La brève histoire des relations des souverains avec leur peuple, dès l’époque de la Ruthènie ancienne (ndlr : l’Etat de Kyiv) jusqu’à ce jour
La population ou les citoyens
L’article d’investigation des journalistes américains paru le 16 août 2022 dans The Washington Post, dans lequel les auteurs évoquaient un Occident collégial et tout d’abord les États-Unis, qui avaient averti le monde sur les intentions de la Russie de déclencher la guerre, pose pas mal de questions aux autorités d’Ukraine. On peut longtemps passer en revue les détails et s’efforcer de trouver des incohérences dans les messages que dès l’automne dernier, les gouverneurs ukrainiens ont transmis aux citoyens du pays, en utilisant tous les canaux possibles. On peut aussi attiser les passions ou apporter de l’eau aux moulins qui tournent autour des intérêts de divers camps politiques.
En revanche, il existe une autre question, non moins importante qui se perd un peu dans le champ des émotions. Il s’agit de la responsabilité des autorités devant son peuple. La responsabilité devant ses électeurs et tout d’abord de ses citoyens, même ceux qui n’avaient pas voté pour ce pouvoir. Et cette responsabilité a son prix. En temps de paix, c’est une élection à venir. En temps de guerre, c’est la victoire. Et là, les dirigeants de l’État se retrouvent devant un dilemme : rester honnêtes ou bien s’accrocher au pouvoir à n’importe quel prix?
La réponse à cette question dépend de l’auto-identification des personnes qui habitent sur les territoires concernés. Aujourd’hui, ce sont des citoyens ou une population. Jadis, c’étaient des sujets dont seule une partie d’entre eux pouvait disposer d’un droit de communiquer avec le seigneur. Selon la façon dont les autorités nous perçoivent et comment nous, nous percevons les autorités, la réponse à la question de savoir qui nous sommes varie : «sommes-nous une population ou des citoyens?»
Anthropologie du pouvoir
Le pouvoir et la franchise sont dans une certaine mesure incompatibles. Le gouvernement ne peut pas tout de suite confier au grand public tout ce qu’il sait. Il est facile de trouver un prétexte universel selon lequel ce n’est pas le moment. La population n’en tiendra pas rigueur, mais les citoyens vont le retenir et, le moment venu, interrogeront les autorités.
Pour des dirigeants élus dans le respect des principes démocratiques, il est important de rester francs avec leurs citoyens et électeurs. Pour les monarchies et les dictatures il n’y a pas d’importance primordiale à respecter ces belles manières. Le dictateur concentre un pouvoir absolu entre ses mains, il n’a pas besoin d’expliquer la logique de ses actes à la population. En plus, il n’a pas à leur rendre compte de ses actes. Telle est la nature de son pouvoir. A contrario, ce n’est pas le cas des monarques, même si dans l’histoire il y a eu de tout, pourtant il existe encore des différences. Surtout dans les cas où la monarchie était élue et dépendait de la volonté d’une classe politique, à savoir la noblesse.
Historiquement parlant, tout gouvernement se méfie du contrôle car il estime que ceci ne fait que le gêner et détourner son attention des tâches d’une importance primordiale. Dans le cas des monarchies qui se basaient sur des idées anciennes liées à l’origine divine du pouvoir, généralement, la question ne se posait pas. Il existait un dirigeant suprême, sa parole avait valeur de loi, il n’était tenu responsable que devant Dieu. S’il ne s’agissait que d’une façade destinée à cacher une autre réalité, ce n’était pas montré aux sujets. Ce n’était par leur affaire : leur devoir n’était que de servir le seigneur et d’accomplir sa volonté.
La force et la faiblesse des dirigeants du passé
Le pouvoir a toujours dépendu de sa taille et de la façon dont il pouvait se présenter. C’est une chose quand on est prince à Pereyaslav, et c’en est une autre quand la capitale de sa principauté est Tchernihiv ou Volodymyr. La donne change lorsque, au gré du destin, ou plutôt au gré des règles de l’héritage négociées vers la fin du XIe siècle à Lioubetch (ndlr : dans la région de Tchernihiv), vous devenez Grand Prince de Kyiv. Le rang et la dimension de votre domaine et de vos pleins pouvoirs sont bien différents. Pourtant il suffit de comparer le Prince de Kyiv à l’empereur qui régnait à l’époque à Constantinople et l’on voit que le rayonnement n’est plus le même. Ce qui luit et éblouit à Kyiv, perd en éclat sur les rives du Bosphore.
