Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Yaroslav Iourtchychyn: “Nous avons détruit de facto les principales sources de corruption – les anciens liens avec la Russie et le système oligarchique de propriété”

Économie
10 mars 2023, 09:16

Au mois de mars, la question de la corruption gouvernementale est revenue sur le devant de la scène au cœur de la société ukrainienne. Les scandales concernant les prix – probablement gonflés, de la nourriture pour les forces armées et les pots-de-vin sur l’achat d’équipements pour l’infrastructure énergétique sont particulièrement graves pendant la guerre. The Ukrainian Week/Tyzhden.fr a décidé de s’entretenir avec Yaroslav Iourtchichine, député du peuple élu du parti “Golos” et membre de la commission anti-corruption du Parlement. Cependant, le plus important, lors du choix d’un interlocuteur, était le fait que de 2016 à 2019, Iourtchychyn ait d’abord été directeur exécutif, puis président du conseil d’administration de Transparency International Ukraine, la plus réputée dans son domaine. Cette conversation concerne moins des cas particuliers que les principes qui soustendent la corruption ukrainienne passée et présente.

– Le remaniement démonstratif des fonctionnaires pour lutter contre la corruption auquel nous avons assisté était-il une réaction forcée à un crime devenu public, ou a-t-il été délibérément provoqué – par les forces de l’ordre, les citoyens concernés, les concurrents, les partenaires occidentaux?

– Ce sont les conséquences naturelles du fait que tous les organismes de lutte contre la corruption ont enfin commencé à travailler. Pendant longtemps, nous n’avons pas eu de tribunal, ce qui a considérablement bloqué l’examen des dossiers. Ensuite, le tribunal a comparu, mais un procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption – un dirigeant qui pouvait pleinement représenter les intérêts de la structure – a disparu. En son absence, tous les pouvoirs ont été donnés au procureur général, un homme qui soutient notre président au fond, et, bien sûr, certaines affaires ont été traitées, d’autres non. Les détectives de NABU étaient souvent démotivés à l’idée de lancer des enquêtes sérieuses, par exemple contre des députés ou des oligarques, parce qu’il y avait un risque élevé de gel, et parfois même de fuite banale d’informations, ce qui réduisait à néant toute action d’enquête. Par conséquent, Oleg Tatarov, chef du Cabinet du président, a été remplacé par Oleksandr Klymenko, et ce dernier s’est mis à enquêter sur les abus de Tatarov. Le système a commencé à fonctionner presque à plein régime.

Ainsi, une structure anti-corruption pleinement opérationnelle est mise sur pieds. L’autre élément est que la tolérance à l’égard de la corruption, en particulier l’absence de sanctions, a énormément diminué. La société d’aujourd’hui n’est pas prête à tolérer le fait que quelques rats à l’arrière volent le peu de biens de l’État qui restent, tandis que les retraités avec leurs petites pensions ou les enfants avec leur argent de poche participent dans les cagnottes pour la Défense.

– Dans quelle mesure les partenaires occidentaux peuvent-ils réellement influencer la lutte contre la corruption en Ukraine?

