Array ( [0] => WP_Post Object ( [ID] => 3149 [post_author] => 6 [post_date] => 2023-03-18 17:13:56 [post_date_gmt] => 2023-03-18 17:13:56 [post_content] =>

Dans la première partie, nous vous présentions les différentes entités politiques qui se sont succédées et/ou se sont disputés les territoires de l’Ukraine telle que nous la connaissons aujourd’hui. La Rus de Kyiv, créée au 9ème siècle par les Varègues venant de Scandinavie, la principauté de Galicie-Volhynie puis le Grand-Duché Lituanien se sont succédés au gré des conflits de territoires et autres guerres de successions. A partir de la fin du 14ème siècle, une série d’alliances entre le royaume de Pologne et le puissant Grand-Duché de Lituanie est signée, qui aboutit au 16ème siècle à la création de la République des Deux Nations. A son apogée au 17ème siècle, il s’agit du plus vaste royaume en Europe. Des conflits opposent ces royaumes à leurs voisins, tels la Moscovie ou la Prusse, et les terres du sud sont en proie aux pillages et aux raids des ottomans et des Tatars de Crimée. C’est dans ce contexte que le 16ème voit l’apparition d’une entité politique qui eut une importance majeure dans l’histoire de l’Ukraine : les Cosaques. Par la suite, avec l’affaiblissement de la République des Deux Nations, les terres ukrainiennes furent partagées entre les empires : l’Autriche et la Russie, puis au 20ème siècle, l’URSS.

Guerres cosaques et projets impériaux

La grande frontière orientale qui traversait le territoire de ce qui est aujourd’hui l'Ukraine moderne était constamment en mouvement, et des milliers de soldats rivalisaient d'habileté dans la maîtrise de l'art de la guerre. C'est là, sur la grande frontière, que sont apparus les Cosaques qui, dans notre histoire ukrainienne, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, sont devenus presque le fil conducteur de l'histoire.

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Carte République des deux nations
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Les premières références aux Cosaques remontent au 13ème siècle. Au départ il s’agissait de bandes nomades, des sentinelles, des mercenaires au service de seigneurs, puis petit à petit les bandes s’agrandirent et se structurèrent en véritables communautés. Elles accueillaient nombre de rebelles, de pauvres et d’exilés fuyant le servage notamment. Les Cosaques s’installent dans la région de Zaporijjia, d’abord sous contrôle du Grand-Duché Lituanien, puis la zone est annexée par le royaume de Pologne. En échange d’une certaine autonomie, les Cosaques assuraient la défense militaire contre les raids des Ottomans ou des Tatars de Crimée. Les Cosaques sont au cœur du récit national ukrainien. Et ce récit est, bien sûr, militaire. L'ironie de l'histoire est qu'aujourd'hui les Tatars de Crimée, citoyens de l'Ukraine, se battent pour restaurer l'intégrité territoriale de notre pays, et que la politique asymétrique spécifique de la Turquie nous permet de disposer de moyens de guerre modernes.

La participation des Cosaques aux campagnes militaires de la République de Deux Nations a contribué à la reconnaissance officielle de certains d'entre eux. Inscription au registre, salaire, bannière, sceau, timbales - tout cela a créé une image qui est devenue plus tard le socle de la formation de leur propre identité. L'autre partie des Cosaques, qui n'était pas institutionnalisée et restait dans la Sich (entité administrative et politique des Cosaques. La plus importante était la sich de Zaporijjia, d’où le nom de Cosaques zaporogues) ou devenait Cosaque pour une certaine période, était un groupe très hétéroclite dont le principal objectif était de s’enrichir en participant aux campagnes militaires et aux pillages. Bien que ces deux groupes soient plutôt méfiants l'un envers l'autre, dans des circonstances exceptionnelles, comme la guerre contre l'Empire ottoman en 1621, ils pouvaient créer de puissantes armées communes de plus de 40 000 personnes. C'est plus que l'armée du l’alliance polono-lituanienne en temps de paix. Cette militarisation, qui s'était lentement développée sur les terres de la région de Dnipro au cours du XVIe et des premières décennies du XVIIe siècle, prit une tout autre ampleur en 1648, date du soulèvement de l'Ukraine.

Mykola Samokysh "Le combat de Maksym Kryvonos contre Yarema Vyshnevetskyi".

À cette époque, la guerre devint le quotidien de plusieurs générations sur un vaste territoire qui couvrirait probablement la majeure partie de l'Ukraine moderne. Les Cosaques se soulevèrent contre la République des Deux Nations, les Polonais tentant de les soumettre entièrement à leur autorité. Ce sont les guerres, les campagnes militaires et les batailles qui contribuent de manière décisive à façonner l'image historique de notre passé.

Les guerres mettent en avant ceux qui dirigent les troupes, qui gagnent les batailles, qui subissent des défaites cuisantes, et ceux qui suivent leurs chefs - Bohdan Khmelnytsky, Ivan Vyhovsky, Petro Doroshenko - par centaines de milliers. L'objectif des hetmans (chefs militaires et administratifs) cosaques était d'abord de faire reconnaître leurs droits et privilèges, puis leur statut dans la société de l'époque. Sans les guerres, ils auraient été complètement différents. Face aux Polonais, une partie des Cosaques (rive gauche du Dnipro) cherchèrent appui à l’extérieur, et prêtèrent allégeance au tsar Alexis Ier espérant préserver leur autonomie et leur mode de vie, pendant que ceux de la rive droite restèrent sous contrôle polonais. Mais cela ne garantit pas la paix, ni une véritable autonomie des Cosaques, des deux côtés du fleuve. Car Polonais comme Russes ne voyaient pas d’un bon œil ce peuple libre qui refusait le joug autocratique. Mais au début du XVIIIe siècle, tout cela formait un énorme nœud que même un politicien aussi expérimenté et compétent qu'Ivan Mazepa, probablement le plus célèbre des hetmans cosaques, ne pouvait démêler.

La guerre qui avait débuté en 1700 dans le Grand Nord, où le tsar Pierre Ier de Moscou s’opposait au roi Charles XII de Suède, s’étendit jusqu’aux terres ukrainiennes. L'alliance entre Mazepa, Hetman des Cosaques de la rive gauche, sous contrôle russe, et le roi de Suède était étonnante. En effet, l’Hetman était extrêmement riche et avait la confiance du Tsar. Et c’est avec l’aval de ce dernier qu’il avait repris aux Polonais certains territoires cosaques sur la rive droite du Dnipro. Cependant, le tsar rognait progressivement l’autonomie du Hétmanat, obligeait les Cosaques, en contradictions avec les traités signés, à aller combattre loin de leurs terres, dans le Nord, et refusait de les soutenir face aux velléités guerrières du roi de Pologne. Ainsi, Mazepa, pour « le bien de [sa] patrie, la pauvre Ukraine », ainsi qu’il l’expliqua par la suite, entra en négociations avec le roi de Suède.

Leur alliance se concrétisa lors de l'une des batailles les plus célèbres ayant eu lieu sur le territoire ukrainien (et dont on parla jusque dans les gazettes en France). Bataille qui vit la défaite du roi et de l'hetman face aux troupes du tsar près de Poltava en 1709. Cette défaite, et l’exil subséquent de Mazepa et de ses partisans, ont paradoxalement donné naissance à l'un des documents historiques et juridiques les plus intéressants de notre histoire, connu sous le nom de Constitution de Pylyp Orlyk. Ce document a mis en forme les idées cosaques sur ce que doit être un État, et c'était une vision entièrement militaire. Ce texte définissait les rapports entre Hetman et assemblée des cosaques, entre civils et militaires etc., un mode de fonctionnement à l’exact opposé des systèmes autocratiques des empires. Mais ce n'est resté qu'un projet pour un petit groupe d'émigrants politiques qui espéraient revenir triomphalement et faire revivre la gloire de l'armée zaporogue. Pendant ce temps, les Cosaques restés sur la rive gauche du Dnipro perdirent peu à peu leurs droits et leurs libertés pour devenir, à la fin du turbulent XVIIIe siècle, des sujets et des serfs de l'Empire russe. Et ce, après plusieurs guerres auxquelles ils participèrent et à la suite desquelles le khanat de Crimée fut liquidé et l'Empire ottoman se retira de la côte septentrionale de la mer Noire. On aurait pu croire que c’était la fin des guerres sur ce territoire. Mais ce n'était qu'une illusion.

