Rafael Grossi à Kaliningrad : que se cache-t-il derrière ce déplacement ?

Économie
5 avril 2023, 12:48

Aujourd’hui, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), se déplace à nouveau pour discuter de l’occupation de la centrale nucléaire de Zaporijjia avec les autorités russes. Il se rend à Kaliningrad, pour discuter de la situation de la centrale nucléaire ukrainienne, saisie par les troupes russes et transformée d’une certaine manière en base militaire. 

La persistance avec laquelle Rafael Grossi, depuis des mois, cherche à négocier avec les envahisseurs, suscite toute une série de réactions et de questions. À l’automne dernier, M. Grossi a assuré au monde entier que la question de la démilitarisation de la plus grande centrale nucléaire d’Europe devrait être résolue littéralement du jour au lendemain. Par la suite, il affirmait que le problème était sur le point d’être résolu. Et ainsi de suite, la séquence s’est répétée plusieurs fois. 

Parfois, lorsque Grossi énonçait ses promesses optimistes, on avait l’impression que le directeur général de l’AIEA savait quelque chose que tout le monde ignorait. Souvent, il donnait l’impression d’un homme courageux qui, sans crainte et de son plein gré, se rend dans l’antre de l’agresseur.

Mais les promesses de Grossi n’ont jamais été tenues – ni en automne, ni en hiver. Et au printemps, pas plus tard que la semaine dernière, après une nouvelle visite à la centrale nucléaire de Zaporijjia, Grossi a admis que la situation dans la centrale s’était encore aggravée.

« Les opérations militaires se poursuivent », a-t-il déclaré à CNN. « En fait, elles s’intensifient. Il y a plus de troupes, plus de véhicules militaires, plus d’artillerie lourde, plus d’activités militaires autour de la centrale », a-t-il dit.

Il est significatif qu’il s’agisse de la deuxième visite de Grossi à la centrale nucléaire de Zaporijjia. Et pour la deuxième fois, le chef de l’AIEA est resté silencieux sur l’humiliation que lui faisait subir la Russie, en le forçant à parler à un soi-disant représentant du Rosatom russe, « l’expert nucléaire » Renat Karchaa.

Lors de sa première visite, Grossi avait été contraint d’écouter les inepties de cet « expert », qui affirmait que les obus effectuaient un virage à 180° avant de frapper la centrale, ce qui donnait l’impression qu’ils avaient été tirés depuis un territoire occupé par les Russes. Grossi a fait comme si de rien n’était.

Mais son humiliation ne s’est pas arrêtée là. En effet, les journalistes ont rapidement découvert qui était Renat Karchaa. Il s’est avéré que cet « expert nucléaire » était en réalité un spécialiste des primates d’une pouponnière de la ville géorgienne de Soukhoumi, occupée par la Russie. Il avait également un casier judiciaire.
 
Renat Karchaa a également rencontré Grossi lors de sa deuxième visite à la station la semaine dernière. Une fois de plus, Grossi a fait semblant de ne pas voir le niveau auquel les Russes l’abaissaient. Et maintenant, il s’est rendu en Russie pour discuter de la situation dans la centrale nucléaire saisie. Cependant, il ne s’est pas rendu à Moscou, ce qui indique une fois de plus que le niveau des réunions prévues pour Grossi n’est pas très élevé.

Entre-temps, le scepticisme monte en Ukraine quant aux activités de Rafael Grossi.
Le fait que la situation de la centrale se détériore ne date pas d’aujourd’hui. Kyiv tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois déjà.

Après la visite de M. Grossi à la centrale nucléaire de Zaporijjia la semaine dernière, Mykhailo Podolyak, conseiller du chef du cabinet présidentiel, a déclaré que les travaux de la mission de l’AIEA et la visite du directeur général de l’AIEA à la centrale nucléaire, occupée par la Russie, n’étaient que des déclarations sans fondement qui ne produisaient pas de résultats concrets dans la pratique.

Il convient de rappeler que le directeur général de l’AIEA et l’ensemble de l’organisation qu’il dirige ont été vivement critiqués au début de l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie. À l’époque, les Russes s’étaient emparés d’une autre centrale nucléaire ukrainienne, celle de Tchernobyl, tristement célèbre dans le monde entier. La partie ukrainienne a exigé une position claire de l’AIEA sur le caractère inadmissible de l’utilisation d’installations nucléaires dans des conflits militaires. De plus, pendant plusieurs mois, les Russes ont tiré à l’artillerie près d’une autre installation nucléaire ukrainienne, celle de Kharkiv. 

Pourtant, l’AIEA est restée silencieuse pendant des jours et des semaines. Jusqu’à ce que l’Ukraine libère la centrale nucléaire de Tchernobyl et éloigne les troupes russes de Kharkiv.

L’AIEA est restée silencieuse même lorsqu’elle était directement compétente. En particulier, elle n’a pas réagi aux protestations de l’Ukraine quant à la présence d’experts nucléaires du Rosatom russe sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, qui sont venus avec l’armée russe sans le consentement de l’Ukraine. Il convient également de mentionner que depuis de nombreux mois, l’Ukraine cherche à obtenir le retrait des représentants russes de l’AIEA ou, du moins, le retrait des Russes des postes clés au sein du secrétariat de cette organisation. En vain jusqu’à présent.

Pendant ce temps, alors que Rafael Grossi s’active sur la scène publique et communique avec les Russes au sujet de la centrale de Zaporijjia, l’Ukraine, avec l’aide de partenaires internationaux, a commencé à modéliser les risques d’accidents possibles dans la centrale.

« Avec l’aide de nos partenaires européens, nous modélisons les situations d’urgence et les accidents possibles à la centrale de Zaporijjia. En conséquence, nous analysons l’impact de ces événements sur l’environnement et la population. L’accident le plus grave est l’endommagement du cœur et la libération de produits radioactifs à l’extérieur de l’enceinte de confinement du réacteur », a déclaré la semaine dernière Oleh Korikov, chef de l’Inspection nationale de la réglementation nucléaire de l’Ukraine.

Selon lui, à la suite d’une telle émission de radiations dans l’atmosphère, les gens seraient obligés de quitter la zone d’habitation dans un rayon pouvant aller jusqu’à 40 km autour de la centrale. Et la zone de contamination serait transfrontalière.

« La probabilité qu’un tel événement se produise augmente considérablement », a ajouté M. Korikov.

Dans ce contexte, le voyage de Rafael Grossi à Kaliningrad, en Russie, ressemble plus à la démarche de communication, qu’à la recherche des solutions pour les problèmes posés par l’occupation russe de la centrale nucléaire de Zaporijjia.