Olena Boyko historienne

Comment l’Ukraine s’est battue pour la Crimée il y a un siècle

Histoire
4 avril 2023, 15:33

La Première Guerre mondiale et les événements révolutionnaires de 1917-1918 ont entraîné d’importants changements géopolitiques sur la carte de l’Europe : l’émergence de nouveaux États et la modification des frontières qui existaient auparavant. Suite aux premiers combats de libération, un État ukrainien indépendant est apparu. La formation de son territoire et la définition des frontières ont été reflétées dans les documents de la Rada centrale (le parlement révolutionnaire de l’Ukraine). Elles ont été également fixées par des actes internationaux : les accords de paix de Brest-Litovsk entre l’Ukraine et les empires centraux et entre la Russie soviétique et les mêmes empires centraux. Dans ces documents, le pouvoir ukrainien ne s’étendait pas à la Crimée. Au stade initial de la formation de l’État ukrainien, la péninsule de Crimée est restée en dehors des frontières de la première République Populaire d’Ukraine autonome, puis souveraine (1917-1921).

Initialement, cette position sur la Crimée a été adoptée parce que la Rada centrale était guidée exclusivement par le principe ethnographique lors de la définition de son territoire, le critère principal étant la taille de la population ukrainienne. Les terres où plus de la moitié de la population locale était ukrainienne étaient considérées comme ukrainiennes. C’est ainsi que le territoire a été défini dans le Troisième universal de la Rada centrale, qui a proclamé la République Populaire Ukrainienne (RPU) en tant qu’une partie autonome de la Russie démocratique. À l’époque, les Ukrainiens étaient largement majoritaires dans neuf provinces de l’ancien Empire russe. La RPU comprenait sept provinces dans leur intégralité (Volyn, Katerynoslav, Kyiv, Podillia, Poltava, Kharkiv, Kherson), ainsi que Tchernihiv (sans les quatre comtés du nord où les Ukrainiens représentaient moins de la moitié de la population et Tavria (sans la Crimée). Elles ont été incluses dans la RPU. Dans l’ensemble de la province de Tavria, 42,2 % dUkrainiens, 27,9 % de Russes et 13,6 % de Tatars de Crimée y vivaient. Si l’on considère séparément la Tavria continentale (districts de Dnipro, Melitopol et Perekop), les Ukrainiens représentaient 60 % de la population. Par conséquent, la Tavria continentale a été intégrée à la République ukrainienne, tandis que la Crimée est restée en dehors de ces frontières en tant que territoire « non ukrainien ».

Il y avait une autre raison non moins importante. Avec le début de la révolution démocratique en Russie en février 1917, des événements révolutionnaires orageux ont également eu lieu en Crimée, parmi lesquels le mouvement national de la population autochtone, à savoir les Tatars de Crimée, qui était le plus actif. A l’époque sur la péninsule (presqu’île) la population était composée de 41,2 % de Russes, 28,7 % de Tatars de Crimée, 8,6 % d’Ukrainiens et le reste d’Allemands, de Grecs, d’Arméniens et de Bulgares. En mars, un congrès musulman de toute la Crimée s’est tenu et a élu un comité exécutif musulman chargé d’assurer la liaison avec le gouvernement provisoire et la Rada centrale. 

En mars, le Congrès musulman de toute la Crimée s’est réuni, le comité exécutif musulman a été élu. Cet organe était en contact avec le gouvernement provisoire et la Rada centrale. En juillet, le parti national tartare de Crimée Milli-Firka a été formé, prônant la création d’un État indépendant. Enfin, en décembre, le Kurultaï, le parlement national, s’est réuni à Bakhtchyssaraï en Crimée. Il a proclamé la formation de la République populaire de Crimée, a adopté la Constitution, a créé un gouvernement national : le Directoire de Crimée. Le Kurultaï a été solennellement salué par les membres du Comité central ukrainien et par Symon Petlioura en personne. À cette époque, les sentiments fédéralistes prévalaient à Kyiv et l’on croyait que la République Populaire de l’Ukraine et la République Populaire de la Crimée deviendraient les entités d’une Russie démocratique renouvelée dans l’avenir.

