rébellion de Prigogine vient réfuter l’idée que cette guerre est celle de Poutine seul. Ce sont les habitants de Rostov-sur-le-Don qui l’ont démenti. Parmi les nombreuses vidéos apparues sur les réseaux sociaux samedi, certaines montrent comment la population civile réagit aux événements. On y voit qu’une foule ravie a accueilli les wagnériens et leur ont apporté de la nourriture et de l’eau.
Ces Russes sont descendus dans la rue à l’appel de leur cœur, pour soutenir efficacement ceux qui sont impliqués dans une agression contre un État voisin.
Plus frappante encore, une vidéo montre un homme qui n’a pas peur de s’approcher d’un char et qui accuse les rebelles d’atteinte à l’ordre étatique. Que conclure ? Que la majorité de la population russe n’a rien contre la guerre. Le principal débat n’est pas entre les « militaristes » et les « pacifistes », mais porte sur la façon de conduire la guerre: « Comment s’assurer de ne pas perdre » ?
2. Le rôle des forces de défense ukrainiennes
La crise la plus importante connue par la Russie en 23 ans de règne de Vladimir Poutine, s’est produite sous l’influence des forces de défense ukrainiennes.
C’est la résistance de l’armée ukrainienne qui a brisé (et continue de briser) tous les plans du Kremlin et qui a forcé les autorités russes à utiliser une armée parallèle. Et c’est le fait que cette armée soit en dehors du champ légal qui a conduit à la crise.
Lire aussi: Vladimir Poutine est le produit de la plèbe russe
Les événements de samedi en Russie sont une belle victoire pour l’Ukraine. Donc aider efficacement nos forces de défense est la meilleure manière de conduire à des changements politiques en Russie.
3. Le Kremlin n’est pas tout-puissant
Samedi dernier, la légende selon laquelle Poutine « surpasse » toujours tout le monde s’est dissipée. Ce mythe créé par la propagande était déjà en train de disparaître après le 24 février 2022.
Aujourd’hui, la guerre se déplace de plus en plus vers la Russie. Cela a commencé par des incendies ici et là, suivis de frappes par des drones “inconnus” sur des dépôts pétroliers, puis des raids de volontaires russes dans la zone frontalière. Aujourd’hui, il s’agit d’une véritable marche sur Moscou, avec un dépôt de pétrole incendié, un poste de commandement aérien de l’armée et plusieurs hélicoptères détruits. Le Kremlin n’a rien prévu de tout cela. Il n’a pas non plus réussi à s’y préparer.
Il est apparu que si la défense aérienne et l’aviation russes opéraient, il n’existait aucune force au sol, jusqu’aux villes voisines de Moscou, capable d’opposer une résistance à la colonne armée de Wagner. À l’exception des excavatrices qui creusent des tranchées au milieu de la route et de la police de la circulation qui bloque les routes avec des camions. Le discours matinal de Poutine à la nation sur la trahison et la rébellion s’est terminé par un accord en soirée pour « laisser Prigogine aller en Biélorussie ». C’est pathétique pour un homme qui a passé des années à se construire l’image d’un homme fort, d’un maître des intrigues et d’un joueur qui surpasse tout le monde.
Vladimir Poutine, comme son régime, n’est pas omnipotent. Le vaincre est non seulement possible, mais nécessaire. Nous ne devons pas nous relâcher et ne pas être la proie des illusions qui sont produites au Kremlin.