– Il y a des domaines très sensibles où nos autorités ont été clairement averties : si jamais il y a des abus, vous ne pouvez même pas vous attendre à recevoir l’aide dont vous bénéficiez actuellement. Quelle est la “tradition” ukrainienne ? Lorsqu’une critique est prononcée, les autorités passent un long moment à essayer de nous dire que les plaignants sont des agents (selon la période) de Poutine, du Département d’État américain ou des “coulisses du monde”, puis laissent tomber l’affaire. En cas d’échec, le coupable sera, au mieux, muté ailleurs, une enquête interne sera annoncée, elle ne débouchera sur rien, comme dans le cas de Tatarov (un ancien homme de Ianoukovytch – ndlr). Et au final, la personne impliquée est renvoyée.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Nous avons deux cas d’illustration. Le premier est celui du ministère du développement régional et le second, celui du ministère de la Défense. Dans le premier cas, le ministre Koubrakov a bien réalisé qu’il a été chargé de la reconstruction du pays en communication avec les partenaires internationaux. Donc, un pas de travers pourrait conduire à une perte de confiance. Alors, il a initié le licenciement de Lozynsky le jour même où les soupçons sur lui ont été exprimés, et le Cabinet des ministres l’a approuvé sans aucune discussion. Par contre, le ministère de la Défense a décidé d’appliquer d’anciennes tactiques. Ils ont accusé un journaliste de manipulation, puis qu’il y aurait des contrôles internes et, le troisième jour, ils ont admis qu’il y avait des erreurs dans les contrats. En fait, il a été avéré que ces contrats n’avaient pas été signés, qu’il s’agissait de brouillons, et que “nous allons certainement tout corriger”. Le chef du département des achats, Bohdan Khmelnytsky, a été licencié, et le vice-ministre, lui aussi, a démissionné de son plein gré. Cela n’est jamais arrivé depuis le début d’une guerre à grande échelle.

Dans d’autres domaines, moins sensibles et moins surveillés par les internationaux, par exemple, dans l’éducation, malheureusement, il y a peu de changements. Nous avons toujours un ministre plagiaire, mais le président dit que ce n’est pas un problème en temps de guerre, bien que le plagiat soit aussi de la corruption : vous volez simplement les connaissances d’une autre personne, pas des fonds publics. Alors, les étrangers ont-ils une influence ? Oui, ils ont une influence. Ils n’agissent plus comme avant, quand ils disaient simplement : “Vous avez des problèmes à la Banque nationale, faites des changements”. Ils ont une approche plus douce et donnent des recommandations plus générales pour des raisons stratégiques. Après tout, ils comprennent que si vous écrivez “mettez de l’ordre dans les achats du ministère de la Défense” dans un accord international, dans le contexte actuel, la Russie en profitera. Les types comme Orban se précipiteront pour parler de la corruption rampante. Et, bien sûr, il deviendra beaucoup plus difficile d’expliquer pourquoi à nos partenaires qui investissent l’argent de leurs contribuables en Ukraine.

– Comment se fait-il que le chef adjoint de l’OP, Kyrylo Tymochenko, n’ait été “dérangé” que maintenant ? Après tout, son rôle dans le projet “Grande Construction” est connu depuis longtemps. Et Zelensky est manifestement au courant lui aussi?

Le second point est davantage lié à la tradition de la politique ukrainienne. Kyrylo Tymochenko n’est pas l’homme de Yermak. Il est entré dans le Cabinet du président par une autre voie. Auparavant, il était l’un des communicateurs du parti “Ukrop”, dont une partie a été intégrée au “Serviteur du peuple”. Il est arrivé avec Andry Bohdan, ce qui a déjà soulevé des questions de la part de Yermak. Par conséquent, le moment du conflit dans cette affaire a aussi été utilisé en partie pour éliminer un concurrent qui avait sa propre ligne de communication avec le président, mais en même temps pour réduire le nombre de personnes qui ont un accès direct au chef de l’État.

Cela réduit-il l’implication de M. Tymochenko dans divers projets non transparents ? Non. Cela réduit-il la possibilité et la nécessité d’une enquête sur le projet “Grande Construction” ? De toute évidence, non. Tout cela devrait se faire et est en train de se produire. Mais le chef du Cabinet présidentiel, bénéficiera-t-il de ce retrait ? Très probablement, oui. Les gens plaisantent maintenant en disant que de tous ceux qui étaient en communication directe avec Zelensky, seuls Yermak et le conseiller Shefir font toujours partie de son équipe. Ce dernier s’occupe des questions purement financières et n’intervient donc pas dans les questions de personnel ou autres.

– Pourquoi le président fait-il autant confiance à Yermak?

