Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

L’alchimie de la guerre. Comment je testais des explosifs pour un drone kamikaze

Guerre
3 juillet 2024, 17:08

En temps de guerre tout manque toujours. Surtout les armes. Même s’il existe un nombre illimité d’armes, ce nombre illimité ne sera jamais suffisant.

« La seule chose dont nous avons besoin, ce sont des saucisses », plaisantent les gars de l’unité des forces spéciales Stormtroopers de Dnipro, avec lesquels je vais tester de nouveaux explosifs pour les drones FPV.

Je n’ai même pas eu le temps de faire vraiment leur connaissance. Nous venions d’arriver à leur base, il faisait nuit, il pleuvait à verse et quelques personnes fumaient sous la véranda. Je me suis abrité sous le toit de la maison pour éviter d’être mouillé, quand ils m’ont immédiatement fait une offre impossible à refuser : « Voulez-vous venir avec nous pour tester de nouveaux explosifs » ?
Bien sûr.

Pendant que nous y allons, les gars partagent la sagesse de leur travail. Ils disent qu’ils sont obligés d’utiliser des engins explosifs improvisés et que pour les fabriquer correctement, ils doivent expérimenter. Il s’agira d’une expérience d’utilisation d’un tel produit artisanal. Avant cela, les drones étaient principalement utilisés pour la reconnaissance en temps de guerre et, par conséquent personne ne fabriquait de munitions spécialement pour eux. Plus tard, nous avons commencé à produire des largages pour le Mavic, mais aujourd’hui, ce n’est pas aussi significatif que le FPV.

« Pendant une guerre de positions, il est extrêmement difficile de travailler avec des drones », explique un militaire au nom de guerre Mavrodi. « Lorsqu’un drone sort, tout le monde en est immédiatement averti, les radars sont allumés, tous les militaires le cherchent et veulent l’abattre. Lors des opérations d’assaut, les militaires ont des préoccupations plus urgentes, ils ne sont pas distraits par le drone, et on peut bombarder à une hauteur confortable et le lancer où l’on veut ».

Cependant, il est toujours plus difficile de travailler avec des drones à largage qu’avec des drones-kamikaze, concluent les gars, et la même efficacité peut être obtenue soit par le nombre de bombardements, soit par une utilisation conjointe de l’artillerie.

Les drones utilisés par les Stormtroopers du Dnipro sont fabriqués avec l’argent de donateurs et coûtent près de 500 dollars l’unité. En revanche, une mine de mortier coûte 1 000 $ ou plus. Sans oublier qu’un drone FPV est une arme de haute précision, contrairement à une mine. L’avantage est donc plus qu’évident.

D’ailleurs, comme le Mavic, les FPVs sont arrivés à la guerre après avoir connu une vie tout à fait paisible. Au départ, ils étaient utilisés à des fins purement commerciales. Par exemple, le simulateur sur lequel les gars s’entraînent est conçu simplement comme un jeu vidéo, sorti en 2016. Aujourd’hui, il est utilisé comme une arme à part entière. De plus, c’est le plus efficace en termes de prix et de qualité.

Cependant, tout drone n’est qu’un moyen de livraison. On l’utilise pour diriger les munitions vers la cible. En effet, l’efficacité des dommages dépend proportionnellement du type de munition et des possibilités (difficulté de décollage) du drone. « Les Russes sont déjà en train d’attacher trois lance-grenades antichars portatifs à un drone », précisent des combattants.

« Malheureusement, les Russes produisent leurs drones à l’échelle industrielle avec des machines à commande numérique, des usines et des ingénieurs spécialisés. C’est un énorme problème. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour suivre le rythme », dit le combattant du nom de guerre Fikous.

« Je pense que la seule fois où nous avons devancé la Russie en termes de drones, c’était au début de l’été 2023 », explique Mavrodi. « Nous avions un peu plus de Maviks qu’eux. Nous avons donc simplement plus de drones civils, et ils ont plusieurs usines qui produisent des drones militaires ».

En attendant, nous marchons vers le terrain d’entraînement. « Nous allons tester un type d’explosif avec lequel nous n’avons jamais travaillé auparavant », avertit Fikous. « Toute arme technologique doit être constamment mise à jour. Au début de l’invasion à grande échelle, nous avons pu voir de nombreuses vidéos du démantèlement de l’Orlan-10 russe. Il disposait d’un appareil photo reflex numérique bon marché, d’une bouteille d’essence de cinq litres et d’une simple mallette en plastique. Tout le monde en a ri. Aujourd’hui, ces mêmes Orlan-10 sont complètement différents. Ils sont constamment en train de les mettre à jour, ainsi que le logiciel et le matériel. Tout comme nous, en principe. C’est une course ».

Fikous continue : « Si nous comptons sur le fait que l’ennemi est simplement stupide, nous ne pourrons pas gagner cette guerre. Nous devons nous perfectionner et devenir meilleurs. Notre seul avantage est Starlink. C’est un avantage indéniable, car sans lui, nous ne pourrions pas du tout les contrer dans cette guerre » .

