Père de trois enfants, Petro Burban, 32 ans, a été tué dans le bombardement d’un entrepôt d’aide humanitaire, à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Auparavant il avait été engagé dans la défense territoriale. Voici son histoire.
En septembre de l’année dernière, Petro Burban, père de trois enfants, a été tué. Cela s’est produit lors de l’attaque aérienne russe sur Lviv, au cours de laquelle des entrepôts d’aide humanitaire de Caritas-Spes ont notamment été détruits. « Le souvenir de lui et le bien qu’il a fait ainsi que le soutien des gens et leur désir de réaliser les rêves de mon mari me permettent de continuer à vivre aujourd’hui et me donnent de la force », déclare sa femme Natalia.
« Il n’est pas allé au front, mais la guerre l’a tué… »
Dans les premiers mois de la guerre, il s’est porté volontaire pour rejoindre les forces armées. « J’étais très inquiète, je lui ai dit de réfléchir logiquement : tu as trois enfants, tu n’as jamais été dans l’armée », se souvient Natalia. Mais son Petro ne pouvait pas faire autrement. Il pensait que lorsqu’un ennemi arrivait et voulait détruire son pays et sa famille, il fallait prendre les armes pour se défendre.
Il a été affecté pour servir dans une unité militaire locale. L’argument était ses trois jeunes enfants. « Il était admis dans la défense territoriale. En même temps, il faisait du bénévolat : il cherchait des munitions pour nos défenseurs, transportait de la nourriture, de l’eau et des médicaments pour les soldats sur la ligne de front », raconte la femme.
« Je me souviens que lorsque la guerre a commencé, nous avons lu des rapports indiquant que les troupes russes marchaient sur Kyiv, nous avons vu des photos et des vidéos de ces colonnes de chars… Nous ne pouvions pas croire que cela se produisait aujourd’hui, au XXIe siècle. Et puis, quand les nouvelles sont arrivées de Boutcha, de Borodyanka, de la région de Chernihiv … C’était une horreur comme le monde n’en avait jamais vue. Et je me suis souvenue que mon grand-père, qui avait combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, avait été fait prisonnier de guerre par les Allemands, avait dû effectuer des travaux forcés, et qui disait : « Je n’ai jamais rencontré ailleurs des gens aussi cruels que les Russes. Même les Allemands nous traitaient mieux » ».
… Natalia se souvient en souriant de l’histoire de sa rencontre avec son futur mari. « Un jour, je suis arrivée dans une station de lavage de voitures et je ne savais pas comment m’y prendre avec tous ces tuyaux. Le gars qui travaillait là s’est porté volontaire pour m’aider à laver ma voiture. Cette rencontre a été déterminante ». L’amour, le mariage et le désir commun de fonder une famille. Natalia raconte : « Petro était un homme sur lequel on pouvait compter pour tout ».
Il était attentionné, travailleur et aimait beaucoup les enfants. Leur fille Vasylyna a aujourd’hui 8 ans, leurs fils Mykhailo et Ivan en ont 6 et 3. « Petro voulait que nous ayons un quatrième enfant. Nous venions tous deux de familles de quatre enfants… Nos enfants adoraient leur père. Il jouait avec eux, s’occupait d’eux et leur parlait de divers sujets. Aujourd’hui, les garçons demandent : « Maman, c’est quoi comme voiture, ou quelle marque de voiture ? » Leur papa s’y connaissait si bien, mais pas moi… Alors, je leur dit d’aller chercher sur Internet. Et ils le font ».
Petro a démissionné des forces armées et a trouvé un emploi d’agent de sécurité dans un entrepôt en septembre 2023. Son premier jour de travail lui a été fatal. Le pire jour de la vie de la famille…
La nuit où le raid aérien a commencé, il m’a appelée à 4 heures et m’a dit : « Natalia, cache-toi dans le couloir, parce que les chaheds arrivent. J’étais tellement épuisée… J’avais fait des conserves pour l’hiver jusqu’à minuit. J’ai dit : « Nous ne nous cacherons nulle part. Depuis le début de la guerre, il n’y a rien eu de tellement dangereux ». J’ai vu à sa voix qu’il était vexé, mais je suis allée me coucher, sans réussir à m’endormir. J’ai entendu des bruits de moto dans notre quartier. J’ai ouvert la fenêtre, il y avait un triangle au-dessus de la maison : voilà à quoi ressemblait un shahed.
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J’ai appelé mon mari : « Petro, je te le dis, les shaheds arrivent. J’entends les bruits des systèmes de défense aérienne – ils ne les ont pas abattus, puis de nouveaux bruits de tirs – ils ne les ont toujours pas abattus. Ils volent vers la ville ». Il m’a répondu : « Je les entends ». Et ce bruit qui se termine à l’extérieur de ma fenêtre se poursuit dans le téléphone. J’ai entendu le bruit du shahed et de l’explosion, et mon mari s’est mis à crier… La conversation a été coupée, mais la connexion téléphonique ne l’était pas. J’ai tout entendu… Le shahed a percé les murs épais de l’entrepôt, le plafond, et l’onde de choc a fait tomber le mur. Il y avait trois personnes sous ce mur : un homme, une femme et mon mari…
Il aurait pu se sauver. Plus tard, il s’est avéré qu’il n’avait pas de blessures, mais qu’il était mort par étouffement. Les deux personnes ont été libérées en 40 minutes, elles n’étaient pas blessées non plus. Mais Petro, les pompiers ne l’ont pas vu… Je l’ai retrouvé moi-même 5 heures plus tard… L’opérateur n’a pas transmis mes demandes aux services de secours. Ils enquêtent toujours pour savoir pourquoi. L’affaire pénale est toujours en cours. Il n’est pas allé au front, mais il est mort de la guerre. le premier jour de son travail. On ne peut pas influencer le destin d’une personne, on ne peut pas changer ce qui va lui arriver ».