"Rejtan - Le déclin de la Pologne". Peinture de Jan Matejko consacrée aux événements survenus à la Diète en 1773, lorsque le noble Tadeusz Rejtan a tenté d'empêcher la partition du Commonwealth polono-lituanien.

Les deux empires, russe et autrichien, (en collaboration avec la Prusse) ont dépecé et se sont partagé la République des Deux Nations à la fin du XVIIIe siècle. La Russie et l’Autriche ont reçu d'énormes portions des territoires qui constituent aujourd'hui l'État d'Ukraine. Tout au long du XIXe siècle, l'Empire russe a continué à mener des guerres avec la même intensité qu'auparavant, espérant en vain remporter le prix ultime : Constantinople. L'une de ces guerres, entrée dans l'histoire sous le nom de guerre de Crimée (1853-1856), fut la première à être menée avec de nouveaux moyens : la machine à vapeur propulsait les navires, le courant électrique transmettait instantanément les informations par câble télégraphique, l’ancêtre des appareils photos capturait les événements, et des dizaines de correspondants tenaient le monde au courant des événements qui semblaient intéresser tout un chacun. Cette guerre, perdue par l'empire russe, a été le point de départ de réformes qui ont ouvert la voie à la modernisation. Dans l’empire d’Autriche, une guerre, bien qu'il s'agisse officiellement d'un soulèvement hongrois contre la dynastie des Habsbourg, avait également lancé des réformes amorçant la formation politique des nations modernes en Europe centrale. Le monde entre dans l'ère de la vapeur, de l'électricité et des changements rapides. À l'époque, comme aujourd'hui, le vainqueur était l’entité politique la plus avancée technologiquement.

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Expansion de l'empire russe
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La nouvelle répartition du monde

La Première Guerre mondiale, qui a impliqué de nombreux participants à des degrés divers, a détruit des empires, reformaté l'ordre mondial établi depuis la fin des guerres napoléoniennes et créé un certain nombre de nouveaux États sur les décombres de grands empires (autrichien, russe et ottoman). Le coût de ces changements fut énorme : des millions de vies y furent sacrifiées. C’est dans ce maelström sanglant que le premier État ukrainien de l'histoire moderne vit le jour, un rêve dont un très petit groupe de personnalités éclairées des deux empires avait timidement rêvé avant et pendant la guerre, alors que les Ukrainiens se battaient déjà les uns contre les autres dans les armées des empires belligérants. Les révolutions bolcheviques devaient mettre un terme à cette situation. Et la formation de leur propre État à l'issue de la Grande Guerre aurait permis de réaliser le rêve des tenants d'une Ukraine unie. Malheureusement, ces rêves étaient trop romantiques et ni les hommes politiques de l'époque, à l'exception de quelques-uns, ni la nation ukrainienne n'étaient prêts à se battre et à rompre les liens avec l'ancien empire russe, qui renaissait rapidement de ses cendres à l'époque et s'apprêtait à reprendre ce qu'il avait perdu.

L'idée qui avait enflammé l'imagination s'est avérée trop difficile à mettre en œuvre. Contrairement à leurs voisins occidentaux, qui avaient formé leurs propres États, les Ukrainiens n'ont pas réussi à convaincre les principaux vainqueurs de la Première Guerre mondiale qu'ils étaient aussi une nation à part entière. Les guerres modernes sont rarement gagnées sans alliés ni assistance. Les bolcheviks, qui ont commencé leur projet de création d'un nouvel empire à la fin de 1917, n'ont pas considéré l'Ukraine comme un partenaire. Au contraire, ils étaient très doués pour intriguer et manipuler des slogans politiques à des fins nationales et étrangères. Les politiciens polonais avaient leur propre idée de l'avenir de leur voisin oriental et, après les combats pour Lviv et les actions conjointes avec les Ukrainiens contre les bolcheviks en 1920-1921, ils ont tracé une nouvelle frontière avec ces derniers, obtenant la Galicie et la Volhynie. Les Ukrainiens qui cherchaient à établir la République populaire Ukrainienne n'avaient pratiquement aucune chance d'avoir leur propre État dans de telles circonstances. Ils furent abandonnés à leur sort.

Une série de courtes guerres contre la Russie bolchevique n'a eu qu'un seul résultat : le consentement de Moscou à l'existence de la République soviétique socialiste d'Ukraine. Formellement indépendante et dirigée par les bolcheviks d'origine ukrainienne, cette république s'est avérée inféodée à ses homologues moscovites. En fait, à la fin de 1922, ils formeront ensemble l'Union des républiques socialistes soviétiques qui, en moins de vingt ans, grâce aux guerres contre la Pologne et la Roumanie et au Pacte germano-soviétique de 1939, constituera la nouvelle frontière de l'Ukraine soviétique.

La Seconde Guerre mondiale, qui a débuté en 1939, a donné à l'Ukraine (à l'époque sans la Crimée, qui a été ajoutée par la suite) pratiquement les frontières qui lui sont reconnues dans le monde. L'expansion et la guerre menées par Staline ont permis d'intégrer la plupart des terres ukrainiennes dans les frontières d'un seul État. Mais une fois encore, le prix à payer était exorbitant. Des millions d'Ukrainiens périrent dans le tourbillon de la guerre, dont les effets se firent sentir pendant des décennies. Et bien que la guerre ait donné à l'Ukraine soviétique un siège aux Nations unies, ce qui a en partie facilité l'acceptation de l'indépendance en 1991, elle n'a pas répondu à la question dont les nationalistes ukrainiens avaient rêvé tout au long des années 1920 et 1930 : l'indépendance. Les espoirs qui n'avaient pu être concrétisés en 1918-1920, n'ont pas pu voir le jour non plus suite à la Seconde Guerre mondiale. Il faudra attendre 46 ans pour que l'Union soviétique, déjà exsangue de conflits, disparaisse de la scène politique. Les empires semblent puissants en apparence, mais ils ont une caractéristique : ils peuvent s'effondrer très rapidement.

Des soldats soviétiques se préparent à traverser la rivière Dnipro, 1943

L'indépendance en 1991 a ressemblé à un miracle. Un miracle parce que personne n'a tiré un coup de feu à Kyiv le 24 août 1991. Il n'y a pas eu d'hostilités le 1er décembre de la même année, lorsque nous avons confirmé notre choix par un référendum, et non à la suite d'une campagne militaire victorieuse. Il semblait que l'histoire, pour une fois, suivait un cours pacifique, contrairement aux événements survenus en Lituanie, en Géorgie, en Arménie, en Azerbaïdjan ou en Moldavie au même moment. L'indépendance pacifique était un miracle. Elle ne correspondait pas aux pratiques historiques. Et l'effondrement de la Yougoslavie, qui s'est déroulé presque en parallèle, est un exemple clair de l'utilisation de la force dans un processus d’indépendance. Alors qu’en 1993, les Tchèques et les Slovaques se s’étaient séparés pacifiquement, nous avons cru naïvement qu'il n'y aurait plus de guerre. Qui plus est, le coût exorbitant en vies humaines payé par l'Ukraine dans les guerres du XXe siècle pesait si lourdement dans les mémoires qu'il n'était pas question d’imaginer une nouvelle guerre dans l'Ukraine indépendante.