Les événements tumultueux du milieu du XIIIe siècle, lorsque les heurts avec l’armée mongole ayant clairement démontré la faiblesse des principautés existantes sur les terres ukrainiennes d’aujourd’hui, ont soulevé une question simple devant le plus grand dirigeant de la principauté de Galice-Volhynie, à savoir la responsabilité des autorités. Combattre ou négocier ? Le prince Danylo de Galicie a choisi la voie de l’accord. Ayant reconnu la suprématie du Khan turco-mongol, il a préservé sa vie et donc sa dynastie. Au moins sous cet aspect, il avait pris ses responsabilités. Sa fuite et la mise à sa place de son jeune frère Vasylko avaient pour seul objectif : sauver la vie du prince. Cette tactique s’est avérée efficace au XIIIe siècle. Il a su préserver sa vie, de sorte que son œuvre a été poursuivie par son fils et trois autres générations de Romanovytch, qui ont gouverné le royaume ruthène jusqu’au début des années 1320.
Le dernier dirigeant de cet Etat, Iouri II, a été empoisonné par ses sujets. Pourquoi, cela a-t-il eu lieu et quelle était sa faute vis-à-vis d’eux ? Cette question demeure l’objet de disputes entre historiens depuis plus de cent ans. Les seigneurs qui se sont succédé sur des terres qui composent le territoire de l’Ukraine actuelle étaient plus responsables. Si les Gediminides (ndlr : dynastie de souverains du grand-duché de Lituanie) ne manquaient pas de qualités qui leur permettaient ensuite de devenir de grands princes lituaniens, les choses étaient plus difficiles pour les rois polonais et hongrois. Mais au moins d’une certaine façon en matière de succession du pouvoir, ils étaient cohérents. Les arrangements entre eux et les accords avec leurs sujets, car à l’époque, les rois ne pouvaient négocier qu’avec la noblesse, sont à la base de la formation d’une culture politique et des institutions étatiques, qui ont conditionné l’existence des États pour plusieurs siècles.
Le roi polonais Casimir III et son neveu, le roi Louis Ier de Hongrie, n’ayant plus de descendance depuis un certain temps, se sont mis d’accord pour la succession aux trônes en cas de décès de l’un d’entre eux. Casimir mourut le premier et en 1370, Louis hérita des terres de son oncle. Déjà en 1374, ayant eu des descendants, il accepta une solution de compromis : la noblesse du royaume polonais reconnut l’une de ses filles comme héritière et reçut en retour un certain nombre de privilèges et de libertés. Un tel jeu d’entente entre le souverain et les sujets durera plus d’un siècle. Le pouvoir en la personne du roi, cherchant l’appui de la noblesse dans les questions importantes, principalement dynastiques, négociera avec les sujets. C’est ce que fit Wladyslaw II Jagiellon dans les années 1420, lorsqu’il eut des descendants. Les reconnaître comme héritiers permettait à la noblesse d’avoir un certain nombre de privilèges, ce qui deviendra le fondement des principes fondateurs de la monarchie : le pouvoir en la personne du monarque dépendant de la volonté de la classe politique, à savoir la noblesse, cette dernière grâce au dialogue avec le souverain, recevait en échange les outils lui permettant de participer à la vie politique du pays. Cela rendait la noblesse responsable de son propre pays.
Qui décide du sort du royaume
Les règles de communication et les devoirs des autorités et de la noblesse n’ont pas subi de changements importants tout au long du XVe siècle, ayant peu à peu développé un mécanisme de communication et de recherche d’un compromis mutuel. L’implication de la noblesse dans la gestion de l’État a atteint presque un niveau maximal possible. Au moins, le roi ne pouvait pas introduire de nouveaux impôts et déclencher de nouvelles guerres sans l’accord de la noblesse qui venait siéger aux congrès de la Couronne, appelés plus tard la Diète. Au début du XVIe siècle, il semblait que le compromis entre le roi et la noblesse était enfin bien établi et qu’il ne nécessitait pas d’être modifié. Mais le nouveau roi Alexandre Ier Jagellon, l’un des fils de Casimir IV de Pologne, auparavant Grand Duc de Lituanie, a dû faire face à une demande étonnamment ardue de l’union du Royaume de Pologne et du Grand Duché de Lituanie.
