Selon l’Institut international d’études stratégiques (IISS), la Chine et la Corée du Nord peuvent profiter de fait que la dissuasion nucléaire, en quelque sorte, a favorisé la Russie dans la guerre contre l’Ukraine.
Le risque d’une confrontation nucléaire avec la Russie a probablement été le facteur le plus important de la non-participation de pays de l’OTAN à la guerre en Ukraine. Toutefois, il est possible que ce même facteur de dissuasion nucléaire joue en faveur de la Chine et de la Corée du Nord dans leurs tentatives d’ébranler l’ordre mondial. C’est ce qui ressort de l’évaluation de la situation sécuritaire dans la région Asie-Pacifique, publiée par l’Institut international d’études stratégiques (IISS), un centre de recherche britannique sur les conflits militaires et politiques. Cette étude a été publiée le 2 juin, à la veille de la conférence sur la sécurité en Asie Shangri-La Dialogue (SLD), qui a eu lieu les 3 et 4 juin. Le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, était présent lors de la conférence. Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et le ministre chinois de la Défense, Li Shangfu, ont également participé à la réunion.
L’étude contient une section spéciale sur l’impact de la guerre en Ukraine sur l’équilibre des pouvoirs dans la région Asie-Pacifique. Les chercheurs ont conclu que l’efficacité relative du chantage nucléaire de Poutine est devenue un défi qui a des implications stratégiques pour la sécurité en Asie.
« Malgré que la guerre en Ukraine se déroule avec des armes conventionnelles, elle a provoqué de nombreuses questions sur le nucléaire, et cela a des implications pour la région Asie-Pacifique. Les menaces réitérées de terrorisme nucléaire de Moscou ont créé un précédent inquiétant, contrastant à l’approche relativement responsable de l’Union soviétique en matière de doctrine nucléaire. La menace d’un affrontement nucléaire avec la Russie a été prononcée par le président russe Vladimir Poutine à la veille de l’invasion. C’était probablement le principal facteur de la non-participation de pays de l’OTAN à la guerre en Ukraine. En ce sens, la dissuasion nucléaire a favorisé la Russie. Il convient toutefois de noter que personne n’a empêché l’Ukraine d’attaquer des cibles militaires en Russie, ce qui n’a pas empêché l’OTAN et d’autres organisations de fournir des systèmes d’armes de plus en plus puissants aux forces ukrainiennes, bien qu’avec prudence », lit-on dans le document.
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Bien que la Chine manifeste son opposition à tous recours ou à la menace d’armes nucléaires, la vraie position du Pékin n’est pas claire.
« D’une manière générale, il est possible de considérer l’agression russe [contre l’Ukraine] comme un élément d’un défi plus vaste contre l’ordre mondial actuel, créé par la « triple entente » d’États autoritaires limitrophes – la Chine, la Corée du Nord et la Russie », précisent les chercheurs. « Ce bloc qui se forme est d’autant plus dangereux que les trois États possèdent des armes nucléaires… La Russie a créé un précédent en Ukraine. Dans une crise ou une guerre future, la Chine et la Corée du Nord chercheront à recourir à leurs propres menaces nucléaires, pour prévenir l’intervention d’une tierce partie.
Pour la Chine, ceci donne des ouvertures complémentaires au sujet de Taïwan qui, ainsi que l’Ukraine, ne bénéficie d’aucune garantie de sécurité officielle de la part des États-Unis. En général, l’élan de la guerre a favorisé un rapprochement non seulement entre la Russie et la Chine, mais aussi entre la Russie et la Corée du Nord. En décembre 2022, Washington a accusé Pyongyang de fournir des armes au groupe Wagner, une société paramilitaire privée qui opère en Ukraine ».
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Les experts ont conclu que les menaces nucléaires de la Russie à l’encontre de l’Ukraine auraient pu causer des doutes accrus quant à la pertinence de la dissuasion nucléaire élargie des États-Unis dans la région Asie-Pacifique. Et les premiers signes qui en ressortent sont très parlants.
« En janvier 2023, Yoon Suk Yeol est devenu le premier dirigeant coréen qui a publiquement averti que Séoul pourrait développer ses propres armes nucléaires dans une situation critique. Il convient de traiter l’inquiétude de Séoul avant tout comme une réponse stratégique au programme nucléaire de la Corée du Nord et à ses capacités en matière de missiles balistiques. Toutefois, le jeu nucléaire de la Russie et l’érosion des tabous nucléaires ajoutent une pression supplémentaire au régime mondial de non-prolifération, y compris en Asie du Nord-Est », lit-on dans l’analyse.