Aujourd'hui, après trois décennies d'existence de notre État, force est de constater nos propres erreurs. Quasiment dès la proclamation de l’indépendance le 24 août 1991, la Russie a menacé l'intégrité territoriale de l'État, en incitant les mouvements séparatistes en Crimée, retardant la résolution sur le statut et la division de la flotte de la mer Noire, privant l'Ukraine de sa part de l'héritage soviétique, mettant des obstacles à toute tentative du nouvel État de trouver sa place dans le monde, tout en achetant et en détruisant des entreprises industrielles et en empoisonnant la politique intérieure avec ses agents. C'était aussi une guerre, une guerre sans coups de feu, mais non moins dangereuse. Et dans cette guerre, nous perdions. Et sur le terrain de la culture aussi, une guerre était en cours, que nous perdions également.

Malgré les lois du genre, il n’y eut pas un mais plusieurs points culminants. Après tout, avant même 2014, lorsque la Crimée et certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk furent occupées, il y a eu Tuzla en 2003, lorsque la Russie entreprit illégalement de relier par un barrage son territoire avec le minuscule ilot sableux dans le détroit de Kerch en Crimée. Une conversation personnelle entre le président ukrainien Kouchma et V. Poutine permit l’arrêt de la construction du barrage et une désescalade, mais Kouchma fut forcé d’accepter un accord sur l’utilisation de la mer d’Azov et du détroit : aucun navire militaire étranger, même invité par l’Ukraine, ne pourrait y entrer sans l’accord de la Russie, et vice-versa. Il y eut par la suite l'ingérence directe dans les élections de 2004, la guerre en Géorgie en 2008, les accords de Kharkiv en 2010 et l'hiver 2013-2014. Bien que personne n'ait officiellement tiré avant 2014, et certainement pas déclaré la guerre, elle était bien là, dans l'air.

Leonid Kuchma lors de la tentative russe de s'emparer de l'île de Tuzla en 2003

La guerre, qui a commencé par l'occupation de la Crimée et les tentatives de mise en œuvre du scénario fréquemment joué par Moscou de pseudo-États fantoches, est devenue un puissant catalyseur de la construction de la nation ukrainienne. Sans elle, nous nous serions longtemps disputés sur les vecteurs de développement du pays, les attitudes à l'égard des héros, à l'égard de la langue… Mais le prix de cette révélation est trop élevé… Comme d'habitude.

En général, l'humanité ne s'accommode pas bien des changements sans guerres. Chacune des guerres connues dans l'histoire, quel que soit son nom, quelles que soient les raisons de son déclenchement, a toujours changé le monde et les hommes, même si ceux-ci ne s'en sont pas aperçus. Bien entendu, l'appel à une guerre juste (bellum iustum) a été et reste la pierre angulaire de toute propagande. Il y aura toujours un nombre suffisant de personnes pour justifier la guerre. « Carthage doit être détruite » (Carthago delenda est), aurait répété Caton l'Ancien. « Jérusalem doit nous appartenir, » tel est le slogan depuis la première croisade à la fin du XIe siècle jusqu'à aujourd'hui. Peu importe qui le proclame. Les acteurs changent, mais le sens du slogan reste le même. Et il en est ainsi depuis plus de mille ans.

En 1944-1945, l'objectif de Staline était « En avant vers Berlin ! » Et plusieurs millions de victimes ont été sacrifiées au nom de l'objectif d'un seul homme. L'humanité n'a jamais manqué d'exemples de ce genre et n'en manquera probablement jamais. Si vous essayez de mettre toutes ces déclarations dans la tête du président russe, vous obtiendrez une séquence tout à fait logique dans sa vision du monde : « Kyiv doit être détruite », Kyiv n'étant plus considérée comme une ville, mais comme un gouvernement. Et « Kyiv doit être à nous » et « En avant vers Kyiv ! » deviennent une sorte d'objectif et de ligne directrice existentiels. Ce qui, bien sûr, ne peut être réalisé sans guerre.

Du point de vue ukrainien, il s'agit d'un défi à l'existence même de l'Ukraine et de la nation ukrainienne. Et la guerre actuelle, qui a commencé non pas le 24 février 2022, mais déjà il y a neuf ans en février 2014, est un élément fondamental de la formation de l'État ukrainien et de la nation ukrainienne. Pendant trop longtemps, nous avons tourné en rond sur notre chemin historique, comme nous l'avons fait au cours des 30 dernières années, en imitant nos prédécesseurs dans leurs compromis avec la Russie. Mais il semble que cette guerre a finalisé la création d'une nation ukrainienne moderne.

