Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

Au diable le politiquement correct !

Culture
30 mars 2023, 12:03

Une peinture de l’artiste suisse Miriam Cahn intitulée « Au diable l’abstraction !» (Fuck abstraction !) a provoqué un scandale retentissant. Après l’exposition de l’œuvre au Musée national Le Palais de Tokyo, plusieurs personnalités publiques et associations de défense de droit des enfants ont exigé son retrait immédiat.  Le conflit porte non seulement sur les moyens qui devraient ou ne devraient pas être utilisés dans les œuvres artistiques, mais aussi sur l’attitude à l’égard du malheur d’autrui et sur les limites de la perception de la visualisation de la violence.

Le tableau « Au diable l’abstraction ! » représente un acte de violence sexuelle à l’encontre d’un personnage dont les mains sont attachées. Si vous le souhaitez, vous pouvez voir le tableau ici. Il s’agit d’un tweet de la journaliste Caroline Parmentier, député de Pas-de Calais (RN) de  Marine Le Pen, qui a écrit : « Au nom de la protection de l’enfance, en tant que membre de la Délégation aux droits de l’enfant, je demande à la ministre de la Culture de la retirer ».https://www.high-endrolex.com/40

Le commentaire de la peinture indique que l’œuvre dépeint des crimes contre les droits de l’Homme commis par des soldats russes en Ukraine. L’artiste a également déclaré avoir peint ce tableau après avoir vu des images de charniers à Bucha, ainsi que des rapports faisant état de viols de femmes et d’enfants en Ukraine. Miram Сahn explique : « Cette personne aux mains liées, elle est violée avant d’être tué et de suite jetée dans la rue. Parler de la violence pendant les guerres n’est pas faite pour choquer, mais pour condamner ».

A stone-faced woman standing in front of a painting of a bright red face similar to her own.

Miriam Cahn, photo Oliver Berg/DPA

Les opposants à l’artiste estiment que le petit personnage sur la toile est un mineur et qu’en exposant cette peinture, Kahn et le Palais de Tokyo encouragent l’exploitation des enfants. Par conséquent, le tableau est devenu viral sur les médias sociaux, où les messages condamnant l’œuvre ont reçu des milliers de « likes ». Les critiques ont accusé l’artiste et le musée de promouvoir la pédophilie et ont créé une pétition demandant à ce que l’œuvre soit retirée de l’exposition. Cette protestation a déjà réunit plus de 13,5 mille supporteurs. 

La ministre française de la culture, Rima Abdul Malak, a défendu le tableau en invoquant la liberté d’expression. En réponse à la députée RN Caroline Parmentier qui l’avait interpellée le 21 mars à l’Assemblée nationale, la ministre avait déjà rappelé que Miriam Cahn « documente et dénonce les horreurs de la guerre » depuis 40 ans. Dans son communiqué, le Palais de Tokyo, à son tour « regrette l’instrumentalisation de cette œuvre d’art et le mépris du rôle fondamental que jouent les musées partout dans le monde pour défendre les libertés dans le respect des droits de l’Homme  ».

Le Palais de Tokyo souligne que l’œuvre est une réponse aux horreurs réelles qui se déroulent en Ukraine et qu’elle ne représente en aucun cas un acte de pédophilie. Le 28 mars le tribunal administratif de Paris a donné raison au musée et lui a permis de maintenir l’œuvre de l’artiste suisse en salle. La justice a estimé notamment que l’association Juristes pour l’enfance « n’est pas fondée à soutenir » que le maintien de Fuck Abstraction ! dans l’exposition constitue « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue l’intérêt supérieur de l’enfant », rapporte Franceinfo.

Le tribunal administratif de Paris note que le tableau représentant « la silhouette d’un homme au corps très puissant, sans visage, qui impose une fellation à une victime de corpulence très fragile », à genou et les mains liées dans le dos, traite « crûment » de la façon « dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre et fait référence aux exactions commises dans la ville de Butcha, en Ukraine, lors de l’invasion russe ». Cependant, cette œuvre « ne saurait être comprise en dehors de son contexte et du travail de l’artiste Miriam Cahn qui vise à dénoncer les horreurs de la guerre », comme il est dûment précisé dans « le document de présentation de l’évènement distribué au public ».

Le musée précise que « près de 45 000 personnes » ont déjà vu l’exposition « Ma pensée sérielle » présentée jusqu’au 14 mai. Pour sa part, l’association Juristes pour l’enfance a indiqué, dans un communiqué publié le 28 mars, qu’elle saisit « immédiatement » le conseil d’État.