Notre ex-rédacteur en chef, Serhiy Demtchouk, a rejoint le front. Dès que la situation le lui permet, il nous envoie de petites chroniques sur la vie quotidienne des soldats.
Rafik, un habitant de la région, me pose une question : « De quelle région d’Ukraine es-tu » ?
« Je suis originaire de la région de Jytomyr, mais je vis à Kyiv depuis plus de 20 ans », je lui réponds.
« C’est comme moi : je viens d’Arménie, mais je vis à Sloviansk depuis 37 ans. Je me suis marié ici, mes enfants sont nés ici, mes gendres sont ukrainiens et mes petits-enfants se battent pour l’Ukraine. Comment puis-je dire que je ne suis pas Ukrainien » ?
Rafik est un touche-à-tout : électricien, plombier, poseur de fenêtres.
« Je suis parfois un peu ivre, mais je fais bien mon travail ! » assure-t-il.
« Je peux vous emprunter cette planche ? Ils tirent, il faut réparer les fenêtres des vieilles dames, mes voisines. J’ai un tandoori arménien dans mon jardin. Je peux faire un kebab. Ta viande plus mon bois » (il parle avec un accent arménien, en se perdant un peu dans les accords et les conjugaisons – ndlr).
Rafik enlève les planches des fenêtres et met les vitres qu’il a apportées avec lui à la place. Il a demandé trois cents hryvnias pour le verre et le travail. Il m’a dit qu’il m’aurait aidé gratuitement, mais que les temps étaient durs et qu’il avait besoin de cigarettes et de nourriture. Et il s’est proposé pour revenir si on a besoin de faire d’autres réparations.
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Le soir, quand j’ai entendu des bruits distinctifs de l’extérieur, je me suis dit que je n’aurais peut-être pas dû lui donner nos planches. Nous pourrions encore en avoir besoin. Mais en même temps, il est toujours possible d’aller voir Rafik et d’en racheter chez lui.
« Nous sommes venues pour faire connaissance », j’entends une voix de femme derrière les buissons. Une dame d’une cinquantaine d’années s’approche de nous. Elle nous montre un chat roux : « Je vous présente mon chat. Il est très vilain et impudent. C’est sûr qu’il va se rendre chez vous ! Ne lui faites pas de mal, s’il vous plaît ».
La journée est chaude et humide, mais le soir, il fait sombre et il pleut pendant une heure. Le soir, une vieille dame est venue s’asseoir sur un banc, tout à coté de notre habitat. Elle chuchotait tout bas pour elle-même. Elle devait être en train de prier.
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« Couvrez-vous, pour ne pas vous enrhumer », nous dit-elle, et elle demande nos prénoms pour savoir pour qui prier à l’église le dimanche.
La nuit tombe tôt ici beaucoup plus tôt qu’à Kyiv. À 21 heures, on ne voit plus rien. Pas une seule fenêtre n’est éclairée. Il fait sombre, comme dans une tombe, mais mieux vaut ne pas faire de telles figures stylistiques : ici, les proverbes peuvent devenir prophétiques. On n’entend que des sons caractéristiques : ceux des tirs.