– Zelensky n’a jamais voulu et n’a plus l’occasion d’être impliqué dans le travail courant. Mais le système de gouvernance en Ukraine est structuré de telle manière que le président a en fait une énorme quantité de travail opérationnel à faire. Pourtant, certaines de ces tâches ne sont ni logiques, ni correctes et, conformément à la Constitution, elles devraient être transférées au Cabinet des ministres ou au Parlement. Mais qui s’en occupera?

En tant que personne, Zelensky est habitué à être un acteur principal, jouant contre un grand nombre d’acteurs secondaires qui couvrent de nombreux moments. Il se sent à l’aise, bien, vu et aimé. En politique, il est extrêmement important pour lui d’être la personne qui contrôle l’ensemble de l’arrière-plan. Il sait où chacun se tient, comment ils se déplacent, et Zelensky, qui leur tourne le dos, n’a pas à y penser. Il a donc besoin d’un “gestionnaire efficace”, comme Yermak se définit lui-même. Et c’est, en principe, un système normal d’organisation du travail. C’est d’ailleurs ainsi que sont nés les chefs du département d’État aux États-Unis. Mais comme le cabinet présidentiel est le seul centre de décision, cette personne est responsable non seulement de l’organisation de la politique étrangère ou de la sécurité nationale, mais aussi de l’ensemble du spectre. Cette personne approuve le personnel du cabinet ministériel et, en principe, décide presque quand et qui ira sur quel voyage d’affaires. Il est clair qu’une personne seule à un tel poste ne peut être efficace et ne peut évidemment pas éviter de commettre des erreurs.

En ce qui concerne les accusations de liens entre M. Yermak et la Russie, je pense que le fait que les représentants des États-Unis et de nos autres partenaires continuent à traiter avec lui est un indicateur. Il est peu probable qu’ils communiquent avec une personne directement affiliée à la Russie. C’est pourquoi je n’ai pas vraiment résolu cette question pour moi-même, mais j’ai convenu quelque part qu’il y aurait plus de raisons de penser qu’il peut y avoir des gens dans son environnement… Je ne comprends toujours pas à quel point l’influence de Tatarov sur Yermak est sérieuse, qu’il a non seulement un ancien homme de Ianoukovytch, mais une personne qui maintient certainement des liens avec la Russie et un homme qui échoue dans toutes les affaires qu’il prend en charge.

Passons maintenant à la question de l’implication réelle dans la corruption. Le système décisionnel est structuré de telle sorte que ce n’est pas Yermak lui-même qui communique avec Stolar, par exemple, pour lui retirer une partie des actifs de Medvedtchouk, mais un partenaire du passé. Et, franchement, il n’est pas possible de le prouver, sauf si cette personne commence à parler. Et elle ne le fera pas. Car le prix à payer est extrêmement élevé. Le centre de décision en Ukraine, ce n’est ni le cabinet des ministres, ni le parlement, mais le Cabinet du président. Les fils mènent clairement à l’endroit où les décisions sont prises. Le projet sur les générateurs, je suis désolé, ne date pas de l’époque de Yulia Tymochenko, il est apparu récemment. Il en va de même pour les systèmes de franchissement des frontières, ou pour l’existence de la contrebande pendant la loi martiale, alors que toutes nos frontières sont fermées. Il y a plus de questions qu’il n’en faut.

Yermak convient à Zelensky parce qu’il le soutient dans tous les domaines. Cela lui donne l’occasion de faire ce pour quoi Zelensky est le plus efficace, et nous pouvons en fait être reconnaissants au président, quelle que soit la manière dont nous le traitons. Il s’agit de la promotion des intérêts de l’Ukraine à l’étranger, de la communication personnelle, avec les hommes politiques les plus influents au monde, du travail systématique pour amener les pop stars à parler de l’Ukraine, à s’exprimer dans les parlements, à participer à des expositions internationales, etc. Il s’agit de faire en sorte que la demande publique d’aide à l’Ukraine soit beaucoup plus forte que les voix critiques qui disent “nous ne sommes pas sûrs que notre aide ira au bon endroit”. Et dans ces conditions, où les défis sont encore plus nombreux, Yermak est devenu encore plus nécessaire. C’est pourquoi le groupe chargé des sanctions s’appelle le groupe Yermak-McFaul. Ainsi, lors de toutes les visites internationales, Yermak se tient plus près du président que du ministre des affaires étrangères, bien que le protocole doive être différent.

