L’Ukraine tient le siège à Calais

Culture
17 septembre 2024, 17:33

Le 3ème Salon du livre militaire et du renseignement s’est tenu les 6 et 7 septembre à Calais. Installé dans la grande salle du Forum Gambetta au cœur de la ville de Calais, ce ne sont pas moins de 42 auteurs et 14 exposants qui ont répondu à l’appel de la mémoire dans cette région des Hauts-de-France si connue dans l’histoire militaire du pays.

En effet, Calais s’est distinguée lors de deux événements symboliques majeurs. Tout d’abord, la mythique résistance de la ville qui fait suite à l’une des batailles les plus célèbres de la Guerre de 100 ans, la bataille de Crécy, où six bourgeois de la ville durent se livrer en otages au roi Edouard III d’Angleterre en 1347 après 11 mois de résistance (Calais ne sera reprise par les Français qu’en 1558 – ndlr).

Et comment oublier, le siège de Calais qui dura 5 jours contre les Allemands durant la bataille de France au tout début de la Seconde Guerre mondiale ? Elle se déroula du 22 mai 1940 au 26 mai 1940 au cours la bataille de France, en marquant les esprits. La ville tomba rapidement aux mains des Allemands qui essuyèrent cependant de lourdes pertes.

Le Salon s’est donc ancré dans un lieu de mémoire pour faire revivre l’histoire à destination des générations futures. Officiellement inauguré par la maire de Calais, Natacha Bouchart, de Lilou Barré, Miss Memorial Day du Mémorial de la Fédération de l’Otan, du comité Miss Aéronautique France, le Salon avait pour marraine la célèbre comédienne, réalisatrice, écrivaine et productrice Eva Darlan et pour parrain, Olivier Védrine, géopolitologue international, journaliste et écrivain. Un événement organisé dans le cadre du Memorial Day sous l’impulsion du Mémorial de la Fédération de l’OTAN sous la direction de M. Willy Breton, président de la Fédération du Mémorial de l’OTAN et M. Robert Decoste, auteur de romans militaires, directeur de la maison d’édition DECOSTER et de la Librairie de Malo.


M. Olivier Védrine, Mme Natacha Bouchart, l’actrice et écrivaine Mme Eva Darlan et M. Willy Breton, président du Mémorial de la Fédération de l’OTAN

En parallèle des divers exposants, dont l’association « Les Aigles de Calais », (Groupe de reconstitution historique de la période 1939-45 à thème 327th Glider Infanterie Rgt et 326 AEB) ou le Musée privé Villa Piquart, la blogueuse et influenceuse Ophénya très attendue par les plus jeunes leur a prodigué de précieux conseils pour faire face au harcèlement en milieu scolaire notamment. En ayant été la victime, elle en parlait en connaissance de cause. Elle apportait ainsi sa touche personnelle aux cérémonies en l’honneur des soldats, qui avaient eu lieu la veille à Fréthun devant le Mémorial de la Fédération de l’OTAN. La boucle était bouclée, le passé, le présent et l’avenir se mêlant à travers toutes les générations. L’espoir de M. Willy Breton, Président du Mémorial, étant que les enfants présents aient pu ce jour-là entendre le message.

Auteur de ce texte, entre deux membres de l’Association « les Aigles de Calais »

Outre la marraine du salon, l’actrice, réalisatrice et productrice Eva Darlan, on pouvait échanger avec la journaliste et grand reporter de guerre Dorothée Olliéric.

On ne peut citer tous les exposants mais au moins quelques-uns tel l’historien Boris Laurent pour son ouvrage « L’histoire de l’armée russe des Tsars à Poutine ». Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il paraît plus que nécessaire d’en apprendre sur les forces de son ennemi. Symbole des régimes totalitaire successifs dont elle a été la victime, l’Ukraine est apparue tour à tour forte, diminuée et finalement combattive et résiliente.

