Yuriy Poita : “L’Ukraine n’a pas d’instruments d’influence sur la Chine, mais Washington, Bruxelles et les capitales européennes en ont”

Politique
21 mars 2023, 10:15

Yuriy Poita, expert ukrainien et actuellement chercheur invité au sein du think tank taïwanais Institute for National Defence and Security Studies, explique les conséquences possibles de la visite du président chinois Xi Jinping à Moscou dans un commentaire pour Tyzhden.fr.

Selon l’expert, rien n’indique pour l’instant que ces pourparlers puissent apporter des nouvelles positives à l’Ukraine. « Il était illusoire de penser que la Chine influencerait la Russie pour qu’elle mette fin à cette guerre, car elle n’en tire aucun profit. Oui, la guerre ne lui est peut-être pas entièrement profitable, mais pour y mettre fin, Pékin ne cherchera pas à faire pression sur la Russie, mais plutôt sur l’Ukraine, pour qu’elle fasse des concessions », a déclaré M. Poita.

Les délégations doivent se rencontrer aujourd’hui. La partie russe a déjà annoncé la présence de membres de divers groupes issus de différents ministères liés à l’industrie de la défense, à l’industrie spatiale, à l’énergie, etc. Selon M. Poita, cela signifie que la réunion devrait déboucher sur la signature de documents qui favoriseront le développement des relations sino-russes et renforceront l’économie russe et sa capacité à fonctionner dans un contexte de sanctions et de situation géopolitique difficile.

« Ils permettront à l’économie russe de se maintenir à flot, de devenir plus efficace et, bien sûr, de continuer à financer les dépenses militaires », prévient l’expert. « La Russie est dans une situation difficile. Elle ne peut pas gagner la guerre, et au contraire, elle risque de la perdre cette année. Et nous constatons que les visions de la Chine et de la Russie dans la guerre russo-ukrainienne coïncident. Je pense que la Chine portera un soutien important à la Russie. Je reste prudent sur l’éventuel transfert d’armes en grande quantité. Cependant, la Russie en a besoin et je pense que Pékin le fera progressivement. Elle fournit déjà certains types d’assistance militaire et technique, et jusqu’à présent, personne n’a pu la sanctionner pour cela. »

Si la Chine décide de transférer des armes, elle le fera très probablement par l’intermédiaire de pays tiers afin de maintenir le « brouillard de guerre », a déclaré M. Poita. « Le transfert d’armes par l’intermédiaire de pays tiers est un moyen logique pour la Chine de maintenir un tel brouillard. D’autres itinéraires pourraient être empruntés par voie maritime, en passant par l’Iran, puis en traversant la mer Caspienne. Il est également possible de passer par le Bélarus. Récemment, une quinzaine de documents ont été signés sur la coopération, y compris dans le domaine de l’industrie. Et cela pourrait être lié à l’industrie de la défense », ajoute l’expert ukrainien.

Comme l’explique M. Poita, les États-Unis accusent souvent la Chine de saper l’ordre international fondé sur des règles. Cela explique la position sur la décision de la Cour pénale internationale d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine. Par le passé, souvent, la Chine ne voulait pas réagir aux décisions de la CPI à son égard. « La Chine est insensible à la toxicité de Poutine. Elle a pris ses distances par rapport à la guerre russo-ukrainienne, mais elle ne souhaite pas prendre ses distances par rapport à Poutine », a déclaré M. Poita.

« L’Ukraine suit de près cette visite, mais la capacité de l’Ukraine à s’informer sur cette visite est très limitée. Il en va de même pour les capacités de la diplomatie ukrainienne à empêcher toute initiative dirigée contre l’Ukraine. Malheureusement, l’Ukraine ne dispose pas d’outils pour influencer la Chine, mais Washington, Bruxelles et les capitales européennes en ont », a déclaré M. Poita. Il ajoute également que Kyiv doit demander à ses partenaires d’avertir Pékin que toute déclaration négative de Xi détruira les liens entre la Chine et ces pays, et que les projets communs seront annulés ou suspendus. « Certains pays le font déjà et ont communiqué très clairement. Je pense que ces pays doivent également élaborer un plan pour que la Chine sache à quoi s’attendre si elle fournit, par exemple, des gilets pare-balles à 300 000 personnes mobilisées », précise-t-il. Un signal fort, selon M. Poita, serait d’annoncer le début de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN. « Cela indiquerait clairement à Pékin que l’Ukraine n’est pas seulement une zone tampon entre deux grandes puissances, mais qu’elle fait partie de l’Occident, et que toute action contre l’Ukraine est donc une action contre l’Occident », estime l’expert ukrainien.