L’année de la grande guerre pour les Occidentaux et un nouvel ordre nucléaire

Politique
26 février 2023, 09:38

Peu de temps avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, il y a un an, une chronique de la journaliste ukrainienne Olga Tokariuk intitulée «L’Ukraine se battra et l’Ukraine aura raison» a été publiée sur le site de Center for European Policy Analysis (CEPA). Le titre du texte reflète bien l’état d’esprit de l’époque dans les cercles d’experts occidentaux et dans la presse: L’Ukraine se battra-t-elle ? Et l’Ukraine devrait-elle affronter la deuxième armée du monde ? Peut-être était-il preferable pour elle de passer un accord ?

À cette époque, le groupe de ceux qui pensaient qu’une finlandisation sauverait l’Ukraine était considérable. Les armes que les partenaires ont fournies à l’Ukraine ont aussi témoigné de cette vision de l’avenir ukrainien. Les NLAW, Javelins et Stingers sont conçus pour la guérilla de rue, et en aucun cas pour contrer une offensive à grande échelle. Des voix individuelles, comme, par exemple, les auteurs de cette chronique sur le site Web du CEPA, ont affirmé que l’Ukraine pouvait et allait survivre. L’Ukraine a résisté au prix le plus élevé de tous les prix possibles et continue maintenant la lutte.

Début janvier 2023, les partenaires occidentaux sont finalement parvenus à un accord politique sur la fourniture de chars. Actuellement, on parle de missiles à longue portée et d’avions de combat, et le 20 février, le jour où l’année dernière des ambassades étrangères étaient déjà installées à Lviv, ou en Pologne, le président américain Joe Biden s’est rendu en Ukraine. De plus, la «finlandisation» si elle se fait sur le modèle de 2023, alors qu’Helsinki et Stockholm sont sur le point de rejoindre l’OTAN, convient parfaitement à l’Ukraine.

Un an après l’invasion à grande échelle, des opinions d’experts sur l’avenir de l’Ukraine sont publiées dans de nombreux médias étrangers aux côtés de reportages de Kyiv sur la visite du président américain. Ainsi, le Washington Post a récemment publié un article du général à la retraite Mark Hertling, ancien commandant des forces américaines en Europe, intitulé «Pourquoi l’Ukraine va gagner.» Le journal lui-même a son bureau à Kyiv depuis plus de six mois, ce qui indique une perception complètement différente de l’Ukraine. Hertling explique d’un point de vue militaire pourquoi l’armée russe, incapable de changer, est vouée à la défaite.

Dans le même temps, les politiciens occidentaux répètent les uns après les autres que l’Ukraine doit gagner et va gagner. Cependant, personne ne veut parler du moment où cette victoire aura lieu et de ce qui peut être considéré comme une victoire. Après la libération de Kherson, le président Volodymyr Zelensky a présenté sa formule de paix, et Andriy Yermak, chef du cabinet présidentiel, a déclaré que l’Ukraine voulait reprendre ses territoires, condamner les criminels et recevoir des réparations.

La presse occidentale publie à nouveau de nombreux articles et discussions sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, l’Ukraine devra s’asseoir à la table des négociations. La tâche de l’Occident est de veiller à ce que Kyiv puisse mener des négociations en position de force. C’est ce qu’a déclaré, par exemple, Steven Kotkin, historien américain, dans une interview avec The New Yorker. Bien qu’il cite la position officielle des autorités ukrainiennes (libérer tout le territoire de l’Ukraine, organiser un tribunal pour juger les criminels et recevoir des réparations), il estime plutôt que la victoire sera l’adhésion à l’UE du pays sans la Crimée et le Donbas. Il dit que Zelensky devra s’asseoir à la table des négociations, « car sinon comment va-t-il s’entendre sur les réparations. »

Il est intéressant de noter que Carlo Masala, expert militaire allemand, qui a constamment critiqué son gouvernement pour la lenteur de ses décisions concernant le transfert d’armes à l’Ukraine, en particulier de chars, a récemment aussi déclaré que l’Ukraine devra finalement s’asseoir à la table des négociations. Bien sûr, quand cela conviendra aux Ukrainiens. Selon lui, les mois à venir devraient être décisifs. Dans une interview, Kotkin se plaint que la guerre russe oblige les États-Unis et l’Occident à augmenter la production d’armes et de cartouches.