Citons également Sergueï Jirnov, ancien officier traitant du KGB présentant son livre romancé « Les pires amis » traitant des relations particulières entre Vladimir Poutine et Kiril le patriarche orthodoxe de Moscou. Autre ouvrage présenté par Sergueï Jirnov, rédigé à quatre mains celui-là avec son homologue français et ancien adversaire, François Waroux : « KGB-DGSE, 2 espions face à face ». Pour parfaire le portrait de la Russie actuelle, Olivier Védrine présentait « Goodbye Poutine », un ouvrage collectif dont il est coauteur. Ce livre dirigé par la politologue Hélène Blanc, offrent trois éclairages importants : les relations Europe-Occident-Russie, le monde selon Vladimir Poutine et le monde ukrainien.

Un livre a attiré particulièrement l’attention du public. Par la puissance évocatrice puisée dans la réalité impitoyable du terrain au milieu des combats acharnés sur le front Ukrainien, un jeune auteur raconte ses missions sous formes de rotations au plus près des militaires et des équipes médicales chargées de soigner et de sauver sous les obus les vies des défenseurs ukrainiens. Arsène Sabanieev, tel est son nom, est né en Ukraine en 1990, il est arrivé en France vers l’âge de 10 ans et grâce à la méritocratie, comme il le dit lui-même, est devenu médecin anesthésiste-réanimateur à Lille. Médecin français, il est fortement attaché à ses racines ukrainiennes et raconte son quotidien sur la ligne de contact fait de sueur, de sang et de douleur. Il a été accompagné dans l’écriture du livre par Eric Dussart, grand reporter à La Voix du Nord qui s’est régulièrement rendu en Ukraine depuis 2014.

Capture d’écran: Franceinfo.tv

Notons aussi un stand arborant fièrement sa banderole aux couleurs de l’Ukraine. Il s’agit de l’association « Agir Ensemble Pour l’Ukraine », créée depuis mars 2022, suite à l’invasion russe. Face à la situation dramatique, elle a très vite réuni autour d’Ella Pratsovyta, présidente et d’Elodie Grenot, vice-présidente des volontaires auvergnats d’origine française et ukrainienne pour aider les populations de Jytomyr notamment. Forte du nombre croissant de ses bénévoles, leurs champs d’actions se sont développés, apportant en particulier un soutien aux réfugiées femmes et enfants dans le Puy-de-Dôme.

Sur leur stand, les visiteurs ont pu acheter quelques souvenirs d’Ukraine : miel de sarrasin, bougies colorées, cèpes des Carpates ou encore stylo et pin’s au nom de l’association. Cette initiative permettra de financer au moins en partie des programmes spécifiques d’aide à la population ukrainienne tels que l’achat d’ambulances, de véhicules ou de matériel médical.

Dimanche 8 septembre, pour clore le Salon du livre, les visiteurs ont pu assister à une conférence-débat sur l’Ukraine. Six intervenants présents sur scène ont expliqué à un public attentif la situation très difficile dans laquelle survivent les Ukrainiens sous les bombardements incessants de l’artillerie, des missiles et des roquettes russes entraînant des coupures d’électricité et de gaz et la nécessité de se réfugier dans les abris à chaque alerte.

Tout d’abord, Arsène Sabanieev a pris la parole pour souligner la difficulté de soigner les blessés et de sauver les vies des soldats, hommes et femmes, en zone de guerre sous le feu ennemi qui faisant fi de toutes les conventions internationales, vise délibérément les ambulances. Il a ajouté que le grand besoin de l’armée ukrainienne est avant tout et toujours de recevoir des armes, des missiles à longue portée, des avions… et bien sûr des munitions. Son témoignage in vivo sur le terrain et la manière directe sans fioritures de ses propos ont fortement mis en lumière l’urgence des besoins à couvrir. Parallèlement aux besoins du front, il y a ceux impérieux également des populations civiles. M. Sylvain Grenot, trésorier de l’association « Agir Ensemble Pour l’Ukraine ». Après avoir présenté rapidement les actions des deux dernières années, il a clairement énoncé les besoins spécifiques en matériel médical et en médicaments.

