Le poète et dissident ukrainien Vassyl Stous aurait eu 85 ans. Un artiste otage de son époque

Culture
16 janvier 2023, 17:39

Vassyl Stous est un poète, publiciste, militant des droits de l’homme, traducteur et dissident ukrainien qui aurait eu 85 ans en janvier. Son destin fut tragiquement interrompu dans une colonie pénitentiaire soviétique de haute sécurité en 1985, dans des circonstances encore troubles.

Stous n’a cessé au cours de sa vie de démontrer l’étendue de ses multiples talents hors du commun, qui n’aurait pas tenu dans le lit de Procuste* de l’époque. C’est pourquoi il s’est rebellé dans toutes ses manifestations, étant irréconciliable tant avec lui-même qu’avec ses proches.

La vie de Stous illustre de manière exemplaire comment un génie s’oppose à un système totalitaire, sans s’attendre à gagner, tout simplement parce qu’il ne lui est pas possible d’agir différemment. La vie de Stous démontre également comment la biographie d’un artiste devient progressivement plus importante dans la conscience nationale que son art lui-même. Il débuta comme un poète très prometteur, lorsqu’en 1959, une sélection de ses poèmes fut publiée dans la principale édition artistique, le journal « Literatourna Ukraina » (Ukraine littéraire en français), avec une préface du grand classique de la poésie soviétique ukrainienne Andriy Malyshko (connu dans le monde entier principalement comme l’auteur de la chanson « Ma chère maman … » Рідна мати моя en ukrainien).

Ensuite, Stous enseigna à Donbass, fut éditeur littéraire puis étudia en troisième cycle à l’Institut de littérature Taras Shevchenko de l’Académie des sciences de l’URSS. Au milieu de l’année 1964, il soumit son premier recueil de poésie, « Kruhovert », à la maison d’édition « Molod », dont la publication était prévue pour le second semestre 1965. Et c’est cette année-là que tout changea pour lui. En septembre, lors de la première de l’adaptation cinématographique du roman de Mykhailo Kotsyubynsky – « Les Сhevaux de feux »  (le titre du roman en ukrainien « L’ombres des ancêtres oubliés », metteur en scène Serguiy Paradjanov) Stous, aux côtés d’autres personnes partageant les mêmes idées, protesta contre les arrestations d’intellectuels ukrainiens, appelant les dirigeants du parti communiste et les habitants de Kyiv à réagir face à cette injustice. À la suite de ce discours, il fut expulsé de l’école supérieure, des agents du KGB commencèrent à le suivre, et le recueil, déjà entièrement préparé pour l’impression, fut détruit. Plus tard dans sa vie, ses poèmes furent publiés soit en autoédition, soit à l’étranger. Dès lors, dans l’imagination du public, sa figure rebelle prit progressivement l’ascendant sur ses réalisations artistiques. En 1972, il fut arrêté pour la première fois pour « agitation et propagande anti-soviétiques », et il ne rentra à Kyiv qu’en 1979. En mai 1980 – deuxième arrestation, dont il ne devait pas revenir vivant.

À certains égards, c’est le destin typique d’un dissident ukrainien, bien que peu d’entre eux furent érigés au rang de symbole. Le destin de Vassyl Stous est important pour comprendre l’histoire moderne de l’Ukraine, car nombre se disputèrent son héritage à la fois à l’époque soviétique puis après 1991,  essayant de se l’approprier. Par conséquent, divers acteurs manipulèrent les faits de sa vie ou encore des phrases furent extraites de leur contexte lyrique, pour illustrer telle ou telle plate-forme sociopolitique souhaitée.

La plupart des appropriations étaient le fait de Viktor Medvedchouk, l’avocat de Stous lors de son deuxième procès, un agent du KGB qui obtint pour son client la peine la plus longue possible. Plus tard, Medvedtchouk devint un proche de Poutine et un politicien pro-russe détestable. Il fut même le chef de l’administration du président ukrainien Leonid Kuchma en 2002-2005. Et lorsque, déjà à l’époque de l’Ukraine indépendante, il fut désigné comme l’un des responsables de la mort de Vassyl Stous, il poursuivit farouchement devant les tribunaux ses accusateurs, sans succès le plus souvent. Après le déclenchement de la guerre en 2022, il fut arrêté et privé de la citoyenneté ukrainienne, mais, malheureusement, pendant longtemps, son nom fut inextricablement lié à Stous, attirant l’attention des médias.

Par conséquent, la lutte pour Vassyl Stous s’est déroulée entre différents camps de la politique ukrainienne, qui souhaitaient attirer le poète dans leurs rangs à titre posthume, en utilisant son nom comme une sorte d’amulette, et parfois comme un signe de leur propre patriotisme. Il est dommage qu’aucun d’entre eux n’ait lu ses poèmes, mais ait pris son nom simplement comme un symbole de la lutte contre le régime. Le triste paradoxe du destin d’un poète de talent est que s’il veut que ses poèmes soient lus, il doit mener une vie tranquille et discrète, ce qui ne correspondait pas au caractère sans compromis de Vassyl Stous.

Vasyl Stus lit son poème écrit dans les années 1960

Le poète est devenu l’otage de l’époque, qui l’a contraint à mettre son talent poétique sur l’autel du service du peuple et à s’engager dans les affaires publiques, plutôt que de se donner inconditionnellement à l’art. Et il a dit le meilleur sur son chemin de vie lui-même : « Je ne me considère pas comme un poète. Je me vois comme une homme qui écrit de la poésie. Et je pense qu’un poète doit être humain. Celui qui est plein d’amour, surmonte le sentiment naturel de haine, s’en débarrasse comme d’une saleté. Un poète est un être humain. D’abord et avant tout. Et un humain est avant tout une personne bienveillante. S’il valait mieux vivre, je n’écrirais pas de poésie, mais je cultiverais la terre… »

*Procuste : personnage de la mythologie grecque, fils de Poséidon. Il offrait l’hospitalité à des voyageurs et les faisait s’allonger sur un lit creusé dans la pierre. Si le voyageur était plus grand, Procuste découpait les membres qui dépassaient, si le voyageur était plus petit, il étirait ses membres à la « bonne » longueur.