Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

Sébastien Gobert : « Je n’ai pas rencontré d’entrepreneur français en Ukraine qui se plaignait »

Politique
9 juin 2025, 08:32

Sébastien Gobert est spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Il a été journaliste installé en Ukraine depuis 2011 travaillant pour Libération, RFI, Mediapart. Il travaille aujourd’hui pour l’ONG Team4UA à Lviv. Il est l’auteur du livre L’Ukraine, la République et les oligarques.

– Ton livre L’Ukraine, la république et les oligarques décrit une partie des plus opaques de la réalité ukrainienne. Pourquoi ce sujet ?

– Ce livre est le fruit de plus 10 ans de correspondance de presse en Ukraine. Le sujet oligarchique, la problématique oligarchique, ça fait partie de mes premières couvertures de presse, puisque mon premier article en tant que correspondant en Ukraine, c’était le 5 août 2011, le jour où Julia Timoshenko a été arrêtée. Et ensuite, elle a été condamnée à une peine de prison le 11 août. Je me rappelle très bien de ces dates puisque c’est vraiment là où ma carrière a commencé. Et déjà là, c’était une question de concurrence entre des groupes oligarchiques et l’héritage de la Révolution orange. Donc, ça m’a beaucoup marqué.

J’ai travaillé sur les groupes oligarchiques pendant de nombreuses années. Ça a été une constante de la vie publique ukrainienne, puisque c’est pas seulement la politique, c’est quelque chose qui influe beaucoup sur l’économie, sur la finance, sur les médias. Je me disais que il fallait vraiment présenter ce phénomène et une spécificité ukrainienne dans l’espace post-soviétique.

L’Ukraine est vraiment unique de part le volume et de part la pluralité et la concurrence de sa république oligarchique. C’était une clé de lecture très intéressante et très pertinente pour bien présenter l’Ukraine qui peut être un peu illisible de l’extérieur.

Pendant très longtemps, je pensais ça n’allait intéresser personne, mais après 2022, je me suis dit que c’était le moment de le faire.

– Il y a une semaine Andriy Portnov, homme de l’ombre, proche de président déchu Ianoukovytch, a été tué à Madrid. Comment tu situes cet assassinat par rapport à la « république oligarchique » dont tu parle dans ton ouvrage ?

– Portnov est une des petites mains de cette république oligarchique. C’est clairement une des personnalités qui a vendu ses services au plus offrant. Il a commencé avec Timochenko, ensuite il a beaucoup travaillé avec Ianoukovytch, on l’a vu revenir dans l’entourage de Zelensky entre 2019 et 2020… C’était quelqu’un qui a su s’adapter au changement politique et dans ce sens-là, il est très représentatif de cette République oligarchique.

En fait, ce que j’entends par la république oligarchique est évidemment pas un concept qui sera étranger aux lecteurs ukrainiens. C’est cette interpénétration quasi totale entre les groupes oligarchiques et les institutions d’État, entre l’exécutif, le législatif, le judiciaire et évidemment les médias, le 4e pouvoir. C’est né d’un pacte plus ou moins formel passé entre Léonid Koutchma et les oligarques, donc dans la seconde partie des années 1990, et qui ensuite a survécu au fil des élections et au fil des révolutions. Ce pacte consistait à attirer les jeunes entrepreneurs des années 1990, rapaces et brutaux, vers l’arène politique pour qu’ils contribuent à la vie publique du pays.

Au centre de cette cette république oligarchique on trouve la présidence. La figure du président sert de tour du contrôle et d’arbitre entre les différents oligarques. Les différents présidents ont joué un rôle d’arbitre à différents degrés. Koutchma était vraiment l’arbitre, Iouchtchenko beaucoup moins. Ianoukovych a tenté de former sa propre verticale de pouvoir. Porochenko a essayé de conserver le système oligarchique, mais d’être le premier des oligarques. Et Zelensky, c’est beaucoup d’amateurisme et beaucoup d’incompétence dans la manière dont il a essayé de gérer ce système.

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– Tu dis que le système ukrainien est unique par rapport à toutes les autres pays issus de l’URSS. Existent-ils des points de comparaison, toute proportion territoriale gardé, avec la Géorgie, par exemple ?

