Il y a quelques jours, l’Ukraine a pu faire revenir 95 prisonniers. Parmi eux il y avait essentiellement des militaires. Une journaliste, Viktoria Roshchyna, était aussi prévue dans cette échange, mais elle n’est jamais revenue chez elle. Moscou l’a tuée, on ne sait pas encore comment.
« Les gens comme toi m’inspirent ! J’ai vu des journalistes qui travaillent comme des machines, sans y mettre du cœur. Leurs yeux ne brillent pas », m’a écrit Vika en août 2017, alors qu’elle venait de commencer à travailler à la rédaction de Slidstvo.Infos (Média de journalisme d’investigation ukrainien, très réputé –ndlr). Elle était venue faire un stage ou pour travailler – elle-même ne savait pas encore à quoi s’attendre au service Investigations. Dès les premières minutes de notre rencontre, elle s’est mise à m’interroger sur ce qui m’avait amené dans ce domaine et depuis combien de temps j’y travaillais.
Et le 10 octobre, comme le monde entier, j’ai appris que la journaliste ukrainienne Vika Roshchyna a trouvé la mort dans une colonie pénitentiaire russe. Cette Victoria, qui sept ans auparavant, se cherchait encore professionnellement, me demandant : « Que penses-tu de ce média ? », « Et de cette journaliste ? », « Rappelle-moi le nom de la fille qui est en charge du planning de tournage » ?
Elle avait trouvé sa place, là où il n’y avait personne, où aucun journaliste n’oserait mettre le pied, compte tenu des risques. Aucun. Sauf Vika.
Vika s’est intéressée et a fait ses premiers pas dans le journalisme à l’âge de 16 ans, a travaillé pour Hromadske radio, puis a publié dans Ukrainiska pravda (Vérité ukrainienne) et Radio Liberty. En 2022, elle a eu le prix de la Fondation internationale des femmes dans les médias « Pour le courage dans le journalisme ». Les collègues se souviennent de la façon dont Vika travaillait, en s’impliquant pleinement et en étant constamment en quête de la vérité.
Victoria Roschyna a été portée disparue en août 2023 dans les territoires temporairement occupés. Et ce n’est qu’en mai 2024 que les Russes ont confirmé que la journaliste était en détention. Son père a été le premier à apprendre la mort de Victoria. Selon le ministère de la Défense de la Fédération de Russie, elle est décédée le 19 septembre. Et le 10 octobre, le côté ukrainien l’a confirmé, à savoir le représentant du QG de coordination pour le traitement des prisonniers de guerre Petro Yatsenko et le Commissaire aux droits de l’homme de la Verkhovna Rada Dmytro Lubinets. La cause et les circonstances de la mort sont inconnues pour l’instant.
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« Vika ne pouvait pas mourir de mort naturelle. Vika a été tuée par le pénitencier russe. Tous ceux qui ont travaillé au moins une fois avec toi, Vika, se rappelaient comment tu te précipitais pour couvrir soit des audiences au tribunal, soit des rassemblements protestataires, soit l’assaut d’Ukrposhta (La Poste d’Ukraine – ndrl) à Kharkiv le soir du Nouvel An. Chacun a un souvenir sur le fait qu’on vient au journal le matin, et tu es là, parce que tu n’étais pas partie la veille, ta journée d’hier continue. Pour toi, il n’y a eu rien de plus captivant et d’important que le journalisme », a écrit Angelina Karyakina, journaliste de la TV ukrainienne Suspilne.
Selon Andriy Yusov, porte-parole des Services de renseignement ukrainien, Vika Roschyna était sur la liste des prisonniers de guerre prévus pour les prochains échanges de captifs des deux côtés. « Très prochainement, elle devait rentrer en Ukraine, chez elle, tout a été fait pour y aboutir », selon Andriy Yusov.