Il est extrêmement difficile d’évaluer Yermak en ce moment. Parce qu’il fait beaucoup, parce qu’il a une charge de travail énorme pour nous rendre plus efficaces dans la confrontation. Il est aussi vrai qu’il est devenu l’un des visages de la politique de sanctions. Un autre problème, c’est que nous avons des histoires comme celle-ci, où Novinsky est soumis à des sanctions ; ses biens sont saisis mais ne sont pas bloqués. Il est très probable que tous ces biens aient été placés depuis longtemps dans une sorte de fiducie sans droit de regard. Nous connaissons bien les fiducies sans droit de regard, nous avons une longue et amusante histoire avec elles. La question est de savoir qui l’a autorisé. J’aimerais vraiment comprendre s’il s’agit d’un problème de l’exécuteur testamentaire ou d’un cadre intermédiaire. Mais encore une fois, le système de gouvernance du pays dispose d’un système de prise de décision unique basé sur les offices. Non pas par l’intermédiaire du Microsoft Office, mais par l’intermédiaire de l’Office of the President.

D’une part, lorsqu’ils communiquent avec les représentants des institutions de lutte contre la corruption, Volodymyr Zelensky et Yermak parlent d’une seule voix d’une assistance complète et d’autres choses du même genre. D’autre part, Dieu merci, pour autant que je sache, la grande majorité des représentants des institutions de lutte contre la corruption ne se rendent depuis peu au cabinet présidentiel que pour des réunions officielles sur des questions qui les concernent. Il n’y a plus de visites nocturnes pour clarifier certaines situations importantes comme c’était malheureusement le cas dans les cadences précédentes. Du moins, pas à ma connaissance.

– La redistribution des cartes au sommet de l’État aura-t-elle un impact réel sur la situation en matière de corruption?

– Il est certain que nous observons des tendances positives quand des accusations graves conduisent à des licenciements. Nous admirions la tradition occidentale : si une personne est impliquée dans un scandale, elle se lève et part pour l’honneur de son uniforme, de sa réputation et de son équipe. Elle a ensuite la possibilité de revenir si son nom est blanchi. Cela existe déjà. Toutefois, en tant qu’Ukrainiens, nous ne nous contenterons évidemment pas de cela. Nous exigeons plus de justice. Je constate que le cabinet du procureur général et le SBU suivent également le principe d’une réponse rapide, plutôt que celui d’une réponse à l’ancienne. En d’autres termes, le changement de personnes est une bonne chose.

Mais la grande majorité des problèmes est liée à des schémas. Ces problèmes ne dépendent pas de personnes. Ils ont simplement été introduits dans un système qui génère des schémas par lui-même. Par exemple, le système d’approvisionnement en nourriture de l’armée. Aussi fou que cela puisse paraître, le ministre et toutes les personnes concernées admettent qu’il y a des problèmes. Les problèmes sont d’un niveau très élevé, car nous devons fournir de la nourriture à des centaines de milliers de nos militaires, et c’est un crime d’interrompre ce processus. Mais il est très difficile de changer les choses en cours de route. Par conséquent, pour résoudre le problème, nous devons changer les règles. En réalité, il ne s’agit que de changements techniques, car nous devons changer l’approche en général. Il en va de même dans d’autres domaines, tels que les procédures d’octroi de licences et l’accès à l’information.

