Nous sommes tous Addams

Culture
24 janvier 2023, 17:46

C’est surprenant mais la famille Addams est restée populaire pendant près de cent ans, depuis que Charles Addams les a dessinés pour la première fois sous forme de bande dessinée dans The New Yorker en 1938. Après cela, il y a eu des séries télévisées, des séries animées, et plusieurs longs métrages (films et dessins animés). Et ainsi, cette étrange famille a attiré l’attention de Netflix, qui fin novembre (devinez quel jour de la semaine) a sorti « Wednesday », série de huit épisodes sous la direction de l’ »effrayant et terrible » producteur exécutif Tim Burton. Et Wednesday Addams a très rapidement engrangeant encore plus de vues que des séries au succès planétaire comme Stranger Things (comment est-ce possible ?!). La note qui lui est attribuée sur le site IMDb reste aussi extrêmement élevée à jour à : 8,4.

Longtemps conçue comme une satire de la famille en général, l’histoire de Charles Addams a en fait fonctionné et fonctionne à plusieurs niveaux, faisant entrer les personnages d’horreur dans le monde réel, et les confrontant à des problèmes du quotidien. En même temps, l’effrayant dans cette histoire est domestiqué au point qu’il ne fait pas peur, mais provoque le  rire avec sa cruauté du quotidien, son humour noir et même son cynisme.

La série « Wednesday » joue également un peu sur d’autres références, puisqu’il s’agit plutôt d’une combinaison de Poudlard (ici – on évolue dans des paysages roumains), de jeunes adultes, ainsi que des références à Edgar Allan Poe et Robert Stevenson (principalement de « L’étrange aventure du Dr Jekyll et de Mr Hyde »). Formellement, il s’agit d’une sorte de mystère policier qui ne se limite pas à ce domaine, empruntant à d’autres genres. C’est là une, si ce n’est la raison de son succès : chacun y trouve son bonheur.

De plus, les adolescents et leur désir paradoxal d’être différents des autres et en même temps d’appartenir à un groupe, offrent un potentiel scénaristique presque illimité, et si l’on ajoute à cela le génie de Burton, des actrices charismatiques (avant tout) et des effets spéciaux d’excellente facture, nous obtenons donc le phénomène « Wednesday ».

Et le plus important, c’est que toute série moderne qui prétend être populaire se doit de contenir une scène virale qui fera le buzz. Scène que l’on trouve dans le quatrième épisode : la fameuse danse du personnage principal. Elle a été reproduite sur TikTok ou Instagram par des blogueurs, sans parler des célébrités, dont beaucoup ont enregistré leurs propres versions de cette performance (la plus célèbre étant celle de Lady Gaga sur sa propre chanson « Bloody Mary »). L’actrice Jenna Ortega, qui interprète Wednesday, a créé elle-même sa propre chorégraphie, et plus important encore, comme on l’a récemment appris dans une interview, elle était malade du coronavirus lors de l’enregistrement de cette scène. En sachant cela, son comportement agité, ses mouvements étranges et son visage sans émotion deviennent immédiatement plus compréhensibles. Regardez cette danse – elle est un symbole de notre époque de coronavirus.

L’image reflète à cent pour cent une personne obligée de danser (lire: travailler), sans trop de désir ni de force, mais avec l’obligation d’être au moins à la hauteur des gens qui l’entourent, si ce n’est de les impressionner. C’est pourquoi Wednesday peut être vue comme l’héroïne de notre époque, une otage des circonstances (« c’est moi qui dois sauver tout le monde, car si ce n’est moi, alors qui ? »), qui déteste l’école (lire : le travail), mais est obligée d’obéir à la volonté de ses parents (supérieurs).

Bien que l’histoire de Wednesday dans la série soit l’occasion de parler de la famille moderne en général, il est significatif qu’on ne nous montre jamais une seule famille heureuse. Incomplète, problématique, dysfonctionnelle – tout sauf ordinaire ou normale. Pour une raison simple : les scénaristes affirment ainsi que les familles normales n’existent pas en principe, tout est œuvre de fiction, une image publicitaire ou brochure religieuse. Une chose est certaine, d’une certaine manière, nous sommes tous des Addams, et nous avons tous, sinon une guillotine dans le placard, du moins un squelette. Comme le dit l’une des filles dans la sixième épisode: « Qui n’a pas d’autel controversé dans la bibliothèque familiale ? »

C’est pourquoi le titre de chaque épisode contient le mot anglais évocateur woe – «  chagrin, douleur, problèmes. » Un autre bon mot pour décrire notre époque (bien qu’il provienne d’un poème du XIXe siècle qui a donné son nom à Wednesday).

« Wednesday » est aussi l’histoire d’une gothique et d’une luddite (Wednesday n’utilise pas de téléphone portable et ne se tourne qu’une seule fois vers un ordinateur pour obtenir de l’aide), c’est-à-dire qu’elle n’est absolument pas moderne. Nous renvoyant le miroir, et se moquant, de toutes nos habitudes modernes et notre gadgetomanie. Toutes les imperfections de l’histoire présentée peuvent être attribuées à notre réalité imparfaite, dans laquelle il n’y a rien de nouveau à raconter et où personne ne peut trouver quelque chose ou quelqu’un de parfait.

Le succès de la série tient aussi à ce que Wednesday est un modèle attrayant pour tout adolescent : un outsider qui devient d’abord un leader informel puis formel. Elle cherche un monstre (qui, pour moi, ressemble au décharné Gollum du Seigneur des anneaux de Peter Jackson), mais dans un sens, tous les marginaux de Nevermore sont des monstres : la sirène, le loup-garou, l’homme de l’eau, etc. Cependant, Wednesday cherche un monstre qui tue, comme si pour devenir un vrai monstre il fallait briser le sixième commandement.

Repenser la norme est l’une des tendances courantes de la culture contemporaine. Ainsi que l’appel à rejeter l’idée de la famille traditionnelle comme base de la société. Le tout pour accepter le fait qu’Addams habite en chacun de nous, pour faire un pas important vers l’acceptation de notre altérité non pas comme monstrueuse, mais comme déterminante notre identité. Et une fois que vous vous acceptez avec tous vos défauts, vous pouvez danser.