« Allez, je t’apporte un autre café au lait matinal, parce que tu ne te serais pas encore couchée, parce que tu étais en train d’écrire ton papier et que tu es en retard pour la conférence de la rédac’ … », écrit son ancienne collègue Olexandra Chernova.
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La mort de Victoria Roshchyna dans une geôle russe est une preuve tragique de plus de la violation des normes du droit international humanitaire, en particulier de la protection des civils lors des conflits armés. Vika, comme beaucoup d’autres Ukrainiens emprisonnés illégalement – dont le nombre exact nous est inconnu – n’aurait pas dû se retrouver en captivité russe.
Selon l’Institut de mass-média (IMI), Victoria faisait partie des 30 journalistes ukrainiens illégalement détenus en Russie ou dans les régions occupées. Depuis, il reste 29 journalistes emprisonnés par les Russes. Ils sont tous des otages civils. Ils ont été capturés, enlevés, transportés d’un endroit à un autre de force, sans procès, sans preuve de leur faute. Ce sont des crimes commis par la Russie.
Le Parquet ukrainien a ouvert une enquête pénale sur la disparition de Victoria Roshchyna. Une autre procédure qualifie les faits comme un crime de guerre associé à d’un meurtre prémédité.
Conformément à la quatrième Convention de Genève, la déportation de population, la détention arbitraire et le mauvais traitement infligé aux civils constituent de graves violations du droit international humanitaire et peuvent précisément être considérés comme des crimes de guerre. Les journalistes, selon le droit international, ont le statut de civils et ne peuvent faire l’objet d’hostilités ou de détention illégale.
L’IMI rapporte que la Russie pratique la torture et le traitement inhumain des journalistes capturés et refuse un accès aux soins médicaux pour eux.
C’est également une violation des articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui qualifient de tels actes de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. A la date du 24 juin 2024, la Russie avait commis 602 crimes contre des journalistes et des médias en Ukraine, selon le Rapport du suivi de l’Institut de mass-média. Il ne s’agit absolument pas d’une coïncidence. Comme en témoignent des anciens soldats, lors de l’occupation, des journalistes locaux figuraient entre autres sur des listes des Russes pour le « nettoyage ».
… Mais bien entendu, l’affaire ne se limite pas aux seuls journalistes. La partie russe fait preuve d’une cruauté sans limites, recourant à des abus envers des personnes qui se retrouvent entre leurs mains, quel que soient leur profession ou leur statut. Nous le savons, puisque nous préparons une étude sur la question des otages civils. Une étude dure. Longue. Émotionnellement insupportable.
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Les prisonniers de guerre sont soumis à la torture, aux violences sexuelles, aux abus physiques et psychologiques et à la famine. Nous le savons parce que le bureau ukrainien d’Amnesty International explore actuellement la question et veut attirer l’attention de la communauté internationale sur la violation des droits de nos prisonniers de guerre.
Une seule lueur : certains rentrent en Ukraine. Mais quand ils parlent de leur captivité, ce sont des témoignages à glacer le sang. Des témoignages des militaires. Et des civils, des chercheurs, des enseignants, des médecins. Tous ceux qui ont eu la chance de survivre. Ceux qui ont pu être échangés.
Vika devait rentrer en Ukraine il y a quelques jours. Elle est morte avant. La communauté internationale devrait se poser une question évidente : quelles ont été les conditions de détention pour qu’une jeune femme de 27 ans, en bonne santé et active auparavant, meure lors son transfert, après une année de captivité ? On sait qu’en captivité russe, Viktoriya Roshchyna avait déjà entamé une grève de la faim – pour protester contre les conditions inhumaines dans lesquelles elle se trouvait incarcérée.
Ce drame revêt une importance mondiale et nécessite une réponse urgente de la communauté internationale. Toutes les mesures doivent être prises pour mettre fin à ces atrocités et amener les bourreaux devant la justice. La Russie ne se contente pas de violer les normes internationales, elle porte atteinte à l’essentiel même de l’humanité.