[post_title] => Né de la guerre. Comment les conflits armés ont façonné la nation ukrainienne au fil des siècles. (2e partie) [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => closed [ping_status] => closed [post_password] => [post_name] => ne-de-la-guerre-comment-les-conflits-armes-ont-faconne-la-nation-ukrainienne-au-fil-des-siecles-2e-partie [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2023-06-16 09:36:25 [post_modified_gmt] => 2023-06-16 09:36:25 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://tyzhden.fr/?p=3149 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw ) [1] => WP_Post Object ( [ID] => 2982 [post_author] => 7 [post_date] => 2023-03-14 15:42:08 [post_date_gmt] => 2023-03-14 15:42:08 [post_content] => Vue de l’Europe de l’Ouest, la zone géographique englobant l’extrême est du continent, son histoire culturelle et géopolitique, reste enveloppée par un certain flou. D’autant que ces terres, au premier lieu desquelles l’Ukraine, furent âprement disputées par diverses entités politiques, traversées par nombre de peuples, générant immanquablement des conflits à répétition. Ainsi la zone allant de la mer Baltique à la mer Noire a vu émerger successivement la Ruthénie des Varègues (désignés par le terme greco-byzantin de « Rus » - qui n’a donc rien à voir avec les Russes). Par la suite les terres ukrainiennes furent disputées et partagées par diverses entités politiques : royaume polonais, grand-duché de Lituanie, empires ottoman, russe puis soviétique. C’est cette histoire que nous vous proposons de découvrir dans une série d’articles, dont voici la première partie. De la préhistoire au Moyen Âge Ma génération a grandi avec un simple cliché de propagande : « Si seulement il n'y avait pas de guerre », bien que le pouvoir s'en servait pour justifier de nouvelles guerres. Celles-ci n'étaient pas toujours explicites et de grande ampleur, car il ne s'agissait pas de combats comme lors des Première et Seconde Guerres mondiales. La majorité de la population ne voyait ni n'entendait les explosions d'obus et de bombes, ne savait pas ce qu'étaient le front, les tranchées, la boue, le froid et les bombardements. Ils ne connaissaient pas grand-chose d'autre lié à la guerre. Les personnes qui ont vécu en Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale ont justifié tous les problèmes en disant que c'est nous qui avons le plus souffert de la guerre. Sans la guerre, nous aurions... Et puis l'imagination a emporté tout le monde dans son propre tourbillon, sans remarquer que l’URSS avait mené de nombreuses guerres après 1945, presque sans interruption, et que la vie de la population ne s'était pas beaucoup améliorée par la suite. Même si l'électrification des villages n'a été achevée qu'au début des années 1960, il n’était pas question d'approvisionnement en eau, l'évacuation des eaux usées et l'installation du gaz dans les habitations. Et ce, à une époque où l'Allemagne vaincue, même divisée en zones d'occupation par les Alliés, vivait beaucoup mieux. Et à l'abri des regards des autorités, la plupart des gens discutaient des trophées et de ce qu'ils avaient vu dans cette Europe-là. Mais tous, comme un mantra, répétaient « si seulement il n'y avait pas eu de guerre » et s'accordaient à dire que la guerre avait changé leur monde. Territoire de transit de la guerre permanente Les premiers romantiques de la fin du XVIIIe siècle, contemplant la Révolution française, se demandaient si les changements dans le monde devaient être révolutionnaires ou évolutifs. Inspirés par la nature et par ce qui se passait en France, ils se divisaient en Volcanistes et Neptunistes. Les premiers pensaient que tout provenait de catastrophes, telles que les éruptions volcaniques ou les tremblements de terre, tandis que les seconds soutenaient que l'eau et les sédiments étaient la force principale, un lent processus géologique créant des montagnes, des minéraux et des terres. L'éternel choix de l'humanité : quarante ans dans le désert ou un changement rapide aux conséquences inconnues. Des changements lents et des réformes à petits pas ou des décapitations sur la guillotine. Une augmentation progressive de la prospérité, comme la maturation des plantes et la maturation des hommes et des animaux dans la nature, ou un résultat instantané, comme les conséquences de la victoire et du pillage lors d'une guerre. Foutus dilemmes. La guerre semblait être une solution simple dans ces discussions. La guerre a toujours été inhérente à l'humanité. Toute notre connaissance de l'histoire écrite est liée aux guerres. Enseigner l’histoire d’un pays est impossible sans évoquer les guerres. Elles sont presque la base de notre compréhension du passé ancien et glorieux. Les premières références écrites au territoire de l’Ukraine proviennent du livre d'Hérodote, Melpomène, dans lequel il décrit la guerre opposant les Scythes aux Perses. Il s'est avéré que, pour la première fois, le monde a appris à connaître les steppes de la région septentrionale de la mer Noire en grec ancien dans le contexte de la guerre, là où aujourd'hui l'armée ukrainienne abat des drones iraniens. À l'apogée de sa puissance, l'Empire romain contrôlait une certaine aire de ce territoire, qui faisait partie de la province de Mésie. Plus tard, il fut divisé en deux, et le territoire allant du delta du Danube au fleuve Dnipro faisait partie de la Mésie inférieure. Il y eut aussi des guerres dans cette région. Au cours des siècles suivants, les steppes ukrainiennes devinrent une sorte de corridor par lequel les Scythes, les Sarmates, les Huns, les Avars, les Bulgares, les Ougriens et les Petchénègues passèrent les uns après les autres. Un autre empire, dont la capitale était Constantinople et qui possédait les territoires de la mer Noire, devait composer avec eux. En général, il s'agissait de conflits résolus par la force, et l'empire était considéré comme invincible jusqu'à ce qu'il rencontre quelque chose de nouveau et d'inconnu pour lui. Un peu comme aujourd'hui. Carte de la Mésie (carte générale empire romain) Conquête et soumission pacifique Dans notre histoire, qui concerne déjà la région du Dnipro moyen et dont Kyiv devint la ville principale, les guerres ont rythmé les événements politiques d'une nouvelle entité qui apparaîtra dans la seconde moitié du IXe siècle, la Ruthénie. Ce sont les guerres qui ont façonné l'image de la Ruthénie que nous, Ukrainiens, apprenons dans les manuels scolaires : il s'agissait du plus grand État médiéval d'Europe. Mais cette image correspondait-elle aux réalités de l'époque ? Nous sommes tellement fascinés par les descriptions des campagnes des princes kyivans sur le Danube, dans la région de la Volga et sur la mer Caspienne, que nous ne nous donnons pas le temps de nous arrêter et d'essayer d'évaluer le contexte de l'époque. Que s'est-il passé en dehors de ces campagnes ? Que savons-nous de la vie en temps de paix ? La guerre accélère le temps dans l'histoire. Elle accapare toute l'attention. Сarte de la Ruthénie Dans les histoires que nous connaissons par des fragments de chroniques, les guerres sont traditionnellement considérées comme des conflits entre deux ou plusieurs parties. C'est le cas depuis la lutte pour Kyiv opposant les premiers chefs de guerre scandinaves et leurs tentatives de pillage de Constantinople. Ces Scandinaves, appelés Varègues, sont les premiers princes de la Ruthènie Ainsi c’est un Varègue, Rurik, qui fut appelé par différentes tribus en conflit pour le pouvoir afin de ramener l’ordre. Il fonda la dynastie des rurikides. [caption id="attachment_2988" align="alignright" width="220"] Armoirie des Rurikides[/caption] La description pittoresque du Conte du temps jadis n'a pas grand-chose à voir avec la réalité, mais elle flatte le peuple et sa fierté et permet de célébrer ces anciens princes. Leur œuvre a été poursuivie par les fils du prince Volodymyr de Kyiv (980-1015), celui qui a apporté le christianisme sur ces terres. Comme la plupart des descendants de tous les souverains, ils se sont disputés l'héritage de leur père. Leurs fils, petits-fils et arrière-petits-enfants ont continué à le faire. Les guerres de pouvoir, dont l’enjeu principal était le trône princier de Kyiv, étaient une constante de ces temps, si nous lisons nos premières chroniques. De même, aujourd'hui, en tant qu'État indépendant, l'Ukraine a été en guerre pendant près d'un tiers de son histoire récente. C'est beaucoup à l’échelle d'une seule génération. [caption id="attachment_2985" align="alignleft" width="300"] Le prince Oleg aux portes de Constantinople. Une page du Conte des années révolues, tirée de la Chronique de Radziwill, datant du XVe siècle.[/caption] Au cours de ces anciennes guerres pour Kyiv, plusieurs centres ont émergé, capables d'unir de vastes territoires autour d'eux, et le trône convoité sur les collines du Dnipro n'était plus aussi important que la préservation de leur propre centre - à Tchernihiv, Volodymyr et Halych. Même ce qui est présenté dans notre tradition historiographique et même historique comme un jalon important de l'histoire - la formation de la principauté de Galicie-Volhynie au début du treizième siècle - était le résultat des actions militaires du prince de Volyn Roman Mstyslavovych contre la principauté de Galicie. Si l'on ne comprend pas cela, il est difficile d'imaginer comment une telle union a pu se produire volontairement à cette époque. La principauté de Galicie-Volhynie était censée être le plus grand des États créés par les descendants du prince scandinave Rurik. Au lieu de cela, les guerres et la lutte pour l'héritage de Roman Mstyslavovych l'émergence des Mongols et les batailles perdues n'ont fait que confirmer la règle : la sécurité personnelle et l'inviolabilité du pouvoir et du territoire sont impossibles sans une armée et des guerres. C'est pourquoi l'empire des steppes des descendants de Gengis Khan, qui devient la Horde d'or au XIVe siècle, tint tout son entourage dans une poigne de fer. Et cela continuera ainsi, avant qu’un mouvement contraire ne s'affirme : la population agricole sédentaire lança son expansion vers l'est. Ce processus a été initié par une petite principauté qui s'est fièrement appelée le Grand-Duché de Lituanie. Aujourd'hui, l'assistance militaire de la Lituanie à l'Ukraine est l'une des plus importantes proportionnellement à la taille de sa de population et de son économie. Сarte du grand-duché Lituanien Au contraire, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle et de la première moitié du XVe siècle, le Grand-Duché de Lituanie est parvenu à soumettre un vaste territoire, devenant le plus grand État d'Europe à l'époque, presque un empire, profitant de l’affaiblissement progressif de la Horde d’or. Dans notre histoire, la victoire quasi-mythique des Lituaniens sur la Horde d’or à Synye Vody en 1363 a créé une sorte de mythe sur la puissance douce de la famille Gediminovich. Avec cette victoire, le Grand-Duché prit le contrôle de la principauté de Kyiv. L'histoire est écrite par les vainqueurs. Bien que les chroniques lituaniennes du XVIe siècle contiennent des récits de défaites, comme la bataille de Vytautas sur la rivière Vorskla, ces textes traitent principalement de la conquête « pacifique » de vastes territoires dans la partie sud-est de l'Europe de l'époque. La bataille de Vorskla. Miniature tirée de la Chronique faciale, seconde moitié du XVIe siècle. Les autres prétendants à l'héritage de la famille de Rurik n'ont pas retenu l’attention des créateurs du récit national historique ukrainien moderne. Leurs campagnes militaires différaient trop fortement dans leur évaluation et leur perception ultérieure dans notre histoire - conquête, occupation, catholisation et dépossession des biens de la noblesse locale. Le Royaume de Pologne, qui s'est emparé à partir du milieu du XIVe siècle de la partie méridionale des terres du Royaume de Ruthènie, s'est finalement établi sur ce territoire grâce à des mariages dynastiques et à l'aide militaire du Grand-Duché de Lituanie. Et puis il y a eu la Horde d’or qui, à la suite de la pandémie de peste et de la lutte pour le pouvoir entre de nombreux prétendants, s'est divisée en plusieurs entités, dont l'une a formé son propre État, le khanat de Crimée, au milieu du XVe siècle. Leur réputation dans notre histoire n'est que négative et toujours à travers le prisme de la guerre, des campagnes invasives, dont l'objectif principal était le « yasyr » - terme désignant les personnes enlevées pour être vendues sur les marchés d’esclaves. Guerroyer, à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, était peut-être la principale vertu d'un bon souverain. En effet, grâce aux victoires, un roi ou un grand-duc pouvait se faire une place dans les chroniques et les annales qui sont parvenues jusqu’à nous. Tout le monde aime les vainqueurs. Les guerres qui se sont déroulées depuis la seconde moitié du XIVe siècle sont reflétées dans notre histoire de manière assez sélective. Et il ne s'agit pas de guerres, mais plutôt de certaines manifestations liées à des batailles victorieuses. Ainsi des batailles de Grunwald en 1410 et d'Orcha en 1514. Alors que la première (opposant les Polono-lituaniens à l’Ordre Teutonique) a impliqué des bannières de zemstvo (gouvernements locaux élus – ndlr) de presque toutes les terres de l'Ukraine moderne, la seconde (entre Polono-lituaniens au Grand-duché de Moscou) est restée dans les mémoires parce que le principal auteur de cette victoire était le prince Konstantin Ostrozky, qui fut le premier à recevoir le titre de Grand Hetman de Lituanie. S’il a gagné la bataille, la guerre elle-même fut remportée par le souverain de Moscou. Les autres guerres, où l'on retrouve plus ou moins ce que les historiens appellent la trace « ukrainienne », n'ont pas été perçues comme propres à l'Ukraine et à sa formation. Les guerres se sont plutôt déroulées chez nous, sur les terres du Moyen-Dnipro et de Podillia, où deux ennemis s’opposaient : le khanat de Crimée et l'Empire ottoman. La bataille de Grunwald. Peinture de Jan Matejko, 1878 À partir du milieu du XVe siècle, ces deux États sont devenus les principaux adversaires militaires de notre histoire. Alors que les guerres entre ces entités politiques et le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie étaient peu fréquentes, voire extrêmement rares, les raids et les pillages des groupes tatars devinrent un phénomène constant et continuèrent avec plus ou moins d'intensité presque jusqu'à ce que le Khanat soit liquidé en tant qu'État. Naturellement, les groupes armés, tant publics que privés, ne furent pas sans réagir. Carte du khanat de Crimée A SUIVRE [readAlso title:" Lire aussi: "]  Né de la guerre. Comment les conflits armés ont façonné la nation ukrainienne au fil des siècles. (2e partie)  [/readAlso] [post_title] => Né de la guerre. Comment les conflits armés ont façonné la nation ukrainienne au fil des siècles (1e partie) [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => closed [ping_status] => closed [post_password] => [post_name] => ne-de-la-guerre-comment-les-conflits-armes-ont-faconne-la-nation-ukrainienne-au-fil-des-siecles-1e-partie [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2023-06-16 09:33:24 [post_modified_gmt] => 2023-06-16 09:33:24 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://tyzhden.fr/?p=2982 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw ) [2] => WP_Post Object ( [ID] => 1121 [post_author] => 4 [post_date] => 2022-10-15 10:16:48 [post_date_gmt] => 2022-10-15 10:16:48 [post_content] => La brève histoire des relations des souverains avec leur peuple, dès l’époque de la Ruthènie ancienne (ndlr : l’Etat de Kyiv) jusqu’à ce jour

