Le mécanisme juridique peut contourner le droit de veto russe, mais cela suppose une consolidation internationale et un consentement de la Chine
«La guerre en Ukraine parviendra à démasquer l’impuissance de l’ONU déjà existante, si un membre permanent du Conseil de sécurité avec un droit de veto total devient un État paria. Face au chaos que la Russie a créé, il faut l’expulser de l’ONU». Cette opinion est partagée par Ariel Cohen, membre du Conseil atlantique et directeur du programme Sur l’énergie, la croissance et la sécurité du Centre international de fiscalité et d’investissement, et Vladislav Inozemtsev, conseiller spécial du projet de recherche sur les médias russes de l’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient (MEMRI). Ils pensent en effet qu’il existe un moyen légal d’obtenir l’exclusion de la Russie du Conseil de sécurité de l’ONU. Un article à ce sujet a été publié par The Hill, influant site américain. Voici son résumé, en bref.
Mécanisme
Le 12 octobre 2022, la résolution de l’ONU condamnant les «annexions illégales» de territoires de l’Ukraine par la Russie a été adoptée par 143 voix pour, face à cinq pays contre et 35 qui se sont abstenus. Cette majorité démontre que la Russie est isolée diplomatiquement sur la scène internationale. Bien que Moscou mérite d’être exclue du Conseil de sécurité, sa position se fonde sur l’article 23, paragraphe 1 de la Charte des Nations unies. Il est impossible d’annuler son droit de veto, en raison des dispositions de l’article 27, paragraphe 3. Il n’y a pas non plus de consensus sur la modification de la structure actuelle des Nations unies.
Cependant, il y a un autre moyen, fondé sur des principes et la volonté commune de la communauté internationale. Il envisage l’exclusion de la Fédération de Russie de l’ONU par l’Assemblée générale, conformément à l’article 18, paragraphe 2. Évidemment, si un pays perd son statut de membre de l’Organisation, il perd également son mandat au Conseil de sécurité.
Pour y parvenir, il est nécessaire tout d’abord de soumettre à l’Assemblée générale une résolution sur l’exclusion ou la suspension de la Russie. Le Conseil de sécurité doit le demander, conformément à l’article 12, paragraphe 1. Ensuite, l’Assemblée générale doit voter à une super-majorité (par les deux tiers des votes +1) pour l’exclure.
L’article 27, paragraphe 3 de la Charte stipule que si le Conseil de sécurité discute d’une question qui concerne l’un de ses membres, « la partie au différend s’abstient de voter conformément à l’article 52, paragraphe 3 ». Cela pourrait permettre au Conseil de sécurité de soumettre la question à l’Assemblée générale sans que la Russie n’oppose son veto.
L’ONU a déjà fait cela auparavant. Un pays fondateur de l’Organisation et membre permanent du Conseil de sécurité a été exclu il y a cinquante ans. Il s’agit de la République de Chine (Taiwan) qui a été son membre de 1945 au 25 octobre 1971. A cette date, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2758 sur le rétablissement des droits légitimes de la République populaire de Chine à l’ONU : 76 voix pour l’adoption, 35 contre l’adoption, 17 abstentions. L’Assemblée a même supprimé l’exigence de la super-majorité en adoptant cette résolution. Ce précédent s’avère très utile pour l’avenir, car à présent la communauté internationale est beaucoup plus unie qu’au plus fort de la Guerre froide.
« La Russie représente une grave menace pour l’existence d’un système international stable, reposant sur des règles. Un article publié par Projet Syndicate en 2016 l’avait défini comme un pays qui «flirte avec le fascisme». Toutefois, à l’heure actuelle, elle s’est complètement transformée en une dictature fasciste », rappelle The Hill.
Selon ce site, le président russe Vladimir Poutine a agressé l’Ukraine sans le moindre motif. La Russie a violé d’une manière flagrante l’Article 2 (les paragraphes 3, 4 et 7) de la Charte des Nations unies et a refusé de mettre en œuvre les résolutions de l’Assemblée générale. Elle a commis des crimes d’agression contre un État souverain et de nombreux crimes contre l’humanité dans les territoires ukrainiens occupés qui doivent être considérés comme des actes de génocide.
La Russie de Poutine respecte de moins en moins les normes du droit international. La Constitution russe révisée nie la priorité des normes internationales sur les lois et les réglementations nationaux ; ainsi, les autorités russes peuvent-elles ne pas respecter les décisions des cours internationales et des tribunaux arbitraux. La Russie a récemment été exclue du Conseil de l’Europe, elle s’est retirée de plusieurs autres organisations internationales et a décidé de ne plus participer à plusieurs traités internationaux importants, comme la Convention de Genève (les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels protègent les personnes qui ne participent pas aux hostilités, tels que les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires – ndlr). A condition que ce comportement change et que la guerre en Ukraine prenne fin, la Russie pourrait être admise de nouveau aux Nations unies.
Question du droit de veto de la Chine
La Chine est le seul pays du Conseil de sécurité des Nations unies qui peut bloquer toute résolution ou décision à un vote visant à exclure la Russie de l’Assemblée générale. Si nous voulons que la Russie soit punie, il faut proposer un marché à la Chine : une abstention de Pékin au Conseil de sécurité serait le premier test. Il est possible de proposer au président Xi Jinping le condominium au format « États-Unis-Chine » dans la gestion des affaires mondiales. La Chine doit assumer cette responsabilité globale partagée dans la promotion de la paix. Un refus équivaudrait à accepter l’agression russe et l’attachement à un acteur instable sur la scène mondiale. « C’est la seule chance de rendre l’ONU utile – nous devons priver l’agresseur de la possibilité de prétendre qu’il est le gardien de la paix », estiment les auteurs de la publication.
L’exclusion de la Russie ferait du Conseil de sécurité un organe efficace, qui reste cruellement nécessaire pour préserver la stabilité et la sécurité mondiale. L’Organisation est aux prises avec une crise existentielle, il faut prendre des mesures audacieuses. La Société des Nations, déjà affaiblie, avait réussi à exclure l’Union soviétique, à la suite de son attaque de la Finlande. C’était quelques mois seulement avant qu’elle ne cesse d’exister.