L’accord, conclu en 1501 à Mielnik en Pologne, aboutit au renforcement du rôle du Sénat, la chambre haute de la Diète, dans la vie de l’État. L’union n’a jamais eu lieu, mais la noblesse aisée, à savoir les sénateurs, a acquis une influence sur la plupart des prises de décisions dans le pays. Le compromis ultérieur des Diètes s’est traduit par le fait que le roi ne cherchait pas à résoudre les problèmes urgents, le Sénat en était principalement satisfait mais en revanche, la noblesse aisée cherchait des réformes. Le dialogue, qui a apparemment duré plusieurs dizaines d’années, n’a pas abouti à une résolution des contradictions. De plus, en 1530, à la requête de sa femme Bona Sforza, le roi Sigismond Ier, a procédé à un sacrement de son fils de dix ans, Sigismond Auguste. Cet épisode de la vie du gouvernement est le sacre de vivente rege (en latin : «sous le roi vivant») a été un cas isolé dans la vie du pays. Le roi a immédiatement promis que cela ne se reproduirait plus. Cette promesse est devenue une sorte d’avertissement à tous les projets ultérieurs de faire de même dans l’avenir. Malgré certaines tentations, il n’y eut plus de couronnements de la sorte.
Les changements qui ont suivi la mort du dernier Jagellon, Sigismond II Auguste en 1572, ont abouti à un tout autre format de responsabilités des autorités et des sujets. On s’est mis à élire les rois non pas parmi les représentants d’une dynastie, comme cela était fait officiellement au cours de presque d’un siècle et demi précédent. Dorénavant, l’élection était réelle. Les candidats, pour la plupart des représentants des dynasties régnantes de l’étranger, parfois des magnats locaux et même une fois un noble ordinaire, se disputaient la couronne.
Si l’on compare ces processus à ceux d’aujourd’hui, nous trouverons peu de différence entre l’élection du roi et l’élection du président, en dehors de la forme et de la rhétorique. Les candidats font leurs promesses et se disputent les votes des électeurs. Les électeurs écoutent et exigent plus de choses pour eux-mêmes. Pour ne pas oublier l’essentiel dans ce tourbillon de promesses, le premier de ceux qui remportent l’élection en 1573, le prince français Henri d’Anjou, doit jurer sur deux documents.
Le premier des ceux-ci, dénommé des « articles du roi Henri » (1573) (lat. – Articuli Henriciani), devient l’un des documents juridiques fondamentaux de la Rzeczpospolita (ndlr : lit. République, nom de l’État Polonais). Aujourd’hui, un tel document serait considéré au moins comme un acte constitutionnel ou un traité. L’Ukraine avait connu un précédent similaire avant qu’elle n’adopte sa propre Constitution en 1996. Et là, la noblesse a obtenu du roi plusieurs promesses importantes, et en même temps fondamentales, qui sont devenues la base de la structure du pays. Entre autre, la préservation des privilèges de la noblesse était garantie, les principes et la structure de la Rzeczpospolita étaient tracés, le roi s’est vu obligé de convoquer la Diète tous les deux ans, l’héritage du trône était dorénavant proscrit, le roi était soumis à des droits de la Rzeczpospolita, la liberté de religion était garantie et le droit de s’opposer au roi était reconnu, si celui violait la liberté et portait atteinte aux privilèges en vigueur garantis par lui-même à la noblesse. En somme, «Nous, les nobles, nous élisons notre roi, en retour nous disposons de droit, et toi, tu as des responsabilités». N’est-ce pas là une responsabilité réciproque ? Tous les rois suivants dela Rzeczpospolita jusqu’à Stanislav August Poniatowski (1732-1798) ont prêté serment sur ces articles.
