L’équipe des journalistes du projet Témoin Ukrainien, notre partenaire, s’est entretenu avec quelques anciens détenus devenus soldats de l’armée ukrainienne. Elle les a interrogés sur leur préparation à l’armée, leur rôle et leur vie civile avant l’emprisonnement. Elle a pu échanger avec une femme et trois hommes dont nous ne mentionnons ici que les noms de guerre.
Contrairement à ce qui se passe en Russie, les personnes ayant commis un meurtre ou un viol avec préméditation ne peuvent pas être enrôlées dans l’armée ukrainienne.
Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre l’armée ? Comment cela s’est-il produit ?
« En ce qui me concerne, je voulais rejoindre l’armée avant même d’être condamné, mais il y avait déjà une procédure ouverte contre moi. Ce n’était donc pas possible. Ensuite, j’ai été condamné à trois ans de prison pour fraude. J’avais déjà passé un an en prison quand cette loi me permettant d’aller à la guerre a été adoptée », explique Sparta.
« J’ai 46 ans. J’ai été condamné à neuf ans pour trafic de stupéfiants. Il me restait encore sept ans à faire, qu’avais-je à perdre ? Mieux vaut mourir ici. En plus, c’est plus intéressant », répond Nimy (« le muet »).
« Je me suis retrouvé en prison pour la première fois à 16 ans. A chaque fois, j’ai été condamné pour des vols à l’étalage. Mon nom de guerre indique que je sais hacker les gadgets russes, débloquer leurs téléphones », raconte Hacker.
« Je m’appelle Iryna. J’ai commis un crime économique en 2010. Les procès ont duré très longtemps, 13 ans. En 2023, j’ai été condamnée et incarcérée. Je suis restée derrière les barraux un an et demi, il me restait encore 5 ans. Quand cette loi a été promulguée, j’ai demandé à rejoindre l’armée parce que j’ai une fille et que je suis motivée pour retrouver un casier judiciaire vierge. Je veux aussi être utile à mon État. Lorsque la loi a été promulguée, le chef du département de notre prison nous a annoncé que celles qui le souhaitaient pouvaient candidater pour être libérées sous condition et rejoindre l’armée. Nous lui avons transmis nos demandes, et après cela, nous sommes passées devant une commission interne, avons eu une visite médicale et des tests psychologiques. Ensuite, la commission a transmis nos dossiers au tribunal de proximité, qui a rendu une décision positive statuant sur la liberté conditionnelle pour rejoindre l’armée ».
Vous est-il possible de démissionner ? Si vous êtes blessée, par exemple ?
« Je ne sais pas. Je connais quelqu’un qui a été blessé, il est à l’hôpital, il a 30 jours de permission », poursuit Iryna. « Il y a un certain nombre de raisons permettant de démissionner, des raisons de santé, une grossesse pour les femmes. Mais là encore, il faudra passer une commission médicale pour cela ».
Dans ce cas, vous êtes libre ou vous devez rentrer en prison ?
« Non, nous sommes libres. La prison, c’est fini, il n’y a plus de casier judiciaire. Personne n’y retourne », répond Iryna.
Qu’en est-il du salaire, des vacances ?
« Nous n’avons pas droit à des congés annuels, pour le reste, c’est la même chose que pour tout le monde », dit Sparta.
En Russie, les unités de Wagner avaient recruté des prisonniers qui servent de chair à canon à l’armée russe. Avez-vous l’impression d’être un « Wagner ukrainien » ?
« Il serait plus correct de demander si nous avons l’impression de servir de chair à canon. Non, absolument pas ! », rigole Sparta. « Pour le reste, je n’ai pas vraiment étudié les Wagner, mais d’après ce que j’ai lu sur Internet, ils ont une discipline, disons, très spécifique, c’est vraiment de la chair à canon. En plus, ils consomment beaucoup de drogues. Je vous assure, nous n’avons certainement pas cela ».
Comment vous traite-t-on dans l’armée ?
« Très bien. Même quand nous étions sur le chemin du front, nous nous sommes arrêtés près d’un magasin pour faire des courses. Par habitude, nous suivions nos commandants partout, comme des oies, jusqu’à ce qu’on nous dise d’arrêter, on nous a dit que nous étions libres et autonomes. Ça a d’abord fait drôle, mais maintenant on s’est habitué à aller partout, à faire nos courses pendant les permissions, tout ce qu’on ne pouvait pas faire en prison », se souvient Iryna.
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Les anciens détenus gardent-ils leurs habitudes de la prison ?
« Ça dépend. D’abord, certains viennent de prisons au régime strict, d’autres de prisons au régime général, c’est très différent, et leurs us et coutumes diffèrent beaucoup. Mais de manière générale, il est difficile de perdre ses habitudes d’un seul coup, en un seul jour. Lors de l’entraînement, on gardait encore certaines habitudes, on respectait une certaine hiérarchie, mais à partir du moment où on se retrouve au front, plus personne ne s’en soucie », explique Hacker.
« En ce qui me concerne, non. Le passé appartient au passé. Quand je suis sorti de la prison, la personne qui nous accompagnait nous a dit : « Oublie tout ça. Un chapitre de ta vie se termine et une nouvelle vie commence ». C’est fini », ajoute Nimy.
Selon l’état-major général de l’armée ukrainienne, plus de 5 000 anciens repris de justice ont déjà rejoint volontairement l’armée. La loi a été adoptée par le parlement en mai 2024. Actuellement, les anciens condamnés ne serviront que dans des unités d’assaut. Un prisonnier qui veut combattre doit être en bonne santé physique, passer un examen psychologique et ne pas avoir plus de 57 ans, ce qui lui permettra de servir pendant au moins trois ans avant d’atteindre l’âge de 60 ans, ce qui lui donne le droit d’être libéré.