Un adversaire à l’obstination légendaire

Histoire
18 octobre 2022, 12:48

Comment, il y a cent ans, l’armée de la République populaire ukrainienne, avec les Polonais, a défendu la ville de Zamość contre les soldats de Siemon Boudenny et a sauvé Varsovie

La défense de la forteresse de Zamość, attaquée par la première armée de cavalerie rouge de Boudenny, est devenu emblématique de l’histoire polonaise: les pointes des épées et les sabres de cavaliers rouges visaient le cœur de la Pologne – la ville de Varsovie. L’échec les a contraints à renoncer à ses plans pour encourager une conflit mondiale ou soi-disant une «révolution mondiale» de Lénine.

La première armée de cavalerie de Boudenny a été délocalisée du Caucase du Nord vers l’Ukraine à la fin du mois de mai 1920 pour renforcer le camp soviétique du Sud-Ouest contre les forces polonaises et l’armée de la République populaire ukrainienne. C’est à cause de l’avancée de la première armée de cavalerie rouge que les forces alliées (polonaises et ukrainiennes) ont été forcées d’abandonner Kyiv dans la nuit du 8 au 9 juin 1920. Cette fois, l’attaque des Rouges visait les villes de Jytomyr et de Berdytchiv (au nord de l’Ukraine). Ils ont réussi à prendre Jytomyr, mais à Berdytchiv, ils ont rencontré une résistance farouche des unités ukrainiennes. C’était la 6e brigade de réserve du colonel Gnat Porokhivsky. Les forces en présence étaient inégales. Ainsi, une division entière des Rouges – la 11e division de cavalerie, qui rassemblait 3000 soldats, n’a pu surmonter la résistance acharnée des militaires ukrainiens et d’un groupe de soldats polonais.

Après avoir pénétré dans Berdytchiv par Jytomyr, les cavaliers soviétiques ont rencontré la résistance d’un avant-poste ukrainien accompagné de tirs d’appui. La supériorité quantitative n’a pas donné un grand avantage aux soldats rouges, car les rues de la ville étaient étroites, ainsi ils ont été obligés de descendre de leurs chevaux. Pendant ce temps, les officiers et les militaires ukrainiens, qui étaient dans la ville, ont rejoint le groupe. Peu à peu, sous la pression des Rouges, ils s’enfuyaient sur «Lysa gora» (le Mont Chauve). Là-bas, les forces principales de la 6e brigade de réserve ont été basées dans des casernes. La batterie ukrainienne a ouvert le feu sur les soldats de l’armée rouge qui attaquaient, et la bataille s’est engagée entre les adversaires.

Le commandant de la brigade Ignat Porokhivsky a décrit le déroulement comme suit: «Le bataillon d’officiers, cette perle de l’armée ukrainienne, totalement conscients de leur dignité et de leur devoir, s’est avancée calmement et résolument vers la ville pour manœuvrer vers l’arrière en groupes et chasser l’ennemi de la ville. Leur action a été au-delà de toute louange. Ukrainiens conscients, militaires expérimentés, ils ont surmonté les obstacles qui leur barraient la route. Leur offensive était si décisive et courageuse que les Moscovites n’ont pas eu le temps de causer des dommages aux personnes». Bien que l’avancée de la première armée de cavalerie ait été contrée, la situation générale sur le front sud-ouest n’a pas été une réussite pour les forces ukrainiennes et polonaises. Ils ont persévéré vers la Galicie (région historique et géographique du sud-ouest de l’Ukraine et du sud-est de la Pologne – ndlr). Les soldats soviétiques ont suivi. D’abord, la première armée de cavalerie de Boudenny a combattu en Volhynie et s’est tournée vers Lviv à la fin du mois de juillet.

De Lublin à Varsovie

Il est intéressant de noter qu’en raison de la stratégie militaire générale et de la direction de l’offensive de la première armée de cavalerie, un malentendu est apparu entre Lénine et un membre du Conseil militaire révolutionnaire du front du Sud-Ouest, Staline. Lénine a exigé de renforcer le front occidental soviétique qui avançait sur Varsovie et après la conquête, comme le voulait le chef du prolétariat mondial, ils se dirigeaient vers Berlin. A l’époque, les feux de leur propre révolution brûlaient encore en Allemagne, à partir desquels Lénine espérait allumer un «feu mondial». Joseph Staline, ainsi que Siemon Boudenny et Kliment Voroshilov, membre du Conseil militaire de l’armée, ont été en désaccord avec la stratégie de Lénine. Ils étaient persuadés qu’après la prise de Lviv par la première armée de cavalerie, ils pourraient former deux divisions soviétiques galiciennes à partir de la population ukrainienne locale en cinq à sept jours. Ils ont été encouragés par le fait qu’en quelques jours, dans l’ouest de l’Ukraine, plusieurs bataillons avaient déjà été formés à partir de volontaires locaux. Les bolcheviks ont réussi à exploiter à leur avantage les contradictions nationales entre les Polonais et les Ukrainiens de l’ouest.