La population ou les citoyens

L’article d’investigation des journalistes américains paru le 16 août 2022 dans The Washington Post, dans lequel les auteurs évoquaient un Occident collégial et tout d’abord les États-Unis, qui avaient averti le monde sur les intentions de la Russie de déclencher la guerre, pose pas mal de questions aux autorités d’Ukraine. On peut longtemps passer en revue les détails et s’efforcer de trouver des incohérences dans les messages que dès l’automne dernier, les gouverneurs ukrainiens ont transmis aux citoyens du pays, en utilisant tous les canaux possibles. On peut aussi attiser les passions ou apporter de l’eau aux moulins qui tournent autour des intérêts de divers camps politiques. En revanche, il existe une autre question, non moins importante qui se perd un peu dans le champ des émotions. Il s'agit de la responsabilité des autorités devant son peuple. La responsabilité devant ses électeurs et tout d’abord de ses citoyens, même ceux qui n’avaient pas voté pour ce pouvoir. Et cette responsabilité a son prix. En temps de paix, c’est une élection à venir. En temps de guerre, c’est la victoire. Et là, les dirigeants de l’État se retrouvent devant un dilemme : rester honnêtes ou bien s’accrocher au pouvoir à n’importe quel prix? La réponse à cette question dépend de l’auto-identification des personnes qui habitent sur les territoires concernés. Aujourd’hui, ce sont des citoyens ou une population. Jadis, c’étaient des sujets dont seule une partie d’entre eux pouvait disposer d’un droit de communiquer avec le seigneur. Selon la façon dont les autorités nous perçoivent et comment nous, nous percevons les autorités, la réponse à la question de savoir qui nous sommes varie : «sommes-nous une population ou des citoyens?»

Anthropologie du pouvoir

Le pouvoir et la franchise sont dans une certaine mesure incompatibles. Le gouvernement ne peut pas tout de suite confier au grand public tout ce qu'il sait. Il est facile de trouver un prétexte universel selon lequel ce n'est pas le moment. La population n’en tiendra pas rigueur, mais les citoyens vont le retenir et, le moment venu, interrogeront les autorités. Pour des dirigeants élus dans le respect des principes démocratiques, il est important de rester francs avec leurs citoyens et électeurs. Pour les monarchies et les dictatures il n’y a pas d’importance primordiale à respecter ces belles manières. Le dictateur concentre un pouvoir absolu entre ses mains, il n’a pas besoin d'expliquer la logique de ses actes à la population. En plus, il n'a pas à leur rendre compte de ses actes. Telle est la nature de son pouvoir. A contrario, ce n'est pas le cas des monarques, même si dans l'histoire il y a eu de tout, pourtant il existe encore des différences. Surtout dans les cas où la monarchie était élue et dépendait de la volonté d’une classe politique, à savoir la noblesse. Historiquement parlant, tout gouvernement se méfie du contrôle car il estime que ceci ne fait que le gêner et détourner son attention des tâches d’une importance primordiale. Dans le cas des monarchies qui se basaient sur des idées anciennes liées à l'origine divine du pouvoir, généralement, la question ne se posait pas. Il existait un dirigeant suprême, sa parole avait valeur de loi, il n'était tenu responsable que devant Dieu. S’il ne s'agissait que d'une façade destinée à cacher une autre réalité, ce n’était pas montré aux sujets. Ce n’était par leur affaire : leur devoir n’était que de servir le seigneur et d'accomplir sa volonté.