Le deuxième document qui a vu le jour avec l’élection d’un nouveau roi était la pacta conventa (lat. – conditions convenues), qui contenait les engagements du roi durant son règne. Ce type d’accord entre le souverain et ses sujets les liant au roi nouvellement élu, est devenu fondamental pour la perception de la responsabilité des autorités au cours des deux siècles suivants, non seulement pour la noblesse, mais aussi pour les cosaques, qui dès la fin du XVIe siècle essayent de trouver leur place dans le système étatique de la Rzeczpospolita. Dans ces promesses Henri Ier, roi de Pologne, reflétait l’aspiration de la noblesse, soit la classe politique, d’obtenir du nouveau dirigeant les avantages qu’ils considéraient comme de première importance et utiles pour l’Etat. Malgré le fait que ces promesses n’étaient pas réalisées étant donné la durée extrêmement brève du règne d’Henri Ier (de 1773 à 1575), désormais ces conditions ont été imposées à chaque nouveau roi. Même ce que les Ukrainiens appellent la « Constitution de Pylip Orlyk » est une sorte de réplique de la pacta conventa, mais déjà dans sa version cosaque, lorsque les officiers, regardant la noblesse, concluaient un contrat avec leur hetman (ntd ! chef cosaque ukrainien)
Au sujet des autocrates russes
Ayant quitté la Rzeczpospolita, avec sa tradition consistant à élire un roi devant prêter serment devant ses sujets, les cosaques de la seconde moitié du XVIIe siècle ont poursuivi les pratiques habituelles de communication avec l’hetman. Naturellement, le chef cosaque n’était pas un souverain couronné et comprenait bien sa propre dépendance à l’égard de la volonté parfois capricieuse des cosaques. Par conséquent, il devait être responsable et ressentir subtilement l’ambiance. Au moins, le chaos et la succession rapide d’hetmans qui ont suivi la mort en 1657 du chef des cosaques d’Ukraine, Bohdan Khmelnytsky, ont fait la preuve de la complexité d’existence pour un gouvernement autonome cosaque prétendant être unique et indépendant. Et si l’on y ajoute les intrigues des souverains étrangers, alors être un hetman cosaque à cette époque équivalait presque à un suicide.
La dextérité d’Ivan Samoilovych (1630-1690) et surtout d’Ivan Mazepa (1639-1709) sont plutôt des exceptions qui ont créé l’illusion de leur propres importance et indépendance parmi les Cosaques. Une dure réalité de 1708-1709 a clairement montré que tout accord avec les autorités de Moscou ou de Saint-Pétersbourg était impossible. La pratique de tout le XVIIIe siècle a bien prouvé qu’un sujet dans le système étatique de l’Empire russe n’était qu’un simple exécutant. Il n’y avait rien à négocier avec lui, pas un mot prononcé par lui n’était entedu, il n’était qu’un instrument entre les mains des tsars-empereurs.
L’autocratie à la manière russe, qui à la fin du XVIIIe siècle a été fort ancrée dans la vie de la plupart des terres que nous considérons aujourd’hui comme celles d’Ukraine, a développé une voie de communication stable entre les autorités et la population. Il ne s’agissait plus de citoyens, car les droits et libertés dont jouissaient la noblesse dans la Rzeczpospolita et les officiers sous les hetmans, ont pour la plupart cessé de fonctionner. Et le fait que les bourgeois étaient privés des formes habituelles d’autonomie urbaine, et les paysans devenant des serfs, a permis aux autorités d’ignorer la population sous leur contrôle. Sous l’Empire russe, il n’y a jamais eu de dialogue dans lequel les autorités aient au moins fait semblant d’écouter la voix du peuple. Par conséquent, l’empereur n’avait pas le moindre devoir d’être franc et honnête avec ses sujets.
La situation était un peu différente dans l’Empire autrichien, mais seulement après 1848, lorsque le « printemps des nations » a aboutit à l’émergence de mouvements nationaux et au début d’un dialogue entre la capitale et ses provinces. Au moins, l’empereur autrichien devait écouter différentes voix dans son empire hétérogène. Sinon, il cesserait très vite de l’être. Ce savoir-faire de François-Joseph pendant son long règne de 1848 à 1916, a empêché son empire de s’écrouler à une époque où des mouvements nationaux en Hongrie, Bohème, Croatie, Galicie cherchaient à se faire entendre et aspiraient à établir leurs propres Etats.