 

 Ouverture du premier Kurultaï du peuple tartare de Crimée au Khan Palace. Bakhchisaraï, décembre 1917
Malheureusement, le Kurultaï ne disposait d’aucun pouvoir réel sur la péninsule. Les organes locaux du gouvernement provisoire et les conseils bolcheviques se disputaient également ce pouvoir. En même temps que le Kurultaï, un congrès provincial des gouvernements des villes et des zemstvo (les collectivités locales de l’Empire russe) s’est tenu à Simféropol, qui a élu un organe de pouvoir démocratique : le Conseil des représentants du peuple. En même temps, un comité révolutionnaire bolchevique a été formé à Sébastopol et a entrepris immédiatement de prendre le pouvoir en Crimée par les armes. Face à la menace bolchevique, les deux institutions démocratiques ont uni leurs forces dans la lutte armée contre eux, mais sans succès.

Carte allemande de l’Ukraine en 1918
En janvier 1918, les Bolcheviks s’emparèrent de la Crimée et y établirent un régime soviétique. Sur ordre du Comité militaire révolutionnaire de Simféropol, le Kurultaï et le Conseil des représentants du peuple furent dissous. Lorsque les Bolcheviks ont finalement réalisé qu’ils ne pourraient pas résister à l’assaut des troupes allemandes et ukrainiennes, le 26 mars 1918, ils ont proclamé un quasi-État : la République socialiste soviétique de Tavrida, de jure indépendante, de facto faisant partie de la Russie soviétique. 

Cette formation a existé pendant un peu plus d’un mois et en avril, les troupes ukrainiennes sous le commandement du colonel Petro Bolbotchan ont évincé les Bolcheviks hors de la péninsule. Après avoir forcé le lac Sivash, ils ont occupé Djankoy, Simféropol et Bakhtchyssaraï. Cependant, les Ukrainiens ont été contraints de se retirer de la Crimée à la demande du commandement allemand. Les Allemands ne faisaient pas confiance à la Rada centrale, et donc s’abstenaitent de prendre une décision définitive à propos de la Crimée. Un régime d’occupation allemand dirigé par le général Robert von Kosch s’y établit.

La politique de Hetman

Alors que les troupes ukrainiennes prenaient d’assaut la Crimée, un changement de pouvoir a eu lieu à Kyiv. L’État ukrainien de l’Hetman Pavel Skoropadsky a poursuivi la politique de la Rada centrale visant à réunir les terres ukrainiennes. L’Hetman a décidé de ne pas refaire les erreurs de ses prédécesseurs, et dès le début il a misé sur l’annexion de la péninsule. Déjà une semaine après le coup d’Etat organisé par les partisans de l’Hetman, à savoir le 7 mai 1918, le Conseil des ministres a examiné la question « A propos des frontières de l’Ukraine » et a décidé de « porter une attention particulière à la nécessité de rattacher la Crimée à l’Ukraine ». Le 10 mai, l’Hetman a adressé une note à la représentation diplomatique d’Allemagne en Ukraine, en y présentant des arguments bien développés en faveur de l’intégration de la péninsule au sein de l’Ukraine. Toutefois, la question n’a pas été résolue à l’époque.

La signature du traité de paix de Brest le 9 février 1918

Conformément au traité de paix de Brest-Litovsk, la Russie communiste s’est engagée à reconnaître la République Populaire Ukrainienne, à retirer ses troupes de son territoire, à conclure un traité de paix et à établir de nouvelles frontières. La conférence de la paix avec les Russes dura de mai à octobre 1918 et devint un événement central dans la vie internationale de l’État ukrainien. La délégation russe composée de 37 personnes était dirigée par les célèbres politiciens Khristiyan Rakovskyi, qui est dévenu plus tard l’ambassadeur soviétique à Paris, et Dmytro Manuelskyi. Compte tenu de la complexité et de l’importance des négociations, la partie ukrainienne s’y était préparée de manière extrêmement sérieuse et responsable. La délégation comprenait les meilleurs avocats, des personnalités politiques bien connues telles que Serhiy Shelukhin (président), Ihor Kistyakivskyi, Petro Stebnytsky, Oleksandr Slyvinsky, Otto Eichelman, Hristofor Baranovsky, Platon Linnychenko et d’autres. Sept commissions ont joué un rôle consultatif, des spécialistes issus de divers domaines ont été invités en qualité d’experts. Le 12 juin, les parties ont conclu un accord de paix préliminaire, arrêté les hostilités et établi une ligne de démarcation, soit une frontière temporaire entre l’État ukrainien et la Russie. Cependant, les deux parties n’ont pas considéré cette démarcation comme définitive, de sorte que les réunions plénières suivantes ont été réduites à des discussions animées sur des questions territoriales.

