« La mort d’un frère » d’Olesya Khromeychuk, préfacé par Philippe Sands et introduit par Andrei Kourkov, disponible aux éditions du Seuil.
Dans un environnement médiatique où l’on se focalise bien souvent sur les mouvements du front, les statistiques et les pertes militaires, quelle place pour les sentiments et les récits personnels des ukrainiens ? Olesya Khromeychuk, historienne et directrice de l’Institut ukrainien a Londres a perdu son frère lors de cette guerre russo-ukrainienne. En partageant son deuil, elle nous fait vivre une des trop nombreuses tragédies personnelles que connaît aujourd’hui l’Ukraine. Pour ne pas oublier.
Depuis le 24 février 2022, le monde est enfin capable de placer l’Ukraine sur une carte. Olesya Khromeychuk est alors fortement sollicité médiatiquement en tant qu’historienne, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et engagée dans le monde culturel ukrainien a Londres. Pourtant la guerre dure depuis 2014. Jusqu’à la veille de l’invasion à grande échelle, la Russie occupait 7% du territoire ukrainien, avait engendré près de 2 millions de déplacés internes et ôté la vie de 14 000 civils et militaires, dont le frère d’Olesya, Volodymyr Pavliv, tué en 2017, dans la région de Louhansk.
Pour Olesya, c’est aussi un combat pour ne pas oublier toutes les tragédies personnelles et familiales, les injustices et les crimes commis depuis 2014. « Comment comprendra-t-on que, pour les Ukrainiens, la liberté n’est pas quelque chose qu’on peut tenir pour acquise, comme c’est le cas pour certains peuples à l’ouest » ? se demande-t-elle. Pour les Ukrainiens, témoigne Olesya, la liberté reste « une chose qui se vit ». A travers la mort son frère, l’autrice nous raconte le deuil de tous les ukrainiens.
En lisant ce livre, on peut se rendre compte que le patriotisme n’est pas le seul motif d’engagement au sein de l’armée, que c’est une décision bien plus complexe. Volodia a passé un temps de sa vie aux Pays-Bas avant de revenir en Ukraine. Ayant accompli son service militaire, il s’attendait à être appelé en 2014/2015, mais c’est finalement lui qui se portera volontaire en 2016. C’est toute la famille qui se retrouve alors embarquée dans le quotidien de la guerre, avec sa sœur qui lui envoie des colis depuis Londres.
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Apprenant la triste nouvelle de sa mort, on passe avec la jeune femme les différentes étapes du deuil. L’enterrement, les larmes d’une mère contraste avec l’oubli dont le monde fait preuve. La guerre en Ukraine n’est plus une priorité.
Ce récit personnel trouve beaucoup d’échos auprès des Ukrainiens ayant perdu un proche, mais aussi des fratries du monde entier. « J’ai écrit ce livre pour lutter contre mes propres démons: le chagrin, la rancune, la peur. Je l’ai écrit pour tenter de trouver un sens à une perte: la perte d’un soldat parmi les milliers de pertes subies par l’armée ukrainienne, celle d’un frère unique a mes yeux. En couchant ces textes sur le papier, j’ai voulu échapper à la noirceur du deuil, me soulager de la haine qui semait ses graines en moi, pour tenter d’avancer. Ce livre donne un nom, et une histoire, à une seule des vies humaines perdues au cours de cette guerre, mais j’espère qu’il pourra servir à consoler d’autres cœurs endeuillés », explique l’autrice. Toutes les vies se valent dans ce récit, à la fois personnel et universel. Il permet de mieux comprendre la société ukrainienne, ses peines et son désir de paix.