Le 16 août 1920, la première armée de cavalerie s’est lancée à l’assaut des fortifications que les Polonais ont établies autour de Lviv, et ce jour-là, les forces polonaises lançaient une contre-offensive contre le front occidentale soviétique au nord. Les Rouges n’ont pas réussi à prendre Lviv dans la précipitation. Staline et Budenny pensaient que la prise de Lviv était une question de jours. Mais Lénine exige catégoriquement d’envoyer la première armée de cavalerie dans un raid au nord pour frapper les troupes polonaises par le flanc et percer vers Lublin, puis – avec de la chance – vers Varsovie.

Plus tard, le chef d’état-major de la première armée de cavalerie, Leonid Kliuyev, s’est excusé de l’échec du raid et expliquait: «La cavalerie était sur l’arrière de l’ennemi pour la deuxième fois sur le front polonais, mais il y avait une grande différence entre l’avancée de mai (vers Jytomyr et Berdytchiv) et en août. Là, le front ennemi a été percé, et là, l’armée s’est retrouvée au milieu d’unités ennemies qui avançaient. L’adversaire était bien équipé en matériel et en munitions. De plus, les pluies continues des 30 et 31 août ont rendu toute la zone boisée et marécageuse infranchissable à cause de la boue. Le raid de l’armée a été mené dans le feu de l’orage ce qui avait rendu les manœuvres de l’armée plus difficiles. L’armée a utilisé presque toutes ses munitions dans les combats. Des escadrons d’avions ont opéré contre l’ennemi, bombardant les unités de cavalerie avec des bombes et tirant à la mitrailleuse».

Le rééquilibrage du pouvoir

Avec les chemins effacés et l’absence de communications alternatives, la route qui passait par Zamość vers Lublin était la seule possible. Les premiers soldats de Budenny sont apparus au pied de la forteresse le 28 août, mais la force principale, la 6e division de cavalerie, qui comportait 5.500 sabres, est parue dans la nuit du 29 au 30 du mois d’août. Le reste de leurs troupes a fait le tour de la forteresse. Les forces de défense de Zamość ont été alors formées de diverses unités polonaises, des combattants du groupe «Balachowicz», les militaires de l’armée de Stanislaw Bulak-Balachowicz, composés de gardes blancs et des partisans biélorusses, et des unités de la 6e division de l’armée de la République populaire ukrainienne. Nombre total de défenseurs était plus de 3.000 baïonnettes, 350 sabres, 11 canons et 3 trains blindé. Les troupes ukrainiennes à Zamość ont été formées de quartier général de la 6ème division, le 6ème baraquement technique de trois cents hommes et cent cavaliers. Les forces principales de la division se trouvaient à proximité des villes de Krasnostav et Grubieszew au nord de Zamość, où elles préparaient la deuxième ligne de défense.

Le 6e détachement technique de l’armée de la République populaire ukrainienne a joué un rôle de premier plan dans les événements. Voici ce que se rappelle leur chef, le célèbre peintre Mikola Bitinsky: «En quatre jours incomplets, du 25 au 28 août, l’équipe de démineur avait érigé une ligne de fil tactique et supplémentaire, en certains endroits de 3 à 4 rangées. Derrière eux, ils ont construit une chaîne de points de nidification solides avec des petites fenêtres avantageusement placées, à partir desquelles, il était possible d’effectuer l’enfilade de mitrailleuses et de fusils. Un tel système de fortifications en tranchées, ainsi qu’une solide ligne de barrières en fil de fer achevée à temps, s’est avérée brillante lors des batailles. Presque toute la population locale a travaillé sur les fortifications – de 3.000 à 5.000 personnes par jour, dirigées par des sous-officiers et de cosaques du 6e détachement technique. Ce n’est que vers la fin de ces travaux, alors que le cercle de défense était presque terminé, qu’une petite équipe polonaise de démineurs est arrivée pour aider».

Juste avant les combats avec les soldats de Budenny, deux canons de la 6e division d’infanterie, dirigés par le commandant d’une centaine de soldats, Viktor Filipowicz, ont réussi à entrer dans la forteresse. L’un des soldats d’unité «Balachowicz» l’a décrit comme suit: «Nos forces à étaient modestes, alors, tout le monde s’est réjoui en apprenant que le centurion Filipowicz avait fait une percée sous Izbica avec deux canons et qu’il avançait vers Zamość… à Izbica, il a été rejoint par un patrouille bolchevique (environ 60-80 cavaliers). Il voulait s’enfuir, car les chevaux de la batterie étaient magnifiques, mais les bolcheviks l’ont rattrapé. Sans réfléchir longtemps, Filipowicz a arrangé la batterie et a commencé à tirer de plus près. Les Rouges ont reculé et la batterie a continué son chemin. Le déplacement a pris environ huit heures, ils avançaient, en tirant en arrière, mais finalement, ils ont atteint Zamość avec succès».