Tous ces arguments indiquent seulement que l’Occident n’est pas prêt pour une longue guerre, voulu par Vladimir Poutine. C’est ainsi que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a interprété la décision de la Russie de suspendre son adhésion au traité NPT-1, le dernier grand traité de contrôle des armements nucléaires signé entre les deuxblocs. Un autre objectif du chef du Kremlin est de brandir à nouveau la menace nucléaire.

Nouvel ordre nucléaire

«L’ordre nucléaire est mort – vive l’ordre nucléaire,» tel est le titre du dernier chapitre du rapport sur la sécurité de Munich de cette année. Le sujet de la sécurité nucléaire et du « nouvel ordonnancement » des stocks d’armes nucléaires existants entre les pays du monde est l’une des questions clés du rapport. Ses auteurs soulignent qu’il faut désormais repenser « l’ordre nucléaire, » notamment pour tenir compte du mécontentement des pays du Sud face au TNP et de l’augmentation massive du nombre d’armes nucléaires en Chine. « Repenser un ordre nucléaire qui assure la stabilité nucléaire, promeut la transparence et le contrôle des armements, et bénéficie d’un large soutien mondial est une tâche difficile,» estiment les auteurs du rapport. Néanmoins, à leur avis, « la communauté internationale doit faire tout son possible pour atteindre cet objectif. »

Outre la question de la sécurité nucléaire, le rapport accorde beaucoup d’attention aux raisons pour lesquelles les pays du Sud se tiennent généralement à l’écart de l’Occident sur la question de l’agression russe, ou, en d’autres termes, « restent neutres. » La publication comprenait même l’une des citations célèbres de S. Jaishankar, ministre indien des Affaires étrangères: « L’Europe doit se débarrasser de l’idée que les problèmes de l’Europe sont les problèmes du monde et que les problèmes du monde ne sont pas des problèmes européens. » Ainsi, à Munich, les questions que les analystes considèrent comme importantes pour le monde en ce moment sont la sécurité nucléaire et une plus grande unité entre le Nord et le Sud.

Et là encore, l’issue de la guerre et la victoire sur l’agresseur et le violeur de l’ordre existant seront décisives. En fait, avec la Russie dans son format actuel, qui agite la menace nucléaire, tout accord semble peu probable. Mais la Russie a un partenaire: la Chine.

Attention à leurs mains

Cette semaine, il y a eu des discussions dans la presse sur le fait que la Chine pourrait commencer à fournir des armes à la Russie. Les politiciens européens et américains ont immédiatement réagi à cela. En particulier, J. Borrell, representant pour la politique étrangère de l’UE, a déclaré que de telles actions signifieraient une « ligne rouge » pour l’Occident.

Le discours de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, à la Conférence de Munich sur la sécurité était aussi significatif. Il y présente son propre « plan de paix » pour la guerre russo-ukrainienne et critique les États-Unis. L’homme politique chinois a fait deux remarques importantes pour l’Ukraine : 1) l’inadmissibilité de l’utilisation de l’arme nucléaire dans toutes les conditions et 2) le respect de la souveraineté de l’État (dans ce contexte, il a mentionné Taiwan).

Mardi, le 21 février, Wang Yi s’est rendu à Moscou, où il a notamment eu un entretien chaleureux avec Vladimir Poutine. Au cours de cette rencontre, il a déclaré que les deux pays « sont souvent confrontés à la crise et au chaos, mais au milieu du chaos, on peut toujours trouver des opportunités. » Selon lui, les deux pays devraient réagir plus activement aux changements afin de « renforcer le partenariat stratégique » entre les deux pays à l’avenir.

Vendredi, le 24 février, la Chine a proposé son propre « plan de paix » en 12 points. Toutefois, il ne mentionne pas que les troupes russes doivent quitter le territoire de l’Ukraine avant de s’asseoir pour négocier. La définition la plus claire de ce plan a peut-être été donnée par le plus haut diplomate de l’UE, Joseph Borrell : « Il ne s’agit pas d’un plan de paix. C’est une position… où la Chine a rassemblé toutes les positions qu’elle a exprimées auparavant. » Le Kremlin, de son côté, a salué le « plan de paix » de la Chine. Ce qui confirme qu’il ne convient ni à l’Ukraine, ni à l’Occident.

L’Ukraine et le monde occidental sont au bord d’une Zeitenwende sans précédent …