La force et la faiblesse des dirigeants du passé

Le pouvoir a toujours dépendu de sa taille et de la façon dont il pouvait se présenter. C'est une chose quand on est prince à Pereyaslav, et c'en est une autre quand la capitale de sa principauté est Tchernihiv ou Volodymyr. La donne change lorsque, au gré du destin, ou plutôt au gré des règles de l’héritage négociées vers la fin du XIe siècle à Lioubetch (ndlr : dans la région de Tchernihiv), vous devenez Grand Prince de Kyiv. Le rang et la dimension de votre domaine et de vos pleins pouvoirs sont bien différents. Pourtant il suffit de comparer le Prince de Kyiv à l’empereur qui régnait à l’époque à Constantinople et l’on voit que le rayonnement n'est plus le même. Ce qui luit et éblouit à Kyiv, perd en éclat sur les rives du Bosphore. [caption id="attachment_1124" align="aligncenter" width="471"] Le Prince Daniel de Galicie[/caption] Les événements tumultueux du milieu du XIIIe siècle, lorsque les heurts avec l'armée mongole ayant clairement démontré la faiblesse des principautés existantes sur les terres ukrainiennes d’aujourd’hui, ont soulevé une question simple devant le plus grand dirigeant de la principauté de Galice-Volhynie, à savoir la responsabilité des autorités. Combattre ou négocier ? Le prince Danylo de Galicie a choisi la voie de l’accord. Ayant reconnu la suprématie du Khan turco-mongol, il a préservé sa vie et donc sa dynastie. Au moins sous cet aspect, il avait pris ses responsabilités. Sa fuite et la mise à sa place de son jeune frère Vasylko avaient pour seul objectif : sauver la vie du prince. Cette tactique s'est avérée efficace au XIIIe siècle. Il a su préserver sa vie, de sorte que son œuvre a été poursuivie par son fils et trois autres générations de Romanovytch, qui ont gouverné le royaume ruthène jusqu'au début des années 1320. Le dernier dirigeant de cet Etat, Iouri II, a été empoisonné par ses sujets. Pourquoi, cela a-t-il eu lieu et quelle était sa faute vis-à-vis d’eux ? Cette question demeure l'objet de disputes entre historiens depuis plus de cent ans. Les seigneurs qui se sont succédé sur des terres qui composent le territoire de l'Ukraine actuelle étaient plus responsables. Si les Gediminides (ndlr : dynastie de souverains du grand-duché de Lituanie) ne manquaient pas de qualités qui leur permettaient ensuite de devenir de grands princes lituaniens, les choses étaient plus difficiles pour les rois polonais et hongrois. Mais au moins d’une certaine façon en matière de succession du pouvoir, ils étaient cohérents. Les arrangements entre eux et les accords avec leurs sujets, car à l'époque, les rois ne pouvaient négocier qu'avec la noblesse, sont à la base de la formation d'une culture politique et des institutions étatiques, qui ont conditionné l'existence des États pour plusieurs siècles. [caption id="attachment_1125" align="aligncenter" width="357"] Le Roi Casimir III[/caption] Le roi polonais Casimir III et son neveu, le roi Louis Ier de Hongrie, n'ayant plus de descendance depuis un certain temps, se sont mis d'accord pour la succession aux trônes en cas de décès de l'un d'entre eux. Casimir mourut le premier et en 1370, Louis hérita des terres de son oncle. Déjà en 1374, ayant eu des descendants, il accepta une solution de compromis : la noblesse du royaume polonais reconnut l'une de ses filles comme héritière et reçut en retour un certain nombre de privilèges et de libertés. Un tel jeu d’entente entre le souverain et les sujets durera plus d'un siècle. Le pouvoir en la personne du roi, cherchant l'appui de la noblesse dans les questions importantes, principalement dynastiques, négociera avec les sujets. C'est ce que fit Wladyslaw II Jagiellon dans les années 1420, lorsqu'il eut des descendants. Les reconnaître comme héritiers permettait à la noblesse d’avoir un certain nombre de privilèges, ce qui deviendra le fondement des principes fondateurs de la monarchie : le pouvoir en la personne du monarque dépendant de la volonté de la classe politique, à savoir la noblesse, cette dernière grâce au dialogue avec le souverain, recevait en échange les outils lui permettant de participer à la vie politique du pays. Cela rendait la noblesse responsable de son propre pays.

