The Ukrainian Week/ Tyzhden.fr s’est entretenu sur les perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN en 2023 avec Hanna Shelest, directrice du programme d’études de sécurité du Conseil de politique étrangère « Prisme ukrainien ».
— Le 30 septembre 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé que l’Ukraine demandait à adhérer à l’OTAN. Le 1er décembre, la vice-première ministre Olha Stefanychyna a noté que la candidature de l’Ukraine serait examinée lors du sommet de Vilnius en juillet 2023. De votre point de vue aujourd’hui, quels peuvent être les résultats de l’analyse de cette candidature?
— Tout d’abord, l’Ukraine a présenté sa demande il y a près de 15 ans déjà. A l’OTAN, il n’y a pas de procédure formelle de « candidature », il y a une expression de volonté. Notre pays l’a déjà fait, et de suite, dès 2005, un dialogue dit « intensifié » a commencé. Ensuite, nous avons attendu la prochaine étape du sommet de Bucarest en 2008. A cette époque, presque tout le monde s’attendait à ce que nous obtenions le plan d’action pour l’adhésion (MAP). Mais la donne a changé. Nous savons ce qui s’est passé: la Fédération de Russie a forcé la France et l’Allemagne à voter contre cette décision. En automne 2022, la situation a changé. Un autre message symbolique était formulé, sur le désir de rejoindre l’OTAN. L’Ukraine a changé, elle s’est mise à niveau par rapport à de nombreuses normes, ce qui n’était pas le cas en 2008.
Il y aura un grand sommet à Vilnius, où tout le monde s’attend à ce que des décisions importantes puissent être prises. Bien sûr, elles sont politiques et nécessitent le consentement de tous les pays. Et nous comprenons qu’il existe certaines divergences d’opinion. Non pas qu’il y ait un pays qui n’aimerait pas voir l’Ukraine dans l’OTAN en général. Mais, malheureusement, il y a encore des politiciens qui croient que l’élargissement de l’Alliance peut « provoquer » la Fédération de Russie. La question principale, à savoir si nous pouvons nous attendre à une décision positive, est extrêmement difficile et peut changer même un jour avant le sommet de Vilnius. Nous avons encore près de six mois avant ce rendez-vous. La décision du sommet de Vilnius dépendra de la situation sur le champ de bataille, de l’état de la Fédération de Russie, d’hommes politiques tels que Viktor Orban, mais elle dépendra également d’hommes politiques tels qu’Emmanuel Macron.
Parce que, malheureusement, après dix mois de guerre, on entend encore parler d’éventuelles garanties pour la Russie et de la non-expansion de l’OTAN, ce qui peut devenir « une garantie » pour Moscou. C’est une approche étrange, car nous comprenons qu’il s’agit d’influence de la propagande russe. La situation avec la Finlande et la Suède l’a d’ailleurs démontré très clairement.
Si nous suivons les déclarations des dirigeants russes, nous verrons une certaine tendance. En avril, lorsque nous avons entendu pour la première fois que la Finlande et la Suède allaient rejoindre l’OTAN, des déclarations dures du type « Jamais, c’est un acte d’agression! » ont été prononcées par le Kremlin. Cependant, la Finlande et la Suède n’ont pas renoncé à leur décision. Que s’est-il passé alors? En deux semaines, les positions de l’ex-président Dmitriy Medvedev et du président Vladimir Poutine ont changé. Ils ont commencé à dire que l’adhésion de ces deux pays ne les menaçait pas, mais que si des armes supplémentaires y apparaissaient, ce serait une menace. Voici un exemple classique de manipulation russe, et ce n’est que lorsque la Fédération de Russie reçoit une réponse appropriée qu’elle cesse ses menaces et ses manipulations.
— Quels pays peuvent poser problème pour empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ?
— Il y a des pays qui font ouvertement quelque chose dans ce sens et le déclarent, et il y a ceux qui agissent en coulisses. Et nous le savons aussi. Parfois, des hauts fonctionnaires d’un même pays peuvent exprimer des divergences.