Son homologue russe, régnant sur les terres non moins hétérogènes, mais beaucoup plus vastes, a continué à être un souverain au pouvoir absolu au sein de son empire. Les changements dans un pays comme la Russie se sont produits trop lentement. Seule la défaite de la guerre de Crimée (1853-1856) a engendré les réformes dans les années 1860 et 1870, qui n’ont cependant pas abouti au début de la transformation de l’empire en une monarchie constitutionnelle, où le parlement et les citoyens limitaient le pouvoir de l’empereur. Les tentatives d’établir un dialogue furent vaines, le dernier empereur russe resta sourd aux paroles de ses sujets. Et pourquoi aurait-il eu besoin de cette communication ? En 1897, lors du recensement de la population, il expliqua de manière éloquente son statut dans la case du questionnaire d’activité : « Maître de la terre russe ».
Le XXe siècle, qui débute pour l’Empire russe par une nouvelle défaite dans une guerre contre un autre empire en Extrême-Orient et la révolution de 1905-1907, marque le début de la représentation des domaines dans la Douma, la version russe du Parlement. Peut-être qu’après plusieurs décennies de travail, cet organisme aurait gagné plus d’influence dans l’empire, si ce n’était plusieurs circonstances. L’un de ces éléments concernait les partis politiques, des pan-russes aux nationaux, où certains d’entre eux cherchaient à transformer l’empire en une fédération, tandis que d’autres votaient timidement pour l’indépendance.
Un autre élément fut une nouvelle guerre, qui cette fois était mondiale. Du reste, c’est elle qui a fondamentalement changé non seulement la carte politique de l’Europe, mais a également créé des formes complètement nouvelles de communication avec la population pour les autorités. Mais ces nouvelles formes et institutions n’ont pas garanti le résultat, que divers politiciens ont proclamé à leur manière. L’exemple ukrainien de l’édification de la nation et de la construction de son propre État y est très révélateur.
Leaders de la lutte de libération ukrainienne
En 1917, les personnalités politiques ukrainiennes, cherchant au moins à s’affirmer, procèdent dans leurs activités d’une idée tout à fait démocratique : impliquer le plus possible le peuple dans la construction de l’État, qu’il soit fédératif ou indépendant. En fait, la Rada, le Parlement ukrainien, est devenue l’endroit auquel tous ceux qui voulaient bâtir l’Ukraine indépendante pouvaient contribuer.
Mykhaïlo Hruchevsky (1866-1934) (ndlr : historien et responsable politique) qui dirigeait la Rada, s’est avéré être un trop mauvais choix pour ce rôle. Son caractère et sa mauvaise volonté à se concentrer entièrement sur des affaires politiques ont amené à ce que, malgré le grand nombre de volontaires, il n’y ait personne pour défendre réellement la Rada centrale et la République populaire d’Ukraine proclamée en janvier 1918. Une chose est de décrire les événements d’un passé lointain, de faire des discours, et plus encore de disserter sur des sujets divers, c’en est une tout autre de construire un État indépendant et son armée. Le cordon ombilical invisible qui maintenait presque toutes les figures politiques du mouvement ukrainien dans le fil des idées sur les accords possibles avec la Russie, soit avec le gouvernement provisoire, soit avec le gouvernement bolchevique, a également joué son rôle.
Certes, on peut en dire beaucoup sur les circonstances, et plus encore sur le peu d’empressement de la nation ukrainienne, qui était en train de se construire, à créer son propre État indépendant. Mais il y a eu une polyphonie des autorités de l’époque en s’adressant à la population, comportant surtout des incohérences et des idées trop compliquées pour qu’un Ukrainien ordinaire de l’époque puisse les comprendre. Les bolcheviks quant à eux parlaient de façon simple et invoquaient ce qui était à l’ordre du jour. Et les événements d’avril 1918 ont entraîné l’établissement du pouvoir de Pavlo Skoropadsky (1873-1945) qui invoquait un passé cosaque, mais dont la forme et le contenu n’étaient pas plus compréhensibles pour la population que les positions des représentants du mouvement démocratique. Le résultat s’est avéré décevant pour le hetman Skoropadsky et pour le Directoire qui avait succédé à la Rada centrale et Skoropadsky fut chassé de Kyiv et remplacé la même année 1918. Ce fut la fin d’une courte période connue soue le nom de Hetmanat. Les autorités ukrainiennes de l’époque ne pouvaient pas être claires et responsables face à leur population.
