Les femmes ukrainiennes dans la guerre des sexes. La naissance et l’essor du féminisme dans la littérature ukrainienne

Histoire
20 octobre 2022, 09:35

Preuve est faite aujourd’hui que ceux qui considèrent la modification des rapports de genre comme la révolution la plus importante (et inattendue) du XXe siècle ont raison. Bien que la société patriarcale elle-même ait permis toujours davantage aux écrivaines et aux artistes exceptionnelles et talentueuses par rapport aux femmes ordinaires, ce n’est qu’après la Révolution française que la question de l’égalité des droits à été posée. La composante émancipatrice des droits de l’homme a incité le « sexe faible » à revendiquer une place dans l’espace public. Olympe de Gouges et Mary Wollstonecraft sont devenues les porte-paroles des femmes qui portaient ces nouvelles idées.

Tandis que John Stuart Mill écrivait l’ouvrage « De l’assujettissement des femmes » et adressait au Parlement britannique une pétition sur la nécessité de changer leur statut, George Sand, célèbre romancière qui s’est autorisée à transgresser maintes prescriptions traditionnelles, a probablement joué le rôle le plus important. Elle gagnait sa vie, se permettait de porter des vêtements d’homme, plus confortables, préférant les pantalons aux jupes et s’exhibait ainsi. Cela irritait déjà les libéraux de l’époque ! Le fantôme du « georgesandisme » errait en Europe, provoquant, inspirant, affolant et alarmant les gens, tout en les attirant.

« Importation » ou authenticité

Maria Markovych était destinée à devenir la George Sand ukrainienne. À l’instar de l’écrivaine française, elle choisissait un pseudonyme masculin et se faisait connaître sous le nom de Marko Vovchok, tout en défendant la liberté des femmes. C’est elle du reste qui a traduit pour la première fois dans l’Empire russe le célèbre ouvrage de Stuart Mill.

La révolution industrielle au milieu du XIXe siècle avait provoqué la fuite en masse des femmes hors de leur foyer, en raison du besoin de main-d’œuvre dans les usines de tissage; moins bien payées que les hommes, elles se mobilisèrent pour leurs droits économiques d’abord, puis électoraux. Nos féministes d’aujourd’hui sont parfois accusées d’avoir importé d’Occident les idées émancipatrices alors inconnues et inutiles pour notre Ukraine florissante. C’est montrer l’ignorance des fervents admirateurs de l’ordre patriarcal. Les femmes ukrainiennes ont obtenu le droit de vote bien avant les citadines de nombreux pays occidentaux. Il est à noter que les premières grandes organisations féminines sont apparues au début des années 80 du XIXe siècle. À l’époque soviétique, la conscience en a été soigneusement étouffée; le « deuxième sexe » a été si minutieusement et obstinément exclu de l’action politique que certains croient encore que l’histoire n’a été faite que par les hommes.

Les galiciennes [ressortissantes de la Galicie, région dans l’ouest de l’Ukraine – ndlr], sont alors les plus actives : en 1884, la Société des femmes ruthènes est fondée à Stanislav (aujourd’hui, Ivano-Frankivsk). L’écrivaine et militante Nataliya Kobrynska en est la coordinatrice. La question des droits des femmes, en constante évolution, fait son apparition dans de nombreux documents politiques, dans les programmes des partis et dans les mouvements, en particulier de gauche, socialistes.

Le leader politique de Galicie, un des plus grands poètes ukrainiens Ivan Franko, avoue une grande estime pour les activités de Kobrynska et de ses alliées. Dans son article « Des dernières décennies du XIXe siècle », il souligne : « En Galicie, Nataliya Kobrynska est au premier plan. Elle se donne pour objectif de secouer notre communauté féminine, elle travaille dans le domaine de la fiction, mais elle est aussi éditrice et pionnière dans le mouvement des femmes de notre pays; elle forme des organisations de femmes, elle fait campagne pour le dépôt de pétitions en faveur de l’éducation et des droits des femmes, impose le dialogue avec les femmes d’autres nations, des Allemandes et des Tchèques. En un mot, elle s’efforce d’attirer nos femmes dans la sphère des idées et des intérêts des femmes européennes avancées. »

Telle est l’origine de l’européanisme et du libéralisme ukrainiens; elle mérite le respect, en justifie l’étude, le développement et le progrès de son histoire.

L’émancipation par la parole

Aux XVIIIe et XIXe siècles, la profession la plus accessible pour une femme instruite était l’exercice de l’écriture. Il pouvait assurer une certaine indépendance économique et en même temps n’exigeait pas de se montrer « en société », ou du moins pas quotidiennement. Dans certaines conditions favorables, le salon familial pouvait devenir un bureau confortable pour la maîtresse de maison; mais seulement lorsqu’une telle activité « déviante » était tolérée par la famille. De nombreuses écrivaines mondialement reconnues ont subi des critiques, accusées de perdre leur temps au lieu de se consacrer à des activités domestiques, telles que coudre, laver et nettoyer. Jane Austen, par exemple, qui écrivait dans le salon, gardait toujours à portée de main une feuille de papier blanc, afin d’avoir, en cas de visite, le moyen de cacher aux regards indiscrets son occupation pécheresse. Olga Kobylyanska cachait ses cahiers dans des tiroirs secrets, craignant la colère et la punition de son père.