C’est pourquoi les déclarations du président dans ses discours du soir, selon lesquelles il n’y aura pas de retour en arrière, sont, d’une part, très bonnes. Après tout, la responsabilité personnelle de la première personne est extrêmement importante. Surtout dans les sociétés qui n’ont pas de démocraties stables et qui, curieusement, sont presque les seules à être prêtes à mourir pour un système démocratique, même sans l’avoir essayé correctement. D’une autre part, il y a un fossé entre les promesses et la mise en œuvre. Le président s’est adressé au Parlement l’année dernière dans son dernier discours. Un discours grandiloquent, tout ce qu’il y a de plus normal. Il y a quelques mois, le président a déclaré qu’il n’y avait pas de corruption, que tous les fonctionnaires corrompus avaient déjà fui à Monaco et que tout allait bien. Puis, quatre semaines plus tard, il déclare : “Nous allons écraser cette corruption”. Et la question se pose de savoir si ce sont les gars corrompus qui sont revenus aux manettes, ou si la corruption était constamment là ?

– La démission sans punition d’un fonctionnaire soupçonné de corruption, c’est son salut. Pas gratuit, peut-être, mais… Le pire, c’est que ce processus est sans fin. Nommé, volé, parti en vacances… Existe-t-il un moyen de rompre ce cycle en créant soit une procédure de contrôle plus approfondie pour ceux qui sont licenciés, soit en augmentant la sanction?

– Nous avons suffisamment de responsabilité pour les infractions pénales et la corruption. Quelques années de prison, l’interdiction d’exercer toute fonction, la confiscation – tout va bien en principe. Quant au mécanisme de punition rapide, si nous allons dans l’UE, je suis désolé mais cela n’arrivera pas. Vous devez prouver la culpabilité personnelle. Il n’y aura donc pas de punition rapide et il n’y a pas lieu de se laisser abuser par les déclarations. Par exemple, David Arakhamia, qui a dit qu’il y aurait bientôt des emprisonnements. Qui est-il ? C’est le chef de la faction majoritaire – tant mieux pour lui. Il a même déposé un projet de loi sur le retour des déclarations électroniques. Il est vrai que la grande majorité de son groupe, en particulier ceux qui sont maintenant soupçonnés d’avoir trafiqué leurs déclarations, ne voteront probablement pas pour lui, mais espérons que David et Andrii Yermak trouveront un mécanisme pour les convaincre de la nécessité de cette mesure. Cependant, dans un pays démocratique, l’équité de la sanction est importante. Même si elle est plus tardive, elle est garantie et protégée. Ce système est déjà en place. C’est juste que lorsque le niveau des suspects est si élevé, comme, par exemple, le chef adjoint du Cabinet présidentiel, nous comprenons qu’il est très probable que la personne qui a signé un document ne sera pas du tout motivée à l’idée de témoigner contre son patron. Par conséquent, dans ce cas, il est extrêmement difficile d’obtenir justice. Mais même aujourd’hui, nous avons l’ouverture inconditionnelle de procédures pénales et d’enquêtes par les institutions de lutte contre la corruption. Et récemment, le SBU a été plus actif dans ses enquêtes.

Cela conduira-t-il à des condamnations dans un avenir proche ? Il y aura certainement des condamnations. Serons-nous satisfaits de tous les verdicts ? Absolument pas. Car le Code pénal s’applique aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix. Théoriquement, nous pouvons, et mes collègues le suggèrent parfois, rendre tous les articles plus sévères pendant la guerre. C’est possible, mais c’est du pur populisme, comme dans l’affaire Arakhamia. Car le juge, au vu des crimes et du poids de la question, hésitera toujours. La guerre ne durera pas éternellement et le facteur d’erreur est encore plus élevé. C’est pourquoi tout doit être équilibré.

J’aime beaucoup la tendance des institutions de lutte contre la corruption à ne pas faire attention aux noms. Chers amis, laissons les forces de l’ordre prouver leur position devant les tribunaux. Après tout, nous avons un mandat d’arrêt qui favorise clairement la défense.