Serhiy Chelukhine

Il existe un document intéressant parmi l’éventail des éléments d’archives de la Conférence de la paix conservés dans les archives centrales de l’État émanant des plus hautes instances du gouvernement et de l’administration de l’Ukraine. Il s’agit d’une note de synthèse de Dmytro Dontsov intitulée « Aux frontières de l’Ukraine sous un angle politique » (9 pages dactylographiées, copie non certifiée). Il vaut d’être rappelé qu’à cette époque, Dontsov dirigeait l’agence télégraphique ukrainienne et le bureau de presse d’État et était un expert de la commission politique de la délégation de la paix. Journaliste de renom, légiste, ancien membre de lUSDRP (Parti ouvrier social-démocrate ukrainien – ndlr) qui s’est distancié du mouvement socialiste, il est rentré à Kyiv, après plusieurs années d’émigration, en mars 1918, s’est rapproché des paysans démocrates et a désapprouvé la politique de la Rada centrale. Après le сoup d’État de Pavlo Sloropadsky contre la Rada centrale, il a été invité par ce dernier et s’est porté volontaire pour travailler dans des structures du pouvoir de l’Hetmanat.

Nous apprenons l’existence du document mentionné dans le journal de Dmytro Dontsov (1883-1973 : homme politique ukrainien, philosophe, idéologue du nationalisme intégral – ndlr). Le 4 juin, il a écrit que lors d’une réunion de la commission politique, il avait été chargé de « rédiger un essai sur les frontières politiques de l’Ukraine ». Le 7 juin, Dontsov a fait un rapport lors de la réunion de la commission et a noté dans son journal que son opinion était soutenue par Shelukhin, le chef de la délégation ukrainienne. Le rapport de Dontsov mérite l’attention en tant que le premier document dans lequel les frontières de l’Ukraine ont été définies sous un aspect géopolitique.

Fasciné par les illusions ethnographiques, la Rada centrale, dans la dernière période de son activité, s’est fixée pour tâche d’inclure des territoires éloignés où vivaient de nombreux Ukrainiens. Lorsque le 14 février 1918, le Conseil des ministres du peuple discuta des termes du futur traité de paix avec la Russie, les propositions concernant les revendications territoriales étaient impressionnantes, elles mentionnaient les parties du district de Kouban et de Rostov, le district de Taganrog, les provinces de la mer Noire et de Stavropol, le district de Putivl de la province de Koursk, quatre districts de la province de Voronej, et aussi la colonie ukrainienne Zeleny Klyn (Cale Verte en français) en Extrême-Orient. Pour la première fois, la Crimée était mentionnée et censée rester « sous l’influence de l’Ukraine ». Cependant, on ne sait pas sous quel statut. 

Dmytro Dontsov

L‘ampleur des revendications territoriales suggère que même après la paix de Brest, les ministres ukrainiens étaient peu conscients du fait que l’Ukraine ne faisait plus partie de la Russie. C’est la seule façon de comprendre la proposition d’inclure les territoires du Zeleny Klyn dans la République Populaire Ukrainienne. Il est également évident que l’objectif stratégique de la Rada centrale était d’inclure le plus grand nombre possible de territoires à l’Ukraine.

Intérêt de l’État

Dontsov, quant à lui, voyait le problème différemment. Il a estimé que la définition des frontières de l’État ukrainien ne pouvait être guidée par « une simple arithmétique de la composition ethnique de la population ». Dès les premiers paragraphes de son mémoire il a énoncé clairement les principes étatiques de la définition des frontières : « Ce sont les intérêts de l’État ukrainien qui doivent prévaloir lors de la résolution de toutes les questions frontalières ». Les négociations sur l’établissement des frontières de l’Ukraine devraient être menées non seulement avec la Russie soviétique (là, il s’agit des frontières orientales et sud-est), mais également avec les régions ethniques de l’ancien Empire russe qui aspiraient à la souveraineté, à savoir la Biélorussie, le Don, le Kouban, la Crimée.

