Notre correspondant a pu passer une nuit avec des chasseurs de Shaheds, sur la ligne du front.
Ils travaillent la nuit, non loin de la ligne de contact. Et bien que presque tout le monde sur la ligne de front agisse principalement la nuit, parce que c’est la façon la plus efficace de faire la guerre, et la plus sûre aussi, ces gars-là ont un travail fort particulier : ils chassent les Shaheds, ces drones d’attaque kamikazes iraniens.
Bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de profiter de l’occasion et de me faire inviter à aller chasser. La nuit précédant la chasse avait été très agitée. L’ennemi avait lancé neuf missiles de différents types et 27 drones d’attaque au-dessus de l’Ukraine. Et comme les attaques massives se poursuivent presque toujours la nuit suivante, j’ai eu l’occasion de voir de mes propres yeux comment les soldats ukrainiens détruisent les fruits de la collaboration militaire irano-russe.
Les soldats se mettent au travail dès la tombée de la nuit. L’agresseur lance ses drones principalement la nuit afin qu’ils ne deviennent pas une cible trop facile pour les chasseurs. Il est toujours beaucoup plus difficile de les abattre dans l’obscurité que pendant la journée. « Il y avait des jours où nous finissions le travail à huit heures du matin. Les magasins ouvrent, nous prenons un café, les gens passent, regardent et ne comprennent pas si nous sommes déjà rentrés du travail ou si nous allons bosser. Il peut nous arriver de partir 3 à 4 fois par nuit », raconte le combattant du nom de guerre Poltava.
En général, les jours et les nuits des trappeurs de Shaheds ne sont jamais pareils. Les bombardements peuvent s’arrêter dès deux heures du matin ou durer jusqu’à cinq heures. Les soldats disent qu’ils ne se détendent jamais et qu’ils sont toujours prêts à reprendre leur besogne. « On enlève juste les bottes et la veste, on se couche sur le lit et on dort tout habillé. Dans la voiture, tout est prêt pour partir. Normalement, on n’a que dix minutes pour arriver à la position. Bien sûr, travailler la nuit est plus difficile que le jour, mais ce n’est pas un problème. La seule question qui se pose est celle de la motivation. La motivation est la force motrice », explique un autre combattant.
Le groupe mobile que nous rejoignons est équipé de plusieurs mitrailleuses de gros calibre, d’une caméra thermique à laser et d’une tablette avec un programme de suivi des mouvements d’un Shahed. Le groupe étant parti tôt, la première tâche consiste à le retrouver parmi les nombreuses plantations. Ce n’est pas facile, compte tenu de l’obscurité, de la nécessité de se camoufler et de sa mobilité constante.
Alors que nous sommes en route, un message apparaît sur le réseau concernant le lancement de Shaheds depuis la Crimée, en direction de Mykolayiv. Théoriquement, ce n’est pas notre direction. La plupart des drones qui viennent ici sont lancé depuis le Kouban, mais en pratique, il est impossible de deviner comment sont programmées ces machines diaboliques. À tout moment elles peuvent changer de direction. Les Shaheds d’aujourd’hui sont nettement plus intelligents que leurs ancêtres. Leur dispositif est perfectionné, ils sont censés savoir détecter le danger qui les menace et modifier leur trajectoire de vol.
Depuis quelque temps, les Shaheds arrivent par trois ou quatre d’un coup. Autrefois ils étaient 8 à 10. « Nous les frappions avec tout ce que nous avions pour en abattre ou au moins en endommager le plus possible. Peu importe l’endroit où on les abat, l’essentiel est qu’ils n’atteignent pas leur cible », racontent les soldats.
Mais le problème est qu’ici, près de la ligne de front, ces projectiles volent à une altitude assez élevée, de six cents à mille mètres, à une vitesse effrénée de deux cents kilomètres à l’heure, de sorte qu’ils sont difficiles à toucher par les systèmes portatifs de défense aérienne. C’est seulement ensuite qu’ils ralentissent et volent à 100-150 mètres au-dessus du sol, en serpentant à travers les vallées et les cours d’eau. Il n’est donc pas facile de les abattre à haute altitude avec une mitrailleuse lourde conventionnelle. « Les capacités de visée de l’arme sont limitées, mais il faut toujours tenter sa chance », explique Poltava.
Les « chasseurs » locaux possèdent toute une collection des drones abattus. Rien qu’en juin ils en ont détruit une douzaine. « Cette semaine, il y en a eu quatre, la semaine dernière trois en un jour, et avant cela, deux », dénombre Poltava.
Il n’est pas facile de déterminer qui a abattu un drone. On peut attribuer le tir fatal à n’importe qui, mais c’est l’ensemble du processus qui compte. Plusieurs groupes travaillent sur chaque Shahed, simultanément ou à tour de rôle. « Au cours de sa trajectoire, le projectile peut changer de son, produire des bruits étranges », détaille Poltava.
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Lorsque l’équipe de recherche arrive sur le site de crash et trouve les ailes, la queue, etc., l’identification commence. « Souvent, on détermine qu’il s’agit d’un résultat collectif : un groupe a touché le drone dans le dos, un autre l’a achevé », dit un combattant.
Les permanences des « chasseurs » ressemblent un peu à un pique-nique nocturne. Quelqu’un surveille le vol des missiles et des drones à l’aide d’un gadget, tandis que d’autres causent de tout et de rien. L’un a faim et mange des sandwiches ou boit du thé, l’autre fume ou écoute de la musique, et le troisième observe à travers une caméra thermique des lièvres, qui se sont reproduits en grand nombre dans ces lieux. Nous en avons compté neuf dans une seule zone du champ. Ils ne s’enfuient même pas si on braque un puissant projecteur sur eux. Les animaux restent tranquilles, au risque de devenir la proie des chasseurs de lièvres. Mais cette fois-ci, les soldats ne voulaient pas tirer sur eux. Courir dans le champ nocturne à la recherche du lièvre abattu au risque de rater une cible dans le ciel ? Pas question…
Les positions pour ce genre du travail sont un concept plutôt conditionnel. Habituellement, le groupe mobile dispose de plusieurs points sur la carte où il s’arrête, comprenant la trajectoire de vol du projectile. Le virage du Shahed est analysé sur la carte. Les militaires choisissent le point qui permet de travailler le mieux. Les chasseurs reçoivent toutes les informations nécessaires sur une tablette via une application spéciale ou par radio. Des imprévus arrivent assez souvent. Par exemple, pendant notre service, nous avons reçu des informations sur un éventuel missile qui survolait l’endroit où nous nous trouvions. Les militaires ont décidé de travailler depuis le parking : pas le temps de s’organiser mieux. Mais au dernier moment, la cible a disparu : le missile a été abattu par des unités voisines.
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Vers deux heures du matin nous avons pu disposer. Cette fois pas un seul projectile n’avait décollé du Kouban, et il s’est avéré que la raison n’était en aucun cas la pleine lune : la veille au soir, après une attaque massive organisée par les Russes, nos forces de défense ont détruit le terrain d’entraînement de Yesk, d’où les envahisseurs lancent des Shaheds sur toute l’Ukraine. Un énorme stock de drones a été détruit. La situation est restée calme ici pendant une semaine, puis les vols ont repris. Apparemment, un nouveau lot d’engins de mort est arrivé d’Iran, et les chasseurs ont de nouveau de quoi s’occuper chaque nuit ou presque.