– Quand je dis que c’est un système unique, c’est en référence à la durabilité et au volume de la république d’Ukraine. Il s’agit des groupes de milliardaires, avec des grands actifs industriels et énergétiques. Ça différencie vraiment l’Ukraine de la Géorgie et de la Moldavie qui ont connu elles-mêmes un système de république oligarchique assez vivace, dynamique, concurrentiel, mais d’un volume et d’une ampleur bien moindre, et qui à un moment donné se sont faites monopoliser par un oligarque en particulier. Et ça c’est quelque chose qui n’est pas arrivé en Ukraine.

Il y a eu des tentatives en Ukraine, mais à chaque fois, il y a eu à la fois rébellion des oligarques et de la société civile. En Ukraine, ça s’est traduit par des élections et des révolutions, des changements qui ont empêché l’avènement de cette verticale du pouvoir. Alors qu’en Géorgie et en Moldavie, les deux républiques post-soviétiques qui peuvent vraiment se comparer à ça, on a vu s’installer Plahotniuc en Moldavie et Ivanishvili en Géorgie.

– Tu parles des oligarchies comme d’une force qui est indifférente à l’idéologie. Et le fameux slogan de Porochenko :« Langue, foi, armée » ? Est-ce le début d’une idéologie conservatrice modérée ? Est-ce qu’on arrive, petit-à-petit, au système de structuration politique ?

– Longtemps, l’Ukraine n’avait pas des parties idéologiques, à part l’extrême-droite (Svoboda, Natskorpus). De suite il est apparu Golos, comme un élan de libéraux réformateurs, la classe moyenne urbaine… Est-ce qu’on arrive à une structuration de l’oligarchie vers des positions politiques plus tranchées et des idéologies ? Je ne suis pas encore sûr. Et est-ce que le slogan de Porochenko était déjà une une idéologie ou seulement un plateforme électorale ? C’était d’abord et avant tout un projet politique, je pense.

Ce qu’on voit du reste des oligarques, c’est que ils sont très flexibles, très malléables et ils s’adaptent aux circonstances. J’ai encore l’impression que on a affaire à des entrepreneurs capitalistes qui cherchent à maximiser leur profit, leur pouvoir et leur influence par tout les moyens. Dans les années 1990-2000 c’était vraiment des moyens illégaux, ensuite il y a une quête de légitimité avec la politique, avec les médias, avec la charité aussi, avec les organisations caritatives… Mais de toutes les manières, la logique reste la même : c’est légitimer ses acquis, s’acheter une légitimité et maximiser son profit, son pouvoir et son influence.

Par exemple, Rinat Akhmetov. Il reste aujourd’hui l’homme le plus riche d’Ukraine, malgré le fait qu’il ait perdu énormément d’actifs depuis 2014 et surtout depuis 2022. Mais il reste dans le jeu, il soit déjà en train de se préparer pour les élections et il continue à avoir l’oreille du président. Quel que soit le président, il a toujours l’oreille du président, Akhmetov ! Ça montre à quel point il est plastique. Il peut s’adapter à tout.

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– Comment tu expliques qu’un autre oligarque puissant, Ihor Kolomoïsky, qui a beaucoup soutenu Zelensky pendant sa campagne électorale, se retrouve actuellement en prison ?

– Oui, c’est un peu l’arroseur arrosé ! Kolomoïsky, c’est exactement la même logique qu’Akhmetov, mais un style très particulier. Il n’a pas dépassé le stade du bandit des années 1990. Il n’a pas réussi à sortir de ce personnage de raid corporatif, de saisie de d’entreprise par la force et ainsi de suite. Il a pas du tout réussi à capter l’esprit du temps. Si lui a été mis en prison et pas les autres, c’est que entre 2022 et 2023 les autres oligarques ont compris que il fallait bien faire profil bas, essayer de contribuer à l’effort de guerre, être gentil, être aimable avec la présidence, puisque dans le contexte de la loi martiale tout passe par la présidence maintenant, beaucoup plus qu’auparavant. Et Igor Kolomoïsky, lui, a refusé. Il a même lancé des campagnes dans quelques-uns de ses médias.

Avec Zelensky, il y a eu cette alliance informelle qui a fait que les deux se sont servis l’un de l’autre. Volodymyr Zelensky s’est servi de l’empire médiatique d’Ihor Kolomoïsky. Ça lui a donné une très belle plateforme, ça lui a permis de mener une campagne qui était faite de non-promesses et de gagner. Ihor Kolomoïsky s’est servi, lui, de Volodymyr Zelensky pour lutter contre Petro Porochenko.

Dès les premier mois de la présidence de Volodymyr Zelensky, on voit que Ihor Kolomoïsky n’obtient pas ce qu’il veut, à savoir la re-privatisation de Privatbank. Il obtient quelques avantages, mais pas ce qu’il veut, et ensuite les relations se tendent très vite.

– Tu parles du composant mafieux dans le système oligarchique. Alors, comment il évolue, d’un président à l’autre ? Cet élément pèse moins, plus, pareil ?

– La logique reste la même. Les pratiques peuvent être , et on voit qu’elles sont différentes, parce que les temps changent ; parce les oligarques des années 1990, ils avaient 30 ans, maintenant ils en ont 60. Je cite plusieurs fois Mykhailo Minakov, il avait fait cette observation déjà au milieu des années 2000 : que les secrétaires des oligarques avaient changé. Au début, c’était des pin-up et déjà au milieu des années 2000, c’était des hommes et des femmes qui sortaient de business school et qui étaient très propres sur eux, très efficaces au travail… Il y a aussi quelque chose qui a changé dans le tempérament de ces hommes et dans leur cadre institutionnel.

Et donc, des pratiques de criminalité brutale et meurtrière comme ça a pu être le cas dans les années 1990, ça on le voit un peu moins, mais on continue de le voir, et l’assassinat de Portnov est un exemple. On ne sait pas qui a commandé l’assassinat. Mais en tout cas, ça pourrait tout à fait relever de ces affrontements entre groupes un peu mafieux.

Ce qu’il faut voir : tous les oligarques, que ce soit à travers le temps ou à travers l’espace, obéissent toujours à la même logique. Ce sont des entrepreneurs qui veulent maximiser leur profit, leur pouvoir et leur influence. Un groupe oligarchique possède un monopole, une économie de rente, s’investit en politique et dans les médias. L’élément qui les distingue les uns des autres, c’est l’écosystème qui est autour. Et ce sont les contre-pouvoirs.

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– Pourrons-nous dire que les oligarques ukrainiens évoluent vers le format à la Vincent Bolloré ou Bernard Arnault alors ?

– Les oligarques d’il y a une centaines d’années, à la Rockefeller et compagnie, ne sont pas comparables à l’oligarchie post-soviétique des années 1990-2000 et 2010, puisque l’oligarchie post-soviétique c’est faite dans un contexte unique de défondement de l’État, défondement de tous les contre-pouvoirs, et qui a permis l’expression de ce capitalisme sauvage.

Comment vont-ils évoluer ? Tout dépend de l’issue de la guerre. A la fin du livre, je propose plusieurs scénarios. Tout dépend du contexte de sortie de guerre vis-à-vis des réformes, vis-à-vis de la stabilité économique du pays, vis-à-vis de la perspective, d’investissements, de développement et de croissance du pays, et aussi vis-à-vis de la perspective d’intégration européenne.

Imaginons le scénario noir d’une défaite cruelle de l’Ukraine : l’Union européenne n’est pas au rendez-vous, il n’y a pas suffisamment d’investissement et ainsi de suite. Dans ce cas, on retombe dans un contexte chaotique qui s’apparente à celui des années 1990. Les oligarques n’auront aucune raison, aucune motivation pour se « civiliser ».

Alors que si jamais l’Ukraine sort la tête haute de ce conflit et que tout de suite c’est suivi par un plan Marshall et par l’intégration européenne, alors oui, les oligarques, ils mettront un costume cravate et ils feront les beaux dans les conférences internationales. Mais c’est encore trop tôt de le dire.

Ce qu’il faut aussi voir, c’est que on a des oligarques en Ukraine qui sont vieillissant et qui dans les 10-15 ans seront appelés à passer le flambeau à d’autres. Donc ça peut être la seconde génération d’oligarques : leurs enfants ou leurs proches. Et là, ce sont des personnes qui peuvent être plus policés de par leur éducation, parce qu’ils sont allés dans des écoles occidentales, parce que ils ont pas la même expérience de la rue et pas la même expérience du crime et autres. Mais ensuite, est-ce que ça va changer leur pratique ? On commence déjà à voir ces enfants, ces cousins, ses neveux d’oligarques qui sont en action en Ukraine, et ils sont pas forcément beaucoup plus civilisés que les autres.

Et puis le dernier élément, c’est qu’on a d’autres groupes qui émergent par rapport aux groupes que moi j’étudie dans le livre et qui ont marqué l’Ukraine. Ils émergent du secteur de la défense, du secteur de la contrebande, du secteur des nouvelles technologies… On sait pas encore comment est-ce qu’ils vont se positionner.

– Dans ton livre tu parles de trois catégories des oligarques : les « vieux », les « jeunes » et les « néo-féodaux ». Est-ce que tu peux détailler ce classement ?

– C’est une classification de Viktor Androusiv. Il voit l’oligarchie comme structurée à trois niveaux. Les « vieux » oligarques qui sont nés dans les années de 1990, qui avaient 30 ans et qui ont 60-70 maintenant. Les « vieux » ont été les grands oligarques post-soviétiques qui ont consolidé des monopoles industriels et qui ont façonné la politique et les médias. Les « jeunes » oligarques ont émergé ces dernières années, à la faveur de la loi martiale et à la faveur du contexte de guerre. Ils cherchent à se faire une place et sont des figures à regarder, parce que par leur âge, ils vont compter dans le futur de l’Ukraine. Et puis le troisième groupe que Androusiv décrit, ce sont les « néo-féodaux ». Et néo-féodaux, c’est vraiment au niveau régional. Ils se comportent comme des oligarques tout-puissants et sont vraiment rois chez eux, ils ont un monopole, mais dans des espaces assez restreints, comme des villes d’Odessa, de Lviv, mais ils n’ont pas de portée nationale.

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– Tu cites un autre classement, « la république de clans », avec les fameux clans de Dnipropetrovsk, de Donetsk, de Kyiv… Est-ce que cette approche est toujours valable ?

– Alors, la « république des clans », c’est une classification qui se base vraiment sur les années 1990 et sur le début des années 2000. Elle est basé sur ces trois grands clans : de Donetsk, de Dnipropetrovsk et de Kyiv§ et des petits clans régionaux : d’Odessa, de Lviv, de Kharkiv… Cette classification, elle est beaucoup moins valable aujourd’hui, puisque il n’y a plus cet élément territorial qui est aussi marqué auparavant. Le clan de Donetsk a quasiment disparu : il n’y a plus de Donetsk. Quand on pense maintenant au clan de Dnipropetrovsk, et c’est très révélateur, on pense à Privat groupe.

Les clans ont été progressivement remplacés ou en tout cas supplantés par l’émergence et la structuration des groupes oligarchiques. Qui là pour le coup transcendent à des notions de territoire, des notions géographiques ou des notions sectorielles. Les grands groupes comme par exemple SCM ont dépassé leur monopole industriel sur l’appareil de minier et métallurgique du Donbass, pour ensuite investir dans la banque, l’assurance, l’immobilier, l’énergie…

C’est une transition qui s’est opérée au cours des années 2000 et qui s’est maturée au cours des années 2010. Donc, la république des clans, on n’y est plus.

– Tu parles dans le livre du phénomène de démodernisation qui peut se manifester dans l’économie oligarchique. Comment ça se passe ?

– Quand on pense à république oligarchique, on pense à corruption, on pense à népotisme, on pense à économie de monopole qui décourage l’innovation. On pense à économie de rente. On voit que à quelques exceptions près que l’essentiel des oligarques n’a pas innové et n’a pas modernisé son appareil et productif. Par exemple, ce que ce que MetInvest a fait avec l’appareil productif du Donbass, c’est qu’il l’a juste maintenu de manière constante, avec quelques innovations par-ci par-là. Mais c’était principalement une activité d’extraction des ressources du Donbass, que ça soit les mines ou la métallurgie et ensuite d’exportation pour des profits rapides.

Interpipe de Pintchouk fait peut-être une exception. Mais regardons les activités de Privat groupe. Tout le monopole pétrolier ou les activités d’extraction de fer que ils pouvaient avoir, n’était que pour le profit rapide. C’était vraiment : on arrive, on prend, on n’investit pas du tout, on encaisse juste les profits pour ensuite aller les mettre dans des comptoirs. Cette dimension-là est très caractéristique de l’oligarchie post-soviétique. Un investissement de long terme demande de la patience, de la rigueur et une certaine prise de risque. Et les oligarques ukrainiens, c’est pas dans leur habitude.

