Serhiy Demtchouk ex-rédacteur en chef du journal Tyzhden

La permission d’un soldat : quelques jours à Lviv

Guerre
3 octobre 2024, 18:28

Notre collègue, l’ancien rédacteur en chef Serhiy Demtchouk, sert actuellement dans l’armée ukrainienne. Il raconte dans ce texte ses quelques jours de repos à Lviv.

Lorsque j’étais en permission avec ma compagne, un ami nous a prêté son appartement à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. L’appartement se trouvait tout près de l’église des Saints Apôtres Pierre et Paul et du célèbre cimetière Lytchakiv, le cimetière historique de Lviv. Quelle chance ! Ce sont ces monuments que je voulais visiter à Lviv.

Sur le chemin du cimetière, je commençais pourtant à douter. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée de m’y rendre. Mais bon, me voilà sur place.

Dès les premiers instants, l’entrée du cimetière m’étonne : elle ne ressemble pas à ce à quoi je m’attendais. Il se trouve que je me suis trompé d’entrée et que je suis dans la partie du cimetière qui s’appelle le Champ de Mars. On y trouve les tombes de militaires ukrainiens. Autour de moi, il y a des drapeaux, des photos de soldats. Des soldats qui avaient vingt ans, des soldats qui avaient cinquante ans, des soldats très différents les uns des autres. On y voit des mères en deuil près des tombes de leurs enfants, des veuves qui s’affairent. Un garçon de six ans pleure sur la tombe de son père.

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Enfin arrivé dans la partie historique du cimetière, j’ai broyé du noir. Ayant pris ma permission pour m’échapper du front le temps d’un week-end, ce n’était pas cela que je voulais voir. Je me suis rendu au musée national pour voir « 500 sculptures et reliefs » de grande valeur historique et artistique, mais j’ai été confronté à la vraie vie, à ses facettes les plus noires : à la douleur, à la perte, aux larmes.

Puis l’autre jour, mon épouse et moi sommes allés prendre un verre au centre-ville de Lviv. Il y avait foule : tout autour de nous, des jeunes, des vieux, des locaux, des touristes, des militaires, des civils, des Ukrainiens et des étrangers. Et tout ce monde se promenait, écoutait le guide, s’attablait en terrasse, faisait la queue à l’entrée du musée.

Je n’ai jamais jugé personne pour cela. Je crois même que c’est ainsi que doivent être les choses. Par ailleurs, je crois que ça a toujours été comme ça, quelle que soit la guerre ou la période historique. Même si les autorités voulaient imposer des restrictions aux loisirs, cette célébration de la vie existerait toujours, mais en cachette : pourquoi faire ? Il n’y a pas si longtemps que ça, moi-même j’étais un civil – j’allais travailler, j’assistais aux soirées de poésie et j’allais voir des expositions, je voyais mes amis.

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Je n’écris pas cela pour dire que « l’armée se bat pour que d’autres vivent en paix et fassent la fête ». Non. Je veux juste dire que la vie est ainsi. Notre vie. Elle est toute en contrastes : festive et endeuillée, colorée et noire, bigarrée. Nous n’avons qu’à l’accepter.

Ah oui, à propos de l’église que je voulais visiter aussi : j’y suis allé pour demander si nous pouvions nous y marier, mais elle était fermée. Nous nous sommes mariés quand même.