Qui décide du sort du royaume

Les règles de communication et les devoirs des autorités et de la noblesse n'ont pas subi de changements importants tout au long du XVe siècle, ayant peu à peu développé un mécanisme de communication et de recherche d'un compromis mutuel. L'implication de la noblesse dans la gestion de l'État a atteint presque un niveau maximal possible. Au moins, le roi ne pouvait pas introduire de nouveaux impôts et déclencher de nouvelles guerres sans l’accord de la noblesse qui venait siéger aux congrès de la Couronne, appelés plus tard la Diète. Au début du XVIe siècle, il semblait que le compromis entre le roi et la noblesse était enfin bien établi et qu'il ne nécessitait pas d’être modifié. Mais le nouveau roi Alexandre Ier Jagellon, l’un des fils de Casimir IV de Pologne, auparavant Grand Duc de Lituanie, a dû faire face à une demande étonnamment ardue de l’union du Royaume de Pologne et du Grand Duché de Lituanie. L'accord, conclu en 1501 à Mielnik en Pologne, aboutit au renforcement du rôle du Sénat, la chambre haute de la Diète, dans la vie de l'État. L'union n'a jamais eu lieu, mais la noblesse aisée, à savoir les sénateurs, a acquis une influence sur la plupart des prises de décisions dans le pays. Le compromis ultérieur des Diètes s’est traduit par le fait que le roi ne cherchait pas à résoudre les problèmes urgents, le Sénat en était principalement satisfait mais en revanche, la noblesse aisée cherchait des réformes. Le dialogue, qui a apparemment duré plusieurs dizaines d'années, n'a pas abouti à une résolution des contradictions. De plus, en 1530, à la requête de sa femme Bona Sforza, le roi Sigismond Ier, a procédé à un sacrement de son fils de dix ans, Sigismond Auguste. Cet épisode de la vie du gouvernement est le sacre de vivente rege (en latin : «sous le roi vivant») a été un cas isolé dans la vie du pays. Le roi a immédiatement promis que cela ne se reproduirait plus. Cette promesse est devenue une sorte d'avertissement à tous les projets ultérieurs de faire de même dans l'avenir. Malgré certaines tentations, il n'y eut plus de couronnements de la sorte. [caption id="attachment_1126" align="aligncenter" width="538"] Le roi Sigismond II August[/caption] Les changements qui ont suivi la mort du dernier Jagellon, Sigismond II Auguste en 1572, ont abouti à un tout autre format de responsabilités des autorités et des sujets. On s’est mis à élire les rois non pas parmi les représentants d'une dynastie, comme cela était fait officiellement au cours de presque d'un siècle et demi précédent. Dorénavant, l'élection était réelle. Les candidats, pour la plupart des représentants des dynasties régnantes de l'étranger, parfois des magnats locaux et même une fois un noble ordinaire, se disputaient la couronne. Si l’on compare ces processus à ceux d’aujourd'hui, nous trouverons peu de différence entre l'élection du roi et l'élection du président, en dehors de la forme et de la rhétorique. Les candidats font leurs promesses et se disputent les votes des électeurs. Les électeurs écoutent et exigent plus de choses pour eux-mêmes. Pour ne pas oublier l'essentiel dans ce tourbillon de promesses, le premier de ceux qui remportent l'élection en 1573, le prince français Henri d'Anjou, doit jurer sur deux documents. [caption id="attachment_1127" align="aligncenter" width="427"] Le roi Sigismond II August[/caption] Le premier des ceux-ci, dénommé des "articles du roi Henri" (1573) (lat. - Articuli Henriciani), devient l'un des documents juridiques fondamentaux de la Rzeczpospolita (ndlr : lit. République, nom de l’État Polonais). Aujourd'hui, un tel document serait considéré au moins comme un acte constitutionnel ou un traité. L'Ukraine avait connu un précédent similaire avant qu’elle n’adopte sa propre Constitution en 1996. Et là, la noblesse a obtenu du roi plusieurs promesses importantes, et en même temps fondamentales, qui sont devenues la base de la structure du pays. Entre autre, la préservation des privilèges de la noblesse était garantie, les principes et la structure de la Rzeczpospolita étaient tracés, le roi s’est vu obligé de convoquer la Diète tous les deux ans, l’héritage du trône était dorénavant proscrit, le roi était soumis à des droits de la Rzeczpospolita, la liberté de religion était garantie et le droit de s’opposer au roi était reconnu, si celui violait la liberté et portait atteinte aux privilèges en vigueur garantis par lui-même à la noblesse. En somme, «Nous, les nobles, nous élisons notre roi, en retour nous disposons de droit, et toi, tu as des responsabilités». N’est-ce pas là une responsabilité réciproque ? Tous les rois suivants dela Rzeczpospolita jusqu'à Stanislav August Poniatowski (1732-1798) ont prêté serment sur ces articles. Le deuxième document qui a vu le jour avec l'élection d'un nouveau roi était la pacta conventa (lat. - conditions convenues), qui contenait les engagements du roi durant son règne. Ce type d'accord entre le souverain et ses sujets les liant au roi nouvellement élu, est devenu fondamental pour la perception de la responsabilité des autorités au cours des deux siècles suivants, non seulement pour la noblesse, mais aussi pour les cosaques, qui dès la fin du XVIe siècle essayent de trouver leur place dans le système étatique de la Rzeczpospolita. Dans ces promesses Henri Ier, roi de Pologne, reflétait l’aspiration de la noblesse, soit la classe politique, d’obtenir du nouveau dirigeant les avantages qu'ils considéraient comme de première importance et utiles pour l’Etat. Malgré le fait que ces promesses n’étaient pas réalisées étant donné la durée extrêmement brève du règne d'Henri Ier (de 1773 à 1575), désormais ces conditions ont été imposées à chaque nouveau roi. Même ce que les Ukrainiens appellent la "Constitution de Pylip Orlyk" est une sorte de réplique de la pacta conventa, mais déjà dans sa version cosaque, lorsque les officiers, regardant la noblesse, concluaient un contrat avec leur hetman (ntd ! chef cosaque ukrainien)

Au sujet des autocrates russes

Ayant quitté la Rzeczpospolita, avec sa tradition consistant à élire un roi devant prêter serment devant ses sujets, les cosaques de la seconde moitié du XVIIe siècle ont poursuivi les pratiques habituelles de communication avec l'hetman. Naturellement, le chef cosaque n'était pas un souverain couronné et comprenait bien sa propre dépendance à l'égard de la volonté parfois capricieuse des cosaques. Par conséquent, il devait être responsable et ressentir subtilement l'ambiance. Au moins, le chaos et la succession rapide d'hetmans qui ont suivi la mort en 1657 du chef des cosaques d’Ukraine, Bohdan Khmelnytsky, ont fait la preuve de la complexité d’existence pour un gouvernement autonome cosaque prétendant être unique et indépendant. Et si l’on y ajoute les intrigues des souverains étrangers, alors être un hetman cosaque à cette époque équivalait presque à un suicide. La dextérité d'Ivan Samoilovych (1630-1690) et surtout d'Ivan Mazepa (1639-1709) sont plutôt des exceptions qui ont créé l'illusion de leur propres importance et indépendance parmi les Cosaques. Une dure réalité de 1708-1709 a clairement montré que tout accord avec les autorités de Moscou ou de Saint-Pétersbourg était impossible. La pratique de tout le XVIIIe siècle a bien prouvé qu’un sujet dans le système étatique de l’Empire russe n’était qu’un simple exécutant. Il n’y avait rien à négocier avec lui, pas un mot prononcé par lui n’était entedu, il n’était qu’un instrument entre les mains des tsars-empereurs. [caption id="attachment_1128" align="aligncenter" width="480"] Hetman Ivan Mazepa[/caption] L'autocratie à la manière russe, qui à la fin du XVIIIe siècle a été fort ancrée dans la vie de la plupart des terres que nous considérons aujourd'hui comme celles d’Ukraine, a développé une voie de communication stable entre les autorités et la population. Il ne s'agissait plus de citoyens, car les droits et libertés dont jouissaient la noblesse dans la Rzeczpospolita et les officiers sous les hetmans, ont pour la plupart cessé de fonctionner. Et le fait que les bourgeois étaient privés des formes habituelles d'autonomie urbaine, et les paysans devenant des serfs, a permis aux autorités d'ignorer la population sous leur contrôle. Sous l'Empire russe, il n'y a jamais eu de dialogue dans lequel les autorités aient au moins fait semblant d'écouter la voix du peuple. Par conséquent, l'empereur n'avait pas le moindre devoir d'être franc et honnête avec ses sujets. La situation était un peu différente dans l'Empire autrichien, mais seulement après 1848, lorsque le "printemps des nations" a aboutit à l'émergence de mouvements nationaux et au début d'un dialogue entre la capitale et ses provinces. Au moins, l'empereur autrichien devait écouter différentes voix dans son empire hétérogène. Sinon, il cesserait très vite de l'être. Ce savoir-faire de François-Joseph pendant son long règne de 1848 à 1916, a empêché son empire de s’écrouler à une époque où des mouvements nationaux en Hongrie, Bohème, Croatie, Galicie cherchaient à se faire entendre et aspiraient à établir leurs propres Etats. [caption id="attachment_1129" align="aligncenter" width="401"] Empereur François-Joseph Ier[/caption] Son homologue russe, régnant sur les terres non moins hétérogènes, mais beaucoup plus vastes, a continué à être un souverain au pouvoir absolu au sein de son empire. Les changements dans un pays comme la Russie se sont produits trop lentement. Seule la défaite de la guerre de Crimée (1853-1856) a engendré les réformes dans les années 1860 et 1870, qui n'ont cependant pas abouti au début de la transformation de l'empire en une monarchie constitutionnelle, où le parlement et les citoyens limitaient le pouvoir de l'empereur. Les tentatives d'établir un dialogue furent vaines, le dernier empereur russe resta sourd aux paroles de ses sujets. Et pourquoi aurait-il eu besoin de cette communication ? En 1897, lors du recensement de la population, il expliqua de manière éloquente son statut dans la case du questionnaire d'activité : « Maître de la terre russe ». Le XXe siècle, qui débute pour l'Empire russe par une nouvelle défaite dans une guerre contre un autre empire en Extrême-Orient et la révolution de 1905-1907, marque le début de la représentation des domaines dans la Douma, la version russe du Parlement. Peut-être qu'après plusieurs décennies de travail, cet organisme aurait gagné plus d'influence dans l'empire, si ce n'était plusieurs circonstances. L'un de ces éléments concernait les partis politiques, des pan-russes aux nationaux, où certains d'entre eux cherchaient à transformer l’empire en une fédération, tandis que d'autres votaient timidement pour l'indépendance. Un autre élément fut une nouvelle guerre, qui cette fois était mondiale. Du reste, c’est elle qui a fondamentalement changé non seulement la carte politique de l'Europe, mais a également créé des formes complètement nouvelles de communication avec la population pour les autorités. Mais ces nouvelles formes et institutions n'ont pas garanti le résultat, que divers politiciens ont proclamé à leur manière. L'exemple ukrainien de l'édification de la nation et de la construction de son propre État y est très révélateur.