L’État ukrainien indépendant, dont la formation est devenue possible sur les principes de l’autodétermination des nations, ne pouvait que respecter la réalisation de ce droit par les autres peuples. Dontsov a analysé en détail le statut juridique de chacune de ces régions et la nature des relations avec elles et est parvenu à la conclusion que la Biélorussie, le Don et le Kouban devraient devenir des entités étatiques indépendantes de la Russie. Sur cette base, les frontières étatiques entre eux et l’Ukraine ne devraient être déterminées que par une reconnaissance mutuelle des gouvernements respectifs, sans aucune ingérence du gouvernement de la Russie. Ces « anciennes périphéries de l’ancien Empire russe » ont acquis un statut indépendant avant même le début des négociations de paix. Par conséquent, au moment des négociations, ces terres ne faisaient plus partie de la Russie soviétique.

La question de la Crimée était différente. Le Troisème Universal de la Rada centrale « a eu l’imprudence » de déclarer que seul le nord de la Tavria, et non la Crimée entière, appartenait à l’Ukraine. Lorsqu’en décembre 1917, le Kurultaï tartare informa la Rada centrale de la formation de la République de Crimée, le gouvernement de l’République Populaire d’Ukraine ne souleva aucune objection. L’Ukraine n’a pas déclaré ses droits sur la Crimée lors des pourparlers de paix de Brest-Litovsk. Mais comme les événements ultérieurs l’ont montré, la Russie n’avait pas renoncé à ses droits « souverains » sur la Crimée. Et au moment des négociations, le statut juridique de la Crimée restait incertain. Si nous abordons la question formellement, le sort de la Crimée aurait dû être décidé soit par l’Ukraine avec la Russie, soit par l’Ukraine avec la Crimée.

Dontsov considérait ce point de vue comme erroné. La Biélorussie, le Don et le Kouban étaient des territoires à part entière qui, bien que sous une forme différente, existaient à l’intérieur des mêmes frontières avant même la désintégration de l’Empire russe. La Crimée n’était ni un territoire à part entière, ni une unité administrative distincte. La partie nord de la péninsule (ou presqu’île) a fusionné avec la Tavria continentale du point de vue de son caractère ethnique et géographique. Cette circonstance a privé la presqu’île de son caractère unique, donc à la fois légalement et de fait, la Crimée faisait partie de Tavria. L’État ukrainien pouvait reconnaître le droit des nations à l’autodétermination pour des territoires nationaux ou administratifs clairement définis, mais pas pour leurs parties arbitrairement séparées. La conclusion de Dontsov était la suivante :

Suleiman Sulkevitch

« Reconnaître le droit à l’autodétermination politique à quelques centaines de milliers d’habitants de la Crimée (750.000 – ndlr) reviendrait à faire dépendre de leur bonne volonté le destin d’un pays de 40 millions d’habitants, l’Ukraine, dont la souveraineté serait illusoire sans la Crimée. De tels Etats nains, importants stratégiquement et géopolitiquement (ce qu’est la Crimée), ne conservent jamais leur indépendance. Séparée de l’Ukraine, à laquelle elle est organiquement liée, la Crimée deviendrait un jouet entre les mains de forces hostiles à l’Ukraine. Compte tenu de cela, l’État ukrainien peut reconnaître le droit de la Crimée à l’autodétermination, mais pas politique, uniquement culturelle et nationale. Les droits des Tatars de Crimée doivent être garantis en accord avec eux. Mais politiquement, la Crimée fait partie intégrante de l’Ukraine et doit le rester à l’avenir. Du point de vue juridique, l’ingérence d’un tiers facteur dans les rapports entre eux est absolument inacceptable ».

En ce qui concerne la Crimée, l’État ukrainien, selon Dontsov, n’aurait dû faire aucun compromis. Il donne un exemple historique : « Sébastopol avec la Crimée est la clé de la domination à l’arrière-pays, qui en 1855 était la Russie, et maintenant sera l’Ukraine. Le traité de Paris (1856 – ndlr) a contraint la Russie à renoncer à son droit d’avoir une marine sur la mer Noire et des arsenaux sur sa côte en raison de la perte temporaire de Sébastopol. Après la perte de la Crimée, des restrictions similaires à la souveraineté de l’État ukrainien l’attendent en cas de transfert de la Crimée dans d’autres mains. L’appartenance de la Crimée à l’Ukraine est une condition sine qua non de l’indépendance ukrainienne ».

Des difficultés pratiques

L’inclusion de la péninsule à l’Ukraine s’est heurtée à l’opposition d’une partie du mouvement tartare de Crimée, des cercles chauvinistes russes en Crimée et, dans un premier temps, de l’Allemagne, qui à la fin de l’été 1918 ne pouvait pas décider de son attitude face à l’avenir de ce territoire. Initialement, Berlin avait envisagé la possibilité d’établir un protectorat sur la Crimée. Mais au fil du temps, la position a prévalu, selon laquelle la péninsule devait être remise à l’Ukraine sur le principe des droits d’autonomie.