Le géopolitologue, Olivier Védrine a rappelé que la guerre russe en Ukraine avait commencé avant tout parce que le peuple ukrainien avait voulu choisir son destin. Par crainte de la propagation des idées de liberté et de démocratie au sein de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a décidé d’anéantir l’Ukraine. « Dès 2004, lors de la Révolution orange mais surtout avec l’opposition sur le Maïdan entre fin 2013 et début 2014, lors de la Révolution de la Dignité, l’Ukraine s’est résolument tournée vers les valeurs européennes », a-t-il dit. La transition était toute faite pour l’intervenant suivant. L’expertise de l’historien Boris Laurent sur l’évolution de l’armée russe depuis plus de deux ans a éclairé le théâtre de la situation militaire actuelle et sur la mentalité du peuple russe. Il a souligné qu’il ne fallait pas sous-estimer la capacité russe de se réinventer, tout en gardant à l’esprit que le culte de la violence est une constante au sein même de l’armée russe ne serait-ce qu’au niveau particulièrement inhumain du « bizutage » des recrues.

En prenant la parole, j’ai du rappeler que la guerre ne date pas de février 2022, mais de 2014. Après plus de 10 ans de guerre, la fatigue se fait cruellement sentir au sein de la population civile et saigne des forces vives du pays. Malheureusement, il faut redire encore et encore que l’Ukraine était un atout pour l’Europe et qu’il valait bien mieux l’avoir aux cotés des Européens parce qu’elle est capable de nourrir plus de 600 millions de personnes, qu’en outre, elle regorge de minéraux utiles pour l’industrie, dont le lithium pour les batteries des voitures électriques, du gaz, du pétrole et surtout que sa population est bien formée aux nouvelles technologies. Faut-il encore que la paix s’établisse dans le respect de sa souveraineté territoriale de sorte que la machine productive ukrainienne se mette en route.

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Le mot de la fin fut donné à Sergueï Jirnov, ex-officier traitant du KGB et auteur de plusieurs ouvrages sur l’espionnage. Il a décrit de façon pédagogique les mécanismes cachés du FSB (service fédéral de sécurité russe) ou du SVR (service russe des renseignements extérieurs), plongeant l’auditoire dans les arcades du renseignement russe. Sa mise en garde à l’assistance fut claire : il convient d’être extrêmement vigilant quant à l’influence russe en France et dans les pays alliés de l’Ukraine. Les actes de déstabilisation peuvent en effet prendre des formes variées, propagande ou cyber-attaques et cela dans tous les aspects de la société civile ou militaire.

Après une série de questions pertinentes du public auxquelles les experts ont eu le plaisir de répondre, une surprise unique fut réservée aux visiteurs du salon. Deux personnes apparurent sur l’estrade alors que les intervenants s’apprêtaient à en descendre. Elles portaient une lourde plaque de marbre noir gravée « Fédération du Mémorial de l’OTAN – NATO Memorial Federation – A la gloire des héros ukrainiens et étranger pour la libération de l’Ukraine suite à l’invasion russe du 24/02/22 », avec la traduction en ukrainien au-dessous, ainsi que le drapeau ukrainien et une reproduction du monument du Mémorial de l’Otan à Fréthun.

Très ému, Willy Breton, maître de séance et président de la Fédération du Mémorial de l’OTAN espère apporter à Kyïv ce symbole de la reconnaissance du sacrifice des soldats pour leur patrie. Une attention particulièrement forte lorsqu’il s’agit d’une institution proche du milieu militaire et de l’OTAN.

Ce riche Salon du livre militaire et du renseignement est tout à fait unique en France. Sa troisième édition (et assurément pas la dernière) a apporté un éclairage important sur la situation ukrainienne à un public varié et vivement intéressé par le sujet. Loin d’être un événement touchant uniquement des professionnels de l’armée ou des services secrets, les auteurs, dessinateurs ou exposants savent s’adapter à une population de plus en plus avertie et avide d’en apprendre davantage. De plus, les échanges entre professionnels constituent, autant de liens solides pour promouvoir la mémoire de ceux qui donnent leur vie pour protéger notre mode de vie européen et notre liberté.