Andriy Golub Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Serhiy Dembitsky : « Toute l’Ukraine s’est réorientée vers l’ouest, même si les régions du sud-est ont commencé à changer plus tard »

Société
15 avril 2023, 13:30

Serhiy Dembitsky, directeur adjoint de l’Institut de sociologie de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, explique dans une interview pour The Ukrainian Week, ce qui caractérise le « Sud-Est » de l’Ukraine et qui en a fait pendant longtemps une région particulière. Et selon lui, plus rien ne justifie aujourd’hui de considérer ces territoires comme étant à part, même si la Russie tente de s’en emparer.

Les territoires du Sud-Est sont devenus les principales victimes de la guerre d’agression menée par la Russie qui prétend « protéger la population locale ». De plus, les politiciens russes et Poutine lui-même définissent souvent ces territoires comme la « Novorossiya » (nouvelle Russie), faisant allusion à certaines spécificités qui distinguent la région du reste de l’Ukraine et unit les personnes qui y vivent.

Selon S. Dembitsky, il n’existe pas de critères pour les sociologues qui leur permettrait de diviser l’Ukraine en macro-régions : « Certains sondages incluent, par exemple, l’oblast de Dnipropetrovsk dans la région orientale, tandis que d’autres ne le font pas. En ce sens, il n’y a pas de consensus sur le caractère commun. Personnellement, je n’ai jamais utilisé le terme « Sud-Est », je parle de la région du sud-est ».

Il explique qu’avant 2014, l’ambiance dans le sud et l’est de l’Ukraine était quelque peu différente de celle qui régnait dans le centre et surtout dans l’ouest. C’était particulièrement vrai en ce qui concerne les questions de mémoire historique et de langue. Mais les choses ont changé par la suite.

« Le tournant s’est produit en 2014, lorsque la première agression contre l’Ukraine a eu lieu. [À cette époque], une vision politique commun s’était déjà formée dans toutes les régions occidentales de l’Ukraine. Et dans la région centrale, sa formation était en fait achevée : la grande majorité s’était déjà réorientée vers l’occident, voyant son avenir de ce côté. Et dans les régions du sud et de l’est (c’est pourquoi elles sont parfois réunies et appelées région du sud-est), le processus de transformation a commencé plus tard, puis s’est poursuivi pendant toutes ces années. [C’est pourquoi] nous ne pouvons pas parler d’unité dans ces régions. Parce qu’après l’agression, beaucoup de gens étaient déjà orientés vers l’Ouest ; il y avait encore des gens orientés vers l’Est ; et il y avait ceux qui ne soutenaient ni l’un ni l’autre. Si, avant 2014, la région était plus monolithique, elle est devenue la région la plus hétérogène », explique M. Dembitsky.

Dans tous le cas, ajoute le sociologue, il n’existait certainement pas d’unité socioculturelle dans la région du sud-est après 2014. « En comparaison avec d’autres régions, le refus de s’engager dans les projets sociales et politiques [propre à de nombreux Ukrainiens] y était plus prononcé, particulièrement dans la région d’Odessa, où ce refus était le plus répandu », note le sociologue.

La situation a encore changé depuis l’invasion totale de 2022 : « Je pense que ceux qui ont des positions pro-russes sont maintenant… marginalisés. Je pense qu’il y a eu un tournant dans toute l’Ukraine. Par conséquent, d’un point de vue analytique, nous pouvons parler de la région du sud-est, mais en termes d’unité socioculturelle particulière, bien sûr que non », dit le chercheur.