Les troupes allemandes étaient stationnées sur le territoire de la Crimée. En mai-juin, en accord avec le commandement allemand, le gouvernement régional de Crimée a été formé ici. Il se composait principalement de fonctionnaires du gouvernement de l’Empire russe, dirigés par le général Suleiman Sulkevich. Et bien que différents courants politiques rivalisaient au sein du gouvernement de Crimée,

l’axe principal de son activité était la création d’une entité étatique indépendante de l’Ukraine, qui devait à l’avenir faire partie de la « Russie unie » rétablie.

L’État ukrainien n’a pas reconnu « l’indépendance » de la Crimée et a mené une lutte acharnée pour l’annexion de la péninsule. L’hetman Pavlo Skoropadskyi et le ministère des Affaires étrangères ont continué à faire appel au commandement et aux diplomates allemands pour leur demander de faciliter l’inclusion de la Crimée à l’Ukraine. Le gouvernement ukrainien a soutenu les cercles ukrainophiles en Crimée. Des fonds ont été alloués pour soutenir les journaux ukrainiens, les organisations publiques, en particulier le Comité ad-hoc de l’Ukraine des steppes et les coopératives ukrainiennes. Le bureau d’information du Ministère ukrainien des affaires étrangères fonctionnait à Simféropol. .

Le général Robert von Kosch avec des officiers d’état-major. Crimée, 1918

Toutefois, ces mesures n’ont pas permis d’améliorer la situation et les sentiments séparatistes pro-russes ont pris de plus en plus d’importance au sein du gouvernement de Crimée. La persécution envers la presse et des organisations ukrainiennes a commencé. Il était interdit de recevoir des télégrammes de Kyiv en langue ukrainienne. Le russe a été déclaré langue officielle, avec la possibilité d’utiliser le tatar et l’allemand dans les instances officielles.

Blocus économique

En réponse à cette politique anti-ukrainienne, le Conseil des ministres a déclenché une « guerre douanière » dès la fin juin. Son apogée tomba dans la seconde moitié de l’été, au début de l’automne 1918. La Crimée s’est retrouvée dans un véritable blocus économique. Le commerce, le trafic ferroviaire et maritime, les communications postales et télégraphiques ont été arrêtés. La situation en Crimée s’aggravait de jour en jour. Des cartes de rationnement du pain ont du être introduites. Les producteurs de fruits ont subi une catastrophe : faute de marchés, leurs produits pourrissaient tout simplement.

La Crimée n’a pas pu supporter la pression économique et a accepté la recherche d’un compromis. Il a également été incité par le changement de position de l’Allemagne, dont le gouvernement était d’accord avec le point de vue ukrainien sur la solution du problème de Crimée lors des visites de Pavlo Skoropadsky et de Fedir Lyzohub à Berlin. Ainsi, grâce à une série d’efforts politiques et diplomatiques, la question a été abordée. Début octobre, les négociations entre l’Ukraine et la Crimée ont commencé à Kyiv. La délégation de Crimée était dirigée par le ministre de la Justice Aleksandr Akhmatovych, la délégation ukrainienne par le Premier ministre Fedir Lyzohub. Au cours de négociations extrêmement difficiles, un accord a été conclu sur l’inclusion de la Crimée en tant qu’unité autonome de l’Ukraine. Cependant, la rébellion du Directoire (intance gouvernementale de la République Populaire d’Ukraine) contre le pouvoir de l’hetman Skoropadsky, qui débuta dans la seconde quinzaine de novembre, mit fin aux intentions de rattacher la Crimée à l’Ukraine.

Cette courte incursion dans l’histoire de la lutte de libération donne la clé pour comprendre pourquoi plusieurs tentatives de séparation de la Crimée de l’Ukraine pendant l’URSS ont échoué ; dans quel but Nikita Khrouchtchev a-t-il « offert » la Crimée à l’Ukraine en 1954 ; et pourquoi la Russie a eu recours à l’annexion de la péninsule en 2014. On ne peut que s’étonner sur la justesse de l’analyse de Dontsov, qui avait prédit avec tant d’exactitude le sort de la Crimée il y a 100 ans.

Auteur:
Olena Boyko