Notre collègue, l’ancien rédacteur en chef Serhiy Demtchouk, sert actuellement dans la Légion étrangère de l’armée ukrainienne, aux côtés de volontaires du monde entier. Ce texte raconte les funérailles d’un soldat colombien.
Le commandant ordonne de trouver un aumônier. On ne sait pas exactement pourquoi, cela ne nous concerne pas. À nous de monter dans une Ford rouge et de rouler vers Lyman. Trouver un aumônier.
La ville, brûlée par le soleil de juillet, est pleine de camionnettes, de bus et de pickups qui circulent à toute vitesse dans tous les sens. Derrière les vitres teintées de notre voiture, des cafés succèdent aux kiosques de shawarma, aux panneaux d’affichage, aux branches vertes de la végétation. Puis apparaît l’horizon nerveux de la steppe, recouvert d’une fine brume.
« Lyman, c’est par ici », dit le sergent en tournant brusquement le volant.
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La voiture emprunte maintenant un sentier menant au sommet du Mont Blanc qui s’élève de la terre comme un iceberg.
« Des terrils de craie », explique le sergent en grognant.
« La vache ! »
Enfin, nous entrons dans le village. Il est presque désert. Nous voyons tout de même un ado blond avec un t-shirt de West Ham sur un vélo, puis un vieux, torse nu, en tongs. Ce village est occupé par nos militaires qui y cachent du matériel sous la végétation et sous des filets de camouflage : l’aumônier doit se trouver quelque part ici. Nous demandons notre chemin au commandant local.
« Allez par-là », dit-il en pointant le doigt vers de vieilles maisons à étages. Il semble épuisé. On dirait que son unité a subi des pertes. Il n’a probablement pas dormi depuis plusieurs jours et ses yeux brillent de fatalisme résigné. Nos roues soulèvent un nuage de poussière et nous fonçons vers un bâtiment recouvert de plâtre cramoisi.
Une femme en robe de chambre fleurie est occupée devant cette maison. On dirait qu’elle arrose des fleurs, mais quelles fleurs y a-t-il parmi ces mauvaises herbes ? Celles de sa robe de chambre ? Elle nous indique où trouver l’aumônier.
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Nous pénétrons dans le bâtiment aux murs noircis et montons l’escalier en bois jusqu’au premier. La maison semble avoir été brûlée de l’intérieur, mais l’escalier et la rampe en bois ont miraculeusement survécu. Nous nous trouvons devant la porte délabrée d’un appartement qui semble inhabité depuis vingt ans. Nous frappons, mais la porte n’est pas verrouillée. Nous entrons dans un couloir étroit rempli de bric-à-brac. Un jeune homme à la peau foncée et aux cheveux noirs lissés en arrière vient nous accueillir.
« Où puis-je trouver un aumônier ? » demande le sergent.
Le jeune homme secoue la tête et cherche l’application de traduction sur son téléphone. Le sergent répète sa question, cette fois au téléphone du jeune homme.
« Ah, Padre… l’aumônier » ! s’exclame notre hôte.
Quelques instants plus tard, un autre homme, avec une barbe noire soignée, apparaît devant nous. Son regard pensif se pose sur le sergent, puis sur moi. Il doit se demander ce que nous faisons ici.
« Bonjour. Pouvez-vous venir pour une bénédiction », demande le sergent. Il suppose que c’est pour cela que le commandant a besoin de l’aumônier.
« Oui, oui… Je vous bénirai », répond l’aumônier en mauvais ukrainien.
Nous faisons le même chemin au retour. L’aumônier, lui, arrive plus tard, au crépuscule. Cette fois, il porte l’uniforme avec une icône en guise d’insigne. Il me salue puis va fumer dans l’obscurité de la nuit, sous un filet de camouflage. Des heures passent.
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Le matin arrive. Le soleil éclaire la place devant le crématorium. Les compagnons d’armes du défunt restent assis : certains sur le trottoir, d’autres dans un minibus, la porte ouverte et leurs jambes à l’extérieur, certains boivent du café près d’un magasin. Il y a des Ukrainiens, des Britanniques, des Irlandais, des Géorgiens, des Azerbaïdjanais et des compatriotes du défunt, des Colombiens.
Un corbillard noir, un cercueil laqué, des photos du soldat mort, la garde d’honneur, deux drapeaux — l’ukrainien et le colombien. Les poignées de main des frères d’armes. La cérémonie débute par l’hymne ukrainien et le chant guttural de l’hymne colombien. Ensuite, la messe commence. L’aumônier ukrainien, assisté de l’aumônier colombien, est le premier à officier. Puis le second prononce un discours en espagnol. Il ne s’adresse pas seulement aux compatriotes du défunt, mais à tout le monde. Il parle tantôt doucement, tantôt en élevant sa voix, tel un commandant lançant l’assaut contre le Mal au nom de Dieu. À la fin, sa voix tremble et l’aumônier pleure.
Photo: Oleksandr Zakletskyi
Un ami proche du défunt, un soldat avec une fine moustache sur des lèvres desséchées, filme la cérémonie avec son téléphone.
Lorsque les soldats sont autorisés à s’approcher du cercueil, ils l’entourent, s’agenouillent et en appuient leurs fronts contre ses parois. L’un d’eux place un chapeau noir sur le cercueil :
« Adieu, mon frère », dit un jeune Azerbaïdjanais en essuyant ses larmes.
Lentement, tout le monde se dirige vers la sortie.
Sur le chemin du retour, l’aumônier enseigne l’alphabet ukrainien à plusieurs Colombiens en lisant des noms et des prénoms sur les pierres tombales.