« Nous ne parviendrons pas à battre la Russie en nombre », continue-t-il. « C’est mon opinion personnelle. La seule chose dont nous avons besoin est de devenir meilleurs qu’eux, tant quantitativement que qualitativement. Car ils s’améliorent en termes de quantité et de qualité. Mais nous pouvons devenir plus avancés sur le plan technologique : soit en inventant une méthode très bon marché et très efficace, soit en demandant à nos partenaires de nous fournir des armes et des technologies plus récentes. Il est extrêmement difficile d’y parvenir par nos propres forces ».

Le trajet jusqu’au terrain d’entraînement était long. Cela semble n’être qu’une dizaine de kilomètres, ce qui n’est rien pour le sud de l’Ukraine, mais la nuit, la pluie et l’asphalte défoncé ont rendu le périple assez long. Lorsque nous sommes finalement arrivés sur place, la pluie s’est soudainement arrêtée. Il y avait un village tout près, les chiens aboyaient, mais il faisait si sombre qu’on ne voyait même pas où on sautait de la voiture.

Après avoir inspecté les environs et choisi le bon emplacement, Albert a gentillement invité tout le monde à entrer dans la tranchée et à se baisser pour éviter d’avoir la tête arrachée lors de l’explosion. Moi, au cas où, je me suis non seulement baissé, mais j’ai aussi ouvert grand la bouche pour éviter de me déchirer les tympans. J’ai fermé également les yeux au cas où je serais recouvert de terre. Ayant manipulé l’explosif nouvellement créé à l’autre bout de la tranchée, Albert l’a lancé le plus loin possible, s’est baissé et a commencé à compter. Il y a eu un petit sifflement, voire un claquement, mais pas d’explosion.

Au bout d’un moment, Albert a sauté hors de la tranchée et est allé voir ce qui s’était passé. J’étais toujours assis au fond de la fosse, et je n’ai pas bougé, car qui sait pourquoi il n’y a pas eu d’explosion. Mon expérience personnelle en matière d’explosifs m’amène à penser que celui-ci attend délibérément que vous vous en approchiez. Nous avons fait un jour une expérience avec du carbure et c’était exactement comme ça. Mais cette fois je me suis trompé. Cela ne s’est pas produit. Pour une raison quelconque, la substance qui remplissait le sac n’a pas explosé du tout. Après plusieurs tentatives de réanimation, qui ont aussi échoué, les soldats ont finalement abandonné l’idée. Ils sont montés dans la voiture et ont repris le chemin du retour.

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Je demande à mes nouveaux camarades s’il arrive souvent qu’une expérience échoue. « Une fois sur 100. C’est une substance nouvelle, je n’ai jamais travaillé avec. Maintenant, j’ai décidé de la tester. C’est raté », répond Albert.

« Il existe de nombreux explosifs de ce type, ils fonctionnent tous différemment. Peut-être qu’une température très élevée est nécessaire pour la détonation. Nous sommes des personnes sans formation professionnelle, on teste tout ce qu’on trouve », intervient à son tour Mavrodi.

« Comment ça, sans diplôme professionnel ? », s’indigne Albert. « Je suis électricien, mais je n’ai jamais travaillé en tant que tel ».

« Et moi, j’ai fais des études de designer », ajoute Fikous.

Mavrodi est le commandant de l’unité. Il a une formation économique et a déjà passé ses examens de fin d’études pendant la guerre, entre les déploiements militaires. Pour l’instant, il n’a pas pu encore travailler comme économiste. Avant la guerre, il a fait de l’auto-stop à travers le monde et joué de la guitare dans les passages souterrains.

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Tous sont des volontaires. Ils ont fait la guerre, parce que c’est nécessaire, selon eux.
La guerre, malgré tous ses inconvénients, est un job très créatif, les jeunes en sont convaincus. Bien sûr, il y a aussi des professions qui ne sont pas du tout créatives, mais si l’on parle de la production d’armes et de munitions, de leur utilisation et de l’invention de nouvelles tactiques, c’est le genre de créativité que l’on ne trouve nulle part ailleurs. La technologie militaire est à la pointe du progrès.

« Même si nous travaillons avec des éléments inventés il y a 100 ans. Les drones FPV ne sont qu’un tas de pièces fabriquées en Chine combinées à des munitions soviétiques », estime Fikous.

Selon les soldats, lorsqu’on se trouve dans une situation stressante, beaucoup dépend de la façon dont on se perçoit : victime ou chasseur. Les personnes qui se placent en position de victime sont plus susceptibles de souffrir de stress post-traumatique, d’envisager le suicide et de penser que tout ira mal pour elles. Les chasseurs, quant à eux, sont beaucoup moins souvent confrontés à cette situation. Dans le contexte de la guerre, il faut apprendre à être un chasseur, et tout ira bien.

Auteur:
Roman Malko