« Même sous une menace permanente, on se sent chez nous »
Les enfants ne lui permettent pas de baisser les bras aujourd’hui, reconnaît Natalia. Elle ne peut compter que sur elle-même : elle n’a pas de parents sur place. La mère de Nataliia est décédée du COVID six mois avant la mort de Petro. Toute la famille de son mari se trouve en Allemagne. Ils l’ont invitée, elle et ses enfants, à aller vivre avec eux. Mais elle a refusé.
« Nous nous sentons bien ici. Même sous les roquettes, sous les menaces permanentes, on se sent chez soi. Pourquoi devrais-je quitter ma maison ? Je lis des nouvelles sur Kharkiv… Il y a des bombardements tous les jours. Mais les gens vivent, la ville vit et se reconstruit. Et nous sommes ici à Lviv, à l’arrière, pour ainsi dire.
Mais bien sûr, je m’inquiète beaucoup. Nous vivons dans le quartier de Sykhiv, et il y a des fusées qui volent au-dessus de nos têtes – si nous ne les voyons pas, nous les entendons toujours. Quand une fusée vole, toute la maison vibre. Je n’ai pas peur de la mort en tant que telle. J’ai peur que si je meurs, mes enfants restent seuls… »
Sa vie, dit Natalia, est remplie de foi et « d’espoir que toute cette horreur de la guerre sera bientôt terminée ». Et qu’il y aura un peu de confiance dans l’avenir, une possibilité d’élever les enfants. « Vasylyna a le caractère de sa mère. Elle est têtue, comme moi (rires). Je me mets en colère, parfois elle n’est pas sage du tout. Et puis je me souviens de ce que j’étais à son âge… Et les garçons sont comme leur père. Ivasyk, surtout, est bien le fils de son papa. Il sait ce qu’il veut. Il est très sociable. Mon mari était comme ça.
Mykhailo est très responsable : il est le premier à se réveiller la matin et réveille tous les autres. Les garçons vont à l’école maternelle et ma fille va à l’école primaire. Vasylyna aime dessiner, Mykhailo et Ivanko aiment les Lego, les voitures… Mon mari et moi rêvions d’aller au bord de la mer avec nos enfants. J’aimerais les y emmener, mais ce n’est pas encore réaliste ».
« Merci à toutes les familles qui ont ouvert leur cœur à notre peuple »
Grâce au soutien du projet ukraino-polonais « D’une famille à l’autre », Natalia a pu acheter à ses enfants les produits de première nécessité : vêtements, chaussures et nourriture. Elle a également utilisé cet argent pour rénover son appartement. « J’avais commencé cette rénovation avec mon mari. Petro voulait que nous rénovions notre maison. Aujourd’hui, j’essaie de réaliser son rêve – achever la rénovation. Même si ce n’est pas facile. Mais j’essaie, et je pose un peu les carreaux moi-même, en me rappelant comment Petro faisait… »
Natalia admet qu’elle est parfois si fatiguée qu’elle a envie de « mourir… pendant une journée, pour faire une pause », bien qu’elle se sens soutenue par de nombreuses personnes. « Des amis de mon mari. Je ne savais pas combien d’amis mon mari avait jusqu’à sa mort… C’était un homme simple, il n’était pas un officiel, pas une star. Ce n’est qu’après les funérailles que j’ai réalisé qu’il était précieux non seulement pour moi, mais aussi pour beaucoup d’autres ».
Lorsqu’on lui demande quel est son plus grand rêve, Natalia répond : une Ukraine libre. « Je n’avais jamais pensé à l’importance de ce rêve auparavant. Parce que toutes les petites choses de la vie peuvent être résolues… Si vous n’avez pas de vêtements, votre voisin vous aidera, si vous n’avez rien à manger, il vous prêtera du pain. Mais sans liberté, sans État, nos enfants n’auront pas d’avenir. Et on ne le comprend pas tant qu’on ne se trouve pas dans la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui tout notre peuple », confie la femme.
« Nous avons vécu 30 ans dans une Ukraine indépendante sans nous rendre compte de l’importance d’être maître chez soi. Nous sommes travailleurs, nous pouvons tout faire. Nous reconstruirons tout. Mais si nous ne parvenons pas à vaincre l’ennemi sur le champ de bataille, ce problème sera laissé à nos enfants. Nos héros sont enterrés sur le champ de Mars à Lviv. Nous y allions souvent avec nos enfants lorsque mon mari était en vie. Aujourd’hui, j’y vais seule avec mes enfants. Les enfants doivent comprendre le prix de notre liberté ».