Une résistance imprévue

La première attaque de la première armée de cavalerie rouge, à cheval, a eu lieu dans la soirée du 29 août 1920. Mais les cavaliers sont soudain tombés sur une ligne de barrières bien faite, que les chevaux n’ont pas pu franchir. La cavalerie soviétique à rapidement reculé sous les tirs. Dans la nuit du 29 au 30 août, les Rouges ont tenté de prendre la ville sans leurs chevaux. Ils ont été immobilisés par des tirs de mitrailleuse et des fusillades de canon. De longues lignes de Rouges se sont restés devant les barrières et ont tenté d’attaquer à nouveau le matin, mais ils avaient de nouveau le même résultat. L’artillerie et les trains blindés se sont joigne à la bataille. Il y en avait trois de la part des défenseurs de Zamość (deux polonais et un, de «Balachowicz», plus tard, il a été transféré à l’armée de la République populaire ukrainienne). Les Rouges ont été soutenue par deux «tortues sur roues». A la fin de la journée, deux trains polonais et deux bolcheviques ont été neutralisés. L’artillerie soviétique, bien plus nombreuse que les défenseurs, frappait les tranchées où se trouvait l’infanterie. Parmi eux se trouvaient les gens indécis, les défenseurs devaient désarmer un groupe de «Balachowicz». Parmi les troupes polonaises était un bataillon d’étape (de réserve). Il était composé de jeunes soldats qui avaient commencé à paniquer. Leurs troupes ont été renforcées par des militaires du 6e détachement technique de l’armée de la République populaire ukrainienne.

Dans l’après-midi, le 30 août, un avion polonais a survolé Zamość. Un paquet contenant des informations a été déposé, où il était dit que l’aide approchait la ville de plusieurs endroits. Cela a beaucoup encouragé les défenseurs. Dans la nuit du 30 au 31 août ils ont réalisé deux sorties contre les Rouges, qui restaient près de fil de barrière. Le commandement soviétique devenait conscient qu’avec la cavalerie, sans les renforts des autres formations du front du Sud-Ouest, il n’y avait aucun moyen d’avancer. Et l’arrivée de l’aide polonaise mènera à l’encerclement de la première armée de cavalerie. La 6e division de cavalerie a commencé à se retirer des alentours de Zamość. Selon les mémoires: «Enfin, à partir de midi le 31 août, toutes les attaques ennemies ont commencé à faiblir sensiblement. Les rangs ennemis se sont retirés des positions de combat, se sont retournés et ont disparu dans les forêts et les villages de banlieue environnants, où ils avaient probablement des positions initiales et des points d’accumulation. Après quelques heures, les dernières brigades d’exécution (les troupes qui suivaient les forces principales et tuaient ceux qui voulaient s’échapper – ndlr) ont quitté le champ de bataille. La canonnade et les tirs des tranchées ont cessé. Et puis encore, plus tard, vers le soir d’une journée de combats acharnés, la cavalerie rouge a commencé à se déplacer avec le bruit dans les forêts et sur les horizons des champs». Le 31 août, la cavalerie polonaise près de Komarowcie a croisé une partie des Rouges.

C’était une brillante bataille de cavalerie, avec des divisions entières dans un combat à l’épée. C’était comme à l’époque de Napoléon. Les Rouges ont perdu… Dès lors, la retraite complète a commencé. La première armée de cavalerie était démoralisée par la défaite – pour la première fois de son histoire, ils ne parvenaient pas à vaincre la résistance ennemie et étaient rejetés. Ils ont fait ressortir de la frustration en population locale, en particulier sur la population juive, traversant la Volhynie comme une tornade et volant et violant les habitants des villes juives pauvres. Les Rouges ont également poursuivi leur désordre en tout genre près de Jytomyr et Berdychiv, où ils se trouvaient pendant la réorganisation à la mi-septembre. Ce n’est qu’après l’envoi de ces soldats sur le front Sud, contre les forces de la Garde Blanche de Wrangel que la population juive locale soupirait de soulagement. Selon les rapports de Budenny et Voroshilov au Kremlin pour le 26 août au 1er septembre 1920: «La cavalerie pendant le raid de cinq jours dans les conditions décrites et la persistance jusqu’alors inconnue de l’ennemi qui essayer d’encercler et de détruire l’armée, a subi de lourdes pertes parmi le commandement, les soldats de l’Armée rouge, les chevaux et du matériel. En raison des batailles incessantes et des déplacements sous des pluies sur les routes boueuses, les soldats et les chevaux de l’armée sont épuisés et nécessitent de longues périodes de repos pour réapprovisionner les unités en matériel de lutte et la reconstitution des ressources».