Je suis plus favorable à suivre le processus d’établissement de la responsabilité personnelle. Nous discutons actuellement (même si, pour moi, cela devrait être automatique) de l’introduction d’un mécanisme de responsabilité pénale pour éviter les sanctions en Ukraine. Les États-Unis disposent d’un tel mécanisme, qui est très utile dans la lutte contre les cartels de drogue. Quand on ne peut pas prouver directement qu’une personne est impliquée mais que ses avoirs sont gelés en raison de son implication dans de telles activités, elle commence à les transférer dans des fiducies sans droit de regard, et elle va en prison. La Grande-Bretagne dispose d’un système similaire. Aujourd’hui, l’UE a donné l’ordre de criminaliser le contournement des sanctions. Nous devrions faire de même. En particulier, en créant des mécanismes beaucoup plus faciles, mais efficaces et protégés pour les personnes impliquées dans la corruption dans l’intérêt du pays agresseur.

– Dans quelle mesure la corruption politique en Ukraine s’est-elle transformée depuis l’époque de Leonid Koutchma à Volodymyr Zelensky?

– Pour être honnête, aucun nouveau projet à grande échelle n’a été créé sous Volodymyr Oleksandrovych. La seule tentative a porté sur des projets d’infrastructure dans le cadre de la “Grande construction”. Mais nous ne pouvons parler d’échelle que parce qu’il s’agit d’un projet à grande échelle. En fait, si l’on examine de près la structure de ce dossier, on constate qu’il s’agit d’un contrat banal avec des entrepreneurs. C’est un classique en Ukraine. Vous avez accès à l’argent public, vous pouvez toujours en prendre un peu plus, en donner une partie à un fonctionnaire et en faire un peu moins. Il n’y a donc rien eu d’extraordinaire. La corruption est devenue beaucoup plus facile, ce qui rend la lutte contre la corruption moins difficile pour les forces de l’ordre.

À l’époque de Leonid Koutchma, un système de corruption centralisé était en train de se mettre en place, dans lequel un méga-oligarque (le président) distribuait des billets à ordre à des représentants de différentes communautés pour gérer des zones. À l’époque de Ioustchenko, on a essayé de faire bouger les choses, de rétablir l’ordre dans certains endroits et d’introduire de nouvelles personnes. Mais comme les nouveaux étaient moins “gonflés” que les anciens, ils ont débarqué et invité ces derniers en tant qu’experts. C’est ainsi que sont apparus les Derkachs, les Sivkovychs, etc. À l’époque de Ianoukovytch, quelque chose a été fait qui n’avait pas été fait à l’époque de Koutchma. Le méga-oligarque est devenu, en principe, le seul oligarque, et tous les autres ont travaillé uniquement sous ses ordres. Ou bien ils n’ont pas travaillé et ont été poussés vers la sortie. Le seul problème est que pour Leonid Koutchma et les autres, Moscou était le principal client.

L’année 2014 a été marquée par une plus grande dépendance de la communication avec les partenaires extérieurs. Le point d’accès à l’argent russe légal, qui était corrompu, a tout simplement été bloqué, et seul l’argent “noir” a subsisté. Le système a commencé à se fissurer à bien des égards, car le bénéficiaire final, la Russie, s’en est désintéressé. Ceux qui travaillaient avec cet argent ont dû se cacher d’une manière ou d’une autre. Les grands projets dans les secteurs de l’énergie ou de l’agriculture, qui étaient porteurs, ont commencé à s’effondrer. La guerre de 2022 a bloqué tout accès à l’argent russe, qui était en fait le plus corrompu, car il est vraiment très important. Les médias russes, les partis russes, l’Église orthodoxe russe – tout cela constitue “l’argent liquide” qui a corrompu les fonctionnaires. Tous les oligarques qui opéraient en Ukraine devaient toujours avoir une sorte de parité dans leurs relations. Même s’ils étaient considérés comme persona non grata en Russie, ils devaient quand même communiquer avec la Russie d’une manière ou d’une autre, parce que l’afflux de fonds provenait principalement de ce pays. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation unique où cet afflux de fonds s’est arrêté ou s’écoule si faiblement qu’il ne peut pratiquement pas avoir d’impact. Les oligarques, en tant qu’intermédiaires, ont beaucoup perdu et sont désormais contraints de s’adapter aux exigences du gouvernement. Le gouvernement a toutes les chances de rétablir l’ordre. Mais, une fois encore, la tentation est grande – toutes les données et tous les registres sont fermés, alors comment ne pas “truquer” quelque chose ? Parfois, cela devient ridicule. Un jour, un éminent représentant du gouvernement actuel s’est présenté à NABU en déclarant : “Nous ne gagnons que 10 % pour nous-mêmes”. Heureusement qu’ils ne l’ont pas enregistré, car c’était égal à une confession.