Origines soviétiques des problèmes modernes
Le début des années 1920 et l’établissement du pouvoir bolchevique sur la majorité des terres ukrainiennes avec la paix de Riga en 1921 sous le couvert de la République socialiste soviétique d’Ukraine était à l’origine d’apparition de la responsabilité des autorités, qui existe encore aujourd’hui, à tous les échelons du pouvoir et dans de nombreuses institutions. Le pouvoir structuré verticalement, où seules les pensées et les paroles de la personne au sommet du pouvoir vertical comptent, a amené à l’émergence du culte du chef. Les dirigeants locaux, admirant celui qui siégeait au Kremlin, ont très vite désamorcé le désir de la population de poser des questions qui dérangeaient aux autorités, sous la menace de l’exil, de la prison et même de la mort. La peur était l’un de ces facteurs qui maintenaient la population dans la soumission, l’empêchant de devenir des citoyens à part entière. Et c’est à l’époque où les constitutions et la propagande soviétiques prêchait inlassablement la souveraineté du peuple et la sagesse des chefs qui œuvrent sans relâche pour son bien.
Il était facile de «faire partie du peuple», et les dirigeants de l’Union soviétique en abusaient en continu et ouvertement, en invoquant le fait qu’ils étaient eux-mêmes issus du peuple et qu’ils travaillaient jour et nuit au profit de ce peuple. En revanche, le pouvoir n’avait permis à personne de devenir citoyen, puisque les citoyens exigeants, c’est tout de suite le risque de perte de pouvoir pour des dirigeants de ce type.
Les toutes premières discussions qui ont été permises à la population à la fin des années 1980 ont entraîné un effondrement très rapide de l’empire. Mais sa chute n’est pas devenue l’instant magique du triomphe de la démocratie et de la transformation rapide de la population en citoyens. Il est évident que la démocratie n’est pas la meilleure forme de gouvernement. Ce n’est qu’une théorie, mais l’humanité n’a pas encore proposé quelque chose qui soit meilleur.
Le gouvernement ukrainien, issu génétiquement du Comité central du Parti communiste d’Ukraine, ne voulait pas être un gouvernement qui communique avec ses propres citoyens lesquels ont progressivement pris conscience de leur propre importance. Les autorités ukrainiennes ont dû faire un long chemin, ayant subi deux Maïdans, la perte des territoires et la guerre, pour finalement comprendre un schéma bien simple. Le pouvoir, implique la responsabilité et la responsabilité nécessite une conversation franche avec les citoyens qui élisent le gouvernement.
On peut discuter longuement de ce qu’est le gouvernement moderne en Ukraine. L’un l’aime bien, l’autre le trouve insupportable. Toutefois, ce pouvoir est légitime. Il a été élu à la majorité de ceux qui se sont rendus dans les bureaux de vote en 2019. Le président et le parlement sont élus par les citoyens ukrainiens. Par conséquent, ces derniers ont droit à un dialogue franc et ouvert avec les autorités, même ceux qui n’ont pas voté pour le président actuel et son parti. Ce dialogue comprend des réponses honnêtes à des questions difficiles. Il ne peut en être autrement.
On ne peut pas se cacher des citoyens derrière des explications vagues et incohérentes des actions et décisions, surtout lorsque l’on vit à une époque de captures d’écran. On ne peut pas non plus expliquer ses actions par la voix de quelqu’un qui n’était pas élu par les citoyens. De divers conseillers titulaires et contractuels, les chefs du cabinet, qui doivent préparer des réponses dans le silence des bureaux pour ceux que nous avions élus, ne doivent pas se substituer au pouvoir, pour leur servir d’écran. C’est une responsabilité des autorités. Si le pouvoir ne s’en rend pas compte, alors le fantôme des élections de l’été 1945 en Grande-Bretagne puisse faire une bonne allusion. Le vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill, a été très surpris par les résultats de ces élections. Donc, notre gouvernement devrait être plus responsable devant nos citoyens. Tout dans ce monde est éphémère.