Ce n’est donc pas un hasard si parmi les projets d’émancipation les plus réussis se trouvait un projet littéraire. En 1887, grâce aux efforts de Nataliya Kobrynska et d’Olena Ptchilka, le recueil « La première couronne » fut publié à Lviv. Son contenu permet aujourd’hui de comprendre les œuvres littéraires classiques et les règles artistiques de l’époque. Dans les pages du recueil, les femmes osaient enfin parler de leurs difficultés. Cela demandait un courage inouï. Il semble que les auteures elles-mêmes aient eu un peu peur de leur affranchissement, alors elles ont eu recours à des astuces un peu risibles pour préserver leur pudeur. Le poème d’Olena Ptchilka qui ouvre la publication, rétrécit le cercle de ses destinataires : « Notre œuvre ne mérite pas votre attention, artistes illustres ! » Nous écrivons pour nos sœurs, « pour les âmes timides et douces ».

Qui sait quelles peurs ont dicté ces lignes! Et cependant elles n’ont pas évité les critiques qui ont jailli immédiatement, et ce, venu de leur environnement proche. Mykhailo Drahomanov (grand historien et philosophe ukrainien du XIX siècle – ndlr) écrivit à sa sœur, Olena Ptchilka, que son histoire « Camarades » était « fausse », inspirée non pas par la vie, mais par un fantasme d’auteur. N’y a-t-il pas de l’ironie dans cette vision masculine des « artistes illustres » qui dominait? De nos jours, le rôle d’Ivan Franko dans l’édition de « La première couronne » est volontiers mis en avant; ce rôle est bien moindre en réalité. Ce n’est pas nouveau: alléguer une tutelle masculine de la part des femmes qui souhaitaient obtenir position et succès, a longtemps été considéré comme de bon ton, car comment le sexe « faible » pourrait-il s’en sortir sans l’aide du « plus fort »…

Dans le même temps, Olena Ptchilka, dans ses Mémoires, s’est plaint de l’intolérance de Franko ou, pour le dire plus simplement, d’une censure et d’une ingérence insupportables dans l’édition du recueil, et jusque dans son contenu. « Le fait est que bien que toute l’écriture et la révision des manuscrits de « La première couronne » aient été gérées par des femmes, un homme, Ivan Franko, s’est impliqué dans la partie technique de l’édition. On sait qu’à chaque publication, outre la partie littéraire, beaucoup de travail est nécessaire, en lien avec l’impression elle-même, – relations avec l’imprimeur, les libraires, la censure, etc. Dans ces mêmes Mémoires une autre auteure de l’oeuvre, Nataliya Kobrynska, a confié que Franko s’était engagé à apporter son aide pour tous ces problèmes « purement techniques », gracieusement. Nous devrons donc payer avec notre gratitude, a ajouté la rédactrice.

Ainsi – soit en passant par l’éditeur, soit par la correction ou par un autre moyen – Franko connaissait les œuvres qui allaient être imprimées. “Par conséquent, il a conseillé de supprimer l’un des essais, de la plume d’Olga Kobylyanska, parce que cet écrit lui semblait défectueux ou médiocre. Et alors, regrette Kobrynska, « La première couronne » n’a pas eu l’honneur de publier la première œuvre de l’écrivaine, devenue plus tard une si célèbre sommité de la littérature ukrainienne ! C’est ainsi que le destin a décidé de rémunérer notre seul soutien masculin… » Ces lignes reflètent les échos de la «guerre des sexes» et de la lutte pour la défense des valeurs, devenue l’une des caractéristiques du modernisme européen. Les nombreux textes du recueil développent la thématique de la sororité et de la nécessaire union des femmes pour défendre leurs droits et leurs libertés.

Les « camarades » du programme

Les principaux textes de « La première couronne  » sont le roman d’Olena Ptchilka « Camarades » et la nouvelle de Natalia Kobrynska « Mme Shuminska ». Ce sont des histoires de jeunes filles qui ont quitté le foyer familial édifié par leur mère. Ces récits décrivent des perspectives très dissemblables selon le point de vue des différentes générations, les aînés ou les plus jeunes. Pour Mme Shuminska, qui n’est plus très jeune, le souci du confort du foyer donne sens à toute sa vie : « C’était sa maison, tout son monde. Elle n’imaginait pas d’autre espace, pas plus loin que derrière ses fenêtres, sa pensée ne quittait pas ces murs. Toute sa vie y était enfermée, elle ne voulