Notre collègue, l’ancien rédacteur en chef Serhiy Demtchouk, sert actuellement dans l’armée ukrainienne. Dès qu’il peut, il nous raconte la vie des soldats sur la ligne de front.
Il fait nuit. Après quelques heures d’un long trajet, je reconnais enfin le hérisson antichar si familier et l’odeur salée de la mer. Une route défoncée nous mène dans une banlieue pavillonnaire. Anatoli nous accueille : c’est un homme mince aux cheveux gris et à la voix douce.
Anatoliy a accepté de nous héberger pendant quelques jours. Avec un grincement métallique, il ouvre le portail de fer pour laisser entrer notre voiture rouge. Il nous fait faire le tour du propriétaire en disant de ne pas enlever nos chaussures : c’est inutile, depuis trois ans personne n’y vit.
Cette maison, c’est celle d’Anatoliy et de sa belle-famille. Ils sont partis. Je vois une bouteille de gin vide dans la poubelle, des pantoufles roses d’enfant sur le seuil de la porte d’entrée. Sur les murs, des photos de famille : celle du fils d’Anatoli, de ses petits-enfants, et leurs dessins encadrés.
Notre hôte nous montre où se trouvent les toilettes, comment allumer la cuisinière à gaz et nous indique où se trouve le magasin le plus proche, puis il nous dit au revoir.
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Nous prenons nos quartiers. Je mets mon sac de couchage sur le canapé du salon, l’un de mes compagnons s’installe au grenier, l’autre par terre dans la chambre d’enfants. On ne sait pas pourquoi, mais il n’y a pas de lit dans cette chambre. On peut y voir des prix gagnés lors de concours de danse pour enfants.
De là où je me trouve, je remarque un trou dans la fenêtre, bouché par un film ou d’un ruban adhésif. Et aussi des marques d’éclat sur le mur, le toit et la clôture.
Nous dînons de viande, de fromage et de pain apporté par Anatoliy. Avant de m’endormir, je regarde un match de foot italien de Série A sur mon téléphone et je commence à somnoler. Je me réveille au son des cris du commentateur qui annonce un but. Je regarde le replay du but et je me rendors, mais pas tout à fait. Je dors d’un sommeil troublé et superficiel, comme si je dormais dans une salle d’attente de gare, mais bon, je ne me plains pas : c’est mieux que dans la rue.
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Le matin, je me dis que c’est une bonne maison : il y a un jardin avec une table, des bancs, un barbecue et une balançoire pour enfants. J’aimerais bien m’installer ici. Mais les propriétaires ne veulent pas nous la louer, ils ne peuvent que nous héberger gratuitement pour une courte durée, quelques jours tout au plus. Ils disent qu’ils voudraient vendre la maison, mais qui pourrait l’acheter en ces temps de guerre ?
Le lendemain, je trouve une note manuscrite d’Anatoliy : « Les gars, nous croyons en vous. Restez ensemble ».