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D’un autre côté, cette spécificité de la république oligarchique en Ukraine a empêché la consolidation d’une verticale de pouvoir et donc l’émergence d’un régime autoritaire. La concurrence entretenue entre des groupes oligarchiques a renforcé une culture de liberté d’expression dans les médias, une culture du débat, de la controverse, de l’investigation. La culture de l’investigation en Ukraine est vraiment poussée. C’est quelque chose que on ne voit pas dans tous les pays de l’ex-URSS.

Un dernier élément : cette république oligarchique, sur les environ deux décennies, s’est basée sur un consensus entre les groupes oligarchiques et les institutions d’État pour préserver la souveraineté du pays.

– Tu dois côtoyer souvent les entrepreneurs français qui travaillent en Ukraine. Comment ils se sentent, mis à part la guerre? C’est difficile pour eux ?

– Les entrepreneurs français qui sont en Ukraine sont très heureux d’y être. Ils trouvent que c’est très facile d’être en Ukraine. Ensuite, il y a des défis, comme dans tous les pays, notamment vis-à-vis de l’administration. Mais je n’ai pas rencontré d’entrepreneur français en Ukraine qui se plaignait. Le fait est que d’une part faire du business en Ukraine, c’est très simple, comparé à d’autres pays. D’autre part, le capital humain que l’on peut recruter sont très bien formés, professionnels… J’ai que des bons retours. Et troisièmement, il y a quand même une certaine protection de l’État des entrepreneurs étrangers et notamment des entrepreneurs européens, français, qu’on essaie d’attirer en Ukraine et donc qu’on ne va pas forcément traiter comme des entrepreneurs ukrainiens.

– D’après toi, quel était le rôle des oligarques dans deux révolutions ukrainiennes, en 2004 et 2014 ?

– Pour la Révolution orange, la société civile venait tout juste de se réveiller, elle venait tout juste de retrouver un semblant de confort matériel et une certaine assurance qui lui permettait de se mobiliser dans la rue. Ça a commencé en 2001 avec Ukraine sans Koutchma et ensuite ça s’est structuré et beaucoup exprimé pendant La révolution orange. Cette révolution était vraiment marquée par le phénomène oligarchique. Je souscris totalement à cette expression de révolte des millionnaires contre des milliardaires. Avec ces millionnaires notamment comme Porochenko qui cherchait à briser ce plafond de verre et eux-mêmes à s’insérer dans la république oligarchique. On peut dire que des entrepreneurs ont encadré la mobilisation de la société civile qui était réelle, et la mobilisation de la population qui était réelle aussi. Ils lui ont donné les moyens de s’exprimer : des moyens matériels, mais aussi médiatiques, et puis un soutien politique vraiment constant.

Qu’est-ce qui s’est passé 10 ans après ? La Révolution de la dignité, c’était vraiment une mobilisation citoyenne de masse d’une population qui non seulement avait mûri dans l’Ukraine indépendante. Il y avait une nouvelle génération d’Ukrainiens qui n’avaient pas connu l’URSS et qui était vraiment attaché à leur état et à la dignité de leur état. Ces gens désirait vraiment la modernisation et l’européanisation de leur pays, voulaient lutter contre la corruption. Et les oligarques qui étaient aussi en rébellion contre Viktor Ianoukovytch, eux se sont insérés dans ce mouvement. Ils le tout simplement accompagné, mais ils ne l’ont pas du tout encadré comme pendant la Révolution orange.

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Ça montre toute l’évolution de la société ukrainienne et toute la maturation de la population et plus globalement, de l’Ukraine en tant qu’état indépendant. Et puis ensuite, cette mobilisation, on l’a vu prendre d’autres formes à travers le mouvement de volontariat, le mouvement de bénévolat pour lutter contre la première phase de l’agression russe dans le Donbass. Cette mobilisation citoyenne ensuite a vraiment insisté pour des réformes structurelles, pour des transformations, qui s’est impliquée dans le processus de réforme dans les ministères, dans les forums citoyens et ainsi de suite. Ça nous amène à 2022 où on voit que ce n’est pas Volodymyr Zelensky qui a tenu le pays à bout de bras, ce ne sont pas les oligarques qui ont résisté face à la Russie, ce sont vraiment les Ukrainiens en tant que collectifs qui ont résisté pour la survie de leur état. Cette évolution est vraiment fascinante à observer.