Leaders de la lutte de libération ukrainienne

En 1917, les personnalités politiques ukrainiennes, cherchant au moins à s'affirmer, procèdent dans leurs activités d'une idée tout à fait démocratique : impliquer le plus possible le peuple dans la construction de l’État, qu'il soit fédératif ou indépendant. En fait, la Rada, le Parlement ukrainien, est devenue l’endroit auquel tous ceux qui voulaient bâtir l’Ukraine indépendante pouvaient contribuer. [caption id="attachment_1130" align="aligncenter" width="439"] Hetman Pavlo Skoropadsky[/caption] Mykhaïlo Hruchevsky (1866-1934) (ndlr : historien et responsable politique) qui dirigeait la Rada, s'est avéré être un trop mauvais choix pour ce rôle. Son caractère et sa mauvaise volonté à se concentrer entièrement sur des affaires politiques ont amené à ce que, malgré le grand nombre de volontaires, il n'y ait personne pour défendre réellement la Rada centrale et la République populaire d'Ukraine proclamée en janvier 1918. Une chose est de décrire les événements d'un passé lointain, de faire des discours, et plus encore de disserter sur des sujets divers, c’en est une tout autre de construire un État indépendant et son armée. Le cordon ombilical invisible qui maintenait presque toutes les figures politiques du mouvement ukrainien dans le fil des idées sur les accords possibles avec la Russie, soit avec le gouvernement provisoire, soit avec le gouvernement bolchevique, a également joué son rôle. Certes, on peut en dire beaucoup sur les circonstances, et plus encore sur le peu d’empressement de la nation ukrainienne, qui était en train de se construire, à créer son propre État indépendant. Mais il y a eu une polyphonie des autorités de l'époque en s’adressant à la population, comportant surtout des incohérences et des idées trop compliquées pour qu’un Ukrainien ordinaire de l'époque puisse les comprendre. Les bolcheviks quant à eux parlaient de façon simple et invoquaient ce qui était à l'ordre du jour. Et les événements d'avril 1918 ont entraîné l'établissement du pouvoir de Pavlo Skoropadsky (1873-1945) qui invoquait un passé cosaque, mais dont la forme et le contenu n'étaient pas plus compréhensibles pour la population que les positions des représentants du mouvement démocratique. Le résultat s'est avéré décevant pour le hetman Skoropadsky et pour le Directoire qui avait succédé à la Rada centrale et Skoropadsky fut chassé de Kyiv et remplacé la même année 1918. Ce fut la fin d’une courte période connue soue le nom de Hetmanat. Les autorités ukrainiennes de l'époque ne pouvaient pas être claires et responsables face à leur population.

Origines soviétiques des problèmes modernes

Le début des années 1920 et l'établissement du pouvoir bolchevique sur la majorité des terres ukrainiennes avec la paix de Riga en 1921 sous le couvert de la République socialiste soviétique d'Ukraine était à l'origine d'apparition de la responsabilité des autorités, qui existe encore aujourd'hui, à tous les échelons du pouvoir et dans de nombreuses institutions. Le pouvoir structuré verticalement, où seules les pensées et les paroles de la personne au sommet du pouvoir vertical comptent, a amené à l'émergence du culte du chef. Les dirigeants locaux, admirant celui qui siégeait au Kremlin, ont très vite désamorcé le désir de la population de poser des questions qui dérangeaient aux autorités, sous la menace de l'exil, de la prison et même de la mort. La peur était l'un de ces facteurs qui maintenaient la population dans la soumission, l'empêchant de devenir des citoyens à part entière. Et c'est à l’époque où les constitutions et la propagande soviétiques prêchait inlassablement la souveraineté du peuple et la sagesse des chefs qui œuvrent sans relâche pour son bien. Il était facile de «faire partie du peuple», et les dirigeants de l'Union soviétique en abusaient en continu et ouvertement, en invoquant le fait qu'ils étaient eux-mêmes issus du peuple et qu'ils travaillaient jour et nuit au profit de ce peuple. En revanche, le pouvoir n'avait permis à personne de devenir citoyen, puisque les citoyens exigeants, c'est tout de suite le risque de perte de pouvoir pour des dirigeants de ce type. Les toutes premières discussions qui ont été permises à la population à la fin des années 1980 ont entraîné un effondrement très rapide de l'empire. Mais sa chute n'est pas devenue l’instant magique du triomphe de la démocratie et de la transformation rapide de la population en citoyens. Il est évident que la démocratie n'est pas la meilleure forme de gouvernement. Ce n’est qu’une théorie, mais l’humanité n'a pas encore proposé quelque chose qui soit meilleur. Le gouvernement ukrainien, issu génétiquement du Comité central du Parti communiste d'Ukraine, ne voulait pas être un gouvernement qui communique avec ses propres citoyens lesquels ont progressivement pris conscience de leur propre importance. Les autorités ukrainiennes ont dû faire un long chemin, ayant subi deux Maïdans, la perte des territoires et la guerre, pour finalement comprendre un schéma bien simple. Le pouvoir, implique la responsabilité et la responsabilité nécessite une conversation franche avec les citoyens qui élisent le gouvernement. On peut discuter longuement de ce qu’est le gouvernement moderne en Ukraine. L’un l’aime bien, l’autre le trouve insupportable. Toutefois, ce pouvoir est légitime. Il a été élu à la majorité de ceux qui se sont rendus dans les bureaux de vote en 2019. Le président et le parlement sont élus par les citoyens ukrainiens. Par conséquent, ces derniers ont droit à un dialogue franc et ouvert avec les autorités, même ceux qui n'ont pas voté pour le président actuel et son parti. Ce dialogue comprend des réponses honnêtes à des questions difficiles. Il ne peut en être autrement. On ne peut pas se cacher des citoyens derrière des explications vagues et incohérentes des actions et décisions, surtout lorsque l’on vit à une époque de captures d'écran. On ne peut pas non plus expliquer ses actions par la voix de quelqu'un qui n'était pas élu par les citoyens. De divers conseillers titulaires et contractuels, les chefs du cabinet, qui doivent préparer des réponses dans le silence des bureaux pour ceux que nous avions élus, ne doivent pas se substituer au pouvoir, pour leur servir d’écran. C'est une responsabilité des autorités. Si le pouvoir ne s'en rend pas compte, alors le fantôme des élections de l'été 1945 en Grande-Bretagne puisse faire une bonne allusion. Le vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill, a été très surpris par les résultats de ces élections. Donc, notre gouvernement devrait être plus responsable devant nos citoyens. Tout dans ce monde est éphémère. [post_title] => Une tradition de la culture politique en Ukraine [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => closed [ping_status] => closed [post_password] => [post_name] => une-tradition-de-la-culture-politique-en-ukraine [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-10-15 10:20:59 [post_modified_gmt] => 2022-10-15 10:20:59 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://tyzhden.fr/?p=1121 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw ) )

Author: Vitaliy Mykhailovsky