C’est pourquoi, aujourd’hui, il s’agit surtout de petite corruption. Mais, malheureusement, elle porte sur des projets très sensibles. Il n’y a absolument pas d’argent pour nourrir l’armée aujourd’hui, comme c’était le cas dans le secteur de l’énergie à une époque “plus favorable”. C’est loin d’être le cas. Et il n’y a certainement pas de pots-de-vin sur les projets d’infrastructure, comme les projets nationaux pour l’Euro 2012, qui n’ont pour la plupart pas encore été mis en service. Mais il s’agit de métastases et les gens s’en moquent. Parce qu’ils souffrent, à la fois d’une fracture et d’une dislocation. C’est une bonne chose que la sensibilité à la corruption ait augmenté, que les gens ne soient pas prêts à la tolérer. Bien sûr, à l’étape suivante, il serait bon que les gens ne soient pas prêts à donner des pots-de-vin. Cependant, dans une situation où, par exemple, un pot-de-vin est la seule option légale pour quitter le territoire occupé, il s’agit d’une question éthique.

– Est-il possible de vaincre la corruption en Ukraine si tout repose sur elle?

– C’est l’une des perceptions les plus courantes selon laquelle la corruption est la structure de soutien de notre État. Mais ce n’est pas le cas. En fait, la corruption est toujours utilisée par les Ukrainiens pour rendre la communication avec les fonctionnaires moins coûteuse. Par exemple, vous devez passer beaucoup de temps pour obtenir un passeport – il est plus facile d’y aller et de payer. La solution la plus simple est de légaliser ce paiement afin que l’argent soit versé au budget et utilisé de manière adéquate. C’est ce qui a été fait. Ce que Fedorov est en train de faire est donc méga-cool. Moins il y a de facteur humain là où il ne devrait pas y en avoir, mieux c’est. Pourquoi le monde entier admire-t-il Diia aujourd’hui ? Parce qu’il y a beaucoup de moments où vous n’avez même pas besoin de regarder qui est de l’autre côté de l’écran. Vous avez besoin d’un certificat ? Bienvenu. Vous faites une demande, vous payez et vous obtenez un certificat. C’est parfait. Et il peut y avoir beaucoup de choses de ce genre. La corruption n’est donc en aucun cas une structure porteuse de l’État ukrainien. Elle compense les lacunes des autres approches. Elle simplifie la communication. Et les Ukrainiens sont terriblement réticents à communiquer avec l’État, depuis l’époque où, une fois que vous aviez rejoint l’État, vous pouviez aller en Sibérie simplement parce que vous vouliez quelque chose. Je ne suis donc pas du tout d’accord pour dire que nous avons une sorte de gène de la corruption ou que nous sommes habitués à avoir quelqu’un avec qui traiter. Nous sommes un pays trop grand et trop centralisé pour avoir des processus bien établis à ce stade. Nous devons transférer beaucoup de choses là où se trouvent les gens. Quelqu’un dit qu’il y aura de la corruption locale. Il y en aura. Ce n’est pas un problème. Les gens sur le terrain s’en apercevront plus vite et la résoudront plus rapidement s’ils disposent de mécanismes.