Soyons honnêtes, Viktor Orban ne cesse de bloquer la commission « Ukraine-OTAN », mais il n’a jamais bloqué la fourniture d’une aide militaire à l’Ukraine ni le statut de « partenaire à possibilités accrues ». Nous comprenons qu’avec la détérioration de la situation en Hongrie, il peut y avoir des changements, et sa position peut se durcir. Dans le même temps, nous avons la France, qui a réussi à plusieurs reprises à adoucir des déclarations collectives, ou a freiné le dialogue avec l’Ukraine dans le cadre de l’OTAN, de peur que cela ne provoque la Fédération de Russie. Malheureusement, nous pouvons nous attendre à ce que cela continue.
Les États-Unis, étonnamment, ne sont pas non plus un pays aussi univoque au sujet de l’Ukraine. Nous savons déjà aujourd’hui que c’est Washington qui n’a pas permis à l’OTAN de s’impliquer davantage dans la crise ukrainienne en mars. Ils étaient prêts à créer n’importe quel format multilatéral comme Ramstein, mais pas à parler du parapluie de l’OTAN, car, encore une fois, certains politiciens pensaient que cela pourrait « provoquer » les Russes.
Nous comprenons qu’il peut s’agir de pays comme la Bulgarie, où il y a une crise politique depuis un an et demi et où les forces pro-russes peuvent avoir des positions sérieuses. Nous pouvons nous attendre à ce qu’après les élections en Slovaquie, le camps pro-russes s’y renforcera, nous ne savons pas quelle sera la position slovaque concernant l’adhésion de l’Ukraine. Mais il peut aussi s’agir de renaissances assez inattendues, comme celles qu’exprime l’Espagne. D’une part, Madrid n’est pas contre l’élargissement de l’OTAN, mais il estime que l’Alliance accorde trop d’attention à l’Est et qu’il existe de plus grandes menaces, en particulier au Sud. Et seulement s’il y a un équilibre entre l’Est et le Sud, l’Espagne votera pour certaines décisions. Par conséquent, il est très important pour l’Ukraine aujourd’hui de comprendre où se trouvent ces éléments problématiques, même dans les pays amis, et de travailler avec eux au cours des six prochains mois.
— Lorsque le président Volodymyr Zelensky a annoncé l’intention de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN, il a parlé d’une procédure raccourcie. À quoi devrait-elle ressembler? S’agit-il d’une adhésion sans l’obtention préalable d’un plan d’action pour l’adhésion (MAP) ?
— Le MAP ne fait pas partie de la procédure standard d’adhésion à l’OTAN. Il n’est apparu qu’en 1999, après que les trois premiers pays du bloc de l’Est ont commencé à l’accepter. Puis ils ont réalisé qu’il existait quelques difficultés, et le MAP a été créé, non pas comme une condition d’adhésion, mais comme un mécanisme auxiliaire pour que les pays remplissent toutes les normes et adhèrent plus rapidement. Ce n’est qu’en 2006, dans certains documents (en particulier au sommet de Riga), qu’une formulation est apparue, selon laquelle il faut d’abord obtenir le MAP pour pouvoir ensuite seulement adhérer. Et c’est assez étrange, car d’un mécanisme auxiliaire, il est soudainement devenu obligatoire. Toutefois, ces points sont mentionnés dans les déclarations des sommets, qui ne sont pas des documents juridiquement contraignants.
La situation de la Finlande et de la Suède a montré que le MAP n’est pas un élément obligatoire si le pays remplit les critères. Pour cela, il existe une période d’évaluation. Si vous regardez la composition du MAP et du programme annuel OTAN-Ukraine, elles sont presque identiques. C’est-à-dire que, pour nous, la fonction de ce plan d’action pour l’adhésion en tant que mécanisme auxiliaire était assurée par le programme national annuel. Par conséquent, dire que pour l’Ukraine cet élément est obligatoire devient une manipulation politique.
Bien sûr, en dehors de toutes ces normes techniques, il y a toujours des décisions politiques pour déterminer si un pays remplit les critères d’adhésion. L’OTAN ne dispose pas de quelque chose comme les critères de Copenhague (critères d’adhésion à l’UE – ndlr), qui déterminent si un pays est apte ou non à devenir membre de l’Alliance. De plus, le Traité de Washington prévoit qu’un Etat membre doit « contribuer à la sécurité collective ». Et c’est là le problème. Car bien sûr, lorsque les combats continuent, n’importe quel politicien peut dire : « Comment l’Ukraine contribue-t-elle à la sécurité s’il y a la guerre sur son territoire? ». Cela laisse un large champ au dialogue politique, et à la manipulation.