Maksym Vikhrov ex-rédacteur en chef du journal Tyzhden

22% des Ukrainiens sont réalistes

Société
6 janvier 2023, 12:15

En décembre 2022, les Ukrainiens ont répondu à une enquête portant sur la guerre; à la question « Quelle situation allez-vous personnellement considérer comme une victoire? » la majorité (54 %) a estimé qu’il devrait s’agir « de l’expulsion des troupes russes de tout le territoire de l’Ukraine et du rétablissement des frontières telles qu’elles étaient en janvier 2014 ». La réponse est sans ambiguïté. Le problème c’est que le retour à nos frontières telles qu’elles ont été reconnues en 1991 ne signifiera pas nécessairement la fin de la guerre.

La guerre finira lorsque se tairont les canons, les mortiers et toutes les armes dont disposeront encore les Russes à ce moment-là – et non pas lorsque nos territoires volés nous auront été restitués. Nous n’avons pas la certitude que les deux événements pourront coïncider. La Russie pourrait continuer les bombardements des villes ukrainiennes alors même que les drapeaux jaunes et bleus flotteraient sur Lougansk, Donetsk et Sébastopol.

Pouvons-nous compter sur une prise de conscience morale dans la société russe après cela ? Elle est possible mais n’est pas inéluctable. Un tel revers au contraire pourrait alimenter le revanchisme.

Et les menaces se manifestent sous différentes formes; les armes peuvent surgir furtivement, dans le silence: accords signés, régime du secret, retraites officielles des troupes cachant la préparation d’une nouvelle attaque – merci, nous connaissons, nous sommes déjà passés par là.

Une paix durable ne peut reposer que sur une Russie prête à abandonner son esprit de conquête, le choix d’une agression brutale dans un but d’annexion. Dans ce cas seulement on peut compter sur la fin du conflit. Qu’est-ce qui pourrait permettre à la Russie de faire ce retour sur elle-même, d’aborder une telle remise en question? Dans l’histoire, seuls quelques pays y sont parvenus ébranlés par le choc de grandes défaites. C’est pourquoi ceux pour qui la victoire ne peut reposer que sur « la défaite de l’armée russe et la promotion de la rébellion/désintégration au sein de la Russie » ont des arguments judicieux.

D’après le sondage déjà cité, ils sont aujourd’hui un peu plus de 22 %. Un tel énoncé de la question peut sembler trop radical; on peut aussi le considérer comme réaliste. D’août à décembre 2022, le nombre de ces « réalistes » a augmenté de 2%, (c’est la marge d’erreur statistique).

Mais si ce nombre n’augmente pas, une majorité d’Ukrainiens caressera de vains espoirs en pensant que l’Ukraine peut reconquérir la Crimée et le Donbass, et que d’elle-même la Russie abandonnera alors ses plans destructeurs.

L’impérialisme russe a pu accepter la perte de la Finlande ou de la Lettonie par exemple. Mais en ce qui concerne l’Ukraine, la Russie a une autre visée: il ne s’agit pas de soumission politique et de profit économique, mais d’un désir d’effacement de l’identité ukrainienne. Elle a cherché à annihiler les Ukrainiens; non pas à en faire un peuple dominé, mais à les « absorber, » à en faire des « Russes. » Seule notre résistance obstinée et résolue a empêché la mise en œuvre de ce plan. Le retrait des forces armées russes, le respect des frontières de 1991 ne veut pas dire que la Russie est prête à renoncer à ce « code interne », dans lequel l’absorption de l’Ukraine est inscrite au niveau le plus essentiel. Une transformation profonde de cet « évangile » est nécessaire. Il ne sera pas facile de transmettre cette idée à nos alliés. Mais nous devons d’abord décider nous-mêmes ce que nous voulons: une trêve ou la paix?

Et la paix est possible. Un ancien Grec s’est vanté un jour de pouvoir mettre le monde sens dessus dessous – il suffit de lui donner un point d’appui. Le 24 février 2022, le monde est une fois de plus entré dans une période de transformations géopolitiques mondiales. Et aujourd’hui, l’Ukraine est le point d’appui de tous ceux qui recherchent des changements positifs. Par conséquent, il y a plus de choses qui dépendent de nous que nous ne l’imaginons. L’essentiel est de ne pas patauger et s’enliser le moment venu.