Par exemple, la situation dans le système judiciaire. Chaque année, les juges se plaignent de ne pas avoir de timbres pour envoyer les lettres de notification. En parallèle, nous donnons 16 milliards d’UAH au système judiciaire. On peut raisonnablement se demander pourquoi il y a un manque de fonds. Sur recommandation de nos partenaires internationaux, nous avons mis en place une administration judiciaire. Il s’agit d’optimiser l’utilisation des fonds de manière à ce que chaque tribunal ne décide pas de quoi, où et comment, mais que tout soit acheté et fait de manière centralisée. Mais là où c’est centralisé, en Ukraine, on appelle cela “de l’argent perdu”. Il semble que tous les responsables de cette administration judiciaire d’État fassent l’objet de soupçons criminels. De nombreuses personnes du département de la construction font aussi l’objet de soupçons criminels. Mais allez dans les toilettes du tribunal de Petchersk à Kyiv et vous comprendrez que vous n’avez pas besoin de justice. En effet, les gens ne perçoivent pas le système judiciaire uniquement à travers le juge et sa décision. Ils viennent pour obtenir un service. Et quand il fait froid au tribunal, que les toilettes sont sales, que vous êtes sûr de rencontrer un adversaire dans la salle d’audience (même dans une affaire pénale) parce que l’autre entrée ne fonctionne pas, qu’il n’y a aucun moyen de photocopier quoi que ce soit, et quand vous déposez une demande, le greffier vous regarde avec une plainte : pourquoi n’avez-vous pas une enveloppe supplémentaire, comment pouvez-vous envoyer une réponse ? Vous regardez tout cela et vous comprenez pourquoi la plupart des Ukrainiens ne veulent pas, en principe, aller dans le système judiciaire. Non pas à cause de la corruption, mais à cause de la stupidité, de la négligence et de la mauvaise gestion.
Pendant longtemps, l’Ukraine a été gouvernée par la métropole. Quand nous avons commencé à reconstruire un État indépendant, nous n’avons pas suivi la voie balte consistant à construire notre propre processus, mais nous avons essayé d’adapter les mécanismes de la métropole. Par conséquent, nous avons un gouvernement autonome et les gens vivent chacun de leur côté. Et Dieu nous préserve de tout chevauchement. Mais cela ne peut pas durer longtemps. Chaque fois que les autorités s’éloignaient un peu trop de ce que les gens voulaient, il y avait des révolutions. Très souvent provoquées. Et ce n’est pas que nous nous battions contre le gouvernement ukrainien. Nous nous battions en fait contre la même métropole. Pour changer cela, nous devons descendre à un niveau inférieur. Nous devons faire que les gens deviennent propriétaires de leur État. Et la guerre, aussi cynique qu’elle puisse paraître, offre une excellente occasion de le faire. Différentes personnes vont en première ligne, mais la grande majorité d’entre elles ne supporteront pas que les fonctionnaires soient impolis, que les routes ne soient pas réparées depuis des dizaines d’années, etc.
En fait, il n’y a pas une seule nation au monde qui ait un code de corruption mentalement ancré. La corruption est une étape du développement de la société, lorsque les gens n’ont pas réussi à placer les autorités sous leur contrôle social collectif. C’est pourquoi il nous reste un long chemin à parcourir, mais les possibilités sont énormes. Nous avons détruit de facto les principales sources de corruption – les anciens liens avec la Russie et le système de propriété oligarchique. Rinat Leonidovych ne rétablira pas Azovstal après la libération de Marioupol dans la forme où elle se trouvait, lorsqu’elle avait constamment besoin du soutien de l’État, d’avantages, de subventions, etc. Il construira très probablement une entreprise modernisée qui participera aux relations européennes. Et alors, quels types de subventions et d’avantages ?

Auteur:
Roman Malko