Serhiy Dembitsky, directeur adjoint de l’Institut de sociologie de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, explique dans un commentaire pour The Ukrainian Week/Tyzhden.fr si le danger d’apparition d’un régime autoritaire en Ukraine existe après la guerre.
Selon Dembitsky, si on prend les résultats des sondages d’opinion au pied de la lettre, il s’avère que les Ukrainiens ont toujours voulu une main forte à la tête de l’État.
« Nous avons tant des gens qui disent qu’une ‘main forte’, un dirigeant fort est supposé être une bonne trouvaille pour faire fonctionner l’état ukrainien. Mais, est-ce un indicateur d’une tendance à l’autoritarisme ? Je ne le crois pas. Car notre peuple pratique une forme de paternalisme partiel. Si nous parlons de la vie quotidienne, les gens se débrouillent d’une manière ou d’une autre. Ils gagnent de l’argent, résolvent leurs problèmes. Je pense qu’un stricte paternalisme à proprement parler n’existe pas ici. Mais, en ce qui concerne le niveau institutionnel, nos concitoyens […] pensent que quelqu’un de puissant devrait venir résoudre tous leurs problèmes », déclare M. Dembitsky.
Dans la pratique, les choses se passent différemment. Et, lorsque les autorités elles-mêmes commencent à être associées à des affaires de corruption, « le charme douteux d’un dirigeant autoritaire disparaît, et il [le fonctionnaire] devient une personne rejetée, qui perd sa cote », précise le chercheur. « En ce sens, je continue de penser que les Ukrainiens ne s’attendent pas à de l’autoritarisme. De plus, il y a un autre point : personne n’acceptera l’autoritarisme sur la scène internationale. C’est comme se tirer une balle dans la tête, parce c’est exactement le modèle de Poutine, c’est ce qu’il veut imposer chez nous. Avoir recours à ce type de régime, ce serait un suicide pour les élites politiques », affirme le sociologue.
Selon lui, il existe un autre problème dans la société ukrainienne, que le magazine The Economist définit comme un « régime politique hybride ». Le scientifique Jan-Werner Müller, dans son livre sur le populisme, le présente comme une « démocratie défectueuse ». « En effet, il s’agit d’une forme intermédiaire entre les démocraties libérales et cet autoritarisme russe, où les autorités tentent de concentrer le pouvoir entre leurs mains autant que possible, de l’usurper autant que possible et de l’utiliser à leur avantage. Sur la scène internationale, elles présentent cela comme une démocratie afin d’obtenir un soutien, mais sur le plan intérieur, c’est loin d’être le cas. Ce problème existe, et je parle de tous les gouvernements ukrainiens qui ont vu le jour. Soyons honnêtes, et disons que cette démocratie défectueuse convient à toutes les élites politiques », déclare M. Dembitsky.
Selon lui, cette situation ne peut être changée que « par le bas », c’est-à-dire par la demande citoyenne et les efforts de la société civile. Il faudrait que les gens surmontent leur cynisme, et s’unissent pour un changement durable. Une autre possibilité est que la situation change après l’adhésion à l’UE.
« Mais, nous constatons qu’il y a aussi différents pays dans l’Union européenne qui ont des politiques et des approches différentes. Je pense par exemple à la Hongrie. Et c’est aussi, vous savez, une certaine forme de paternalisme, l’idée que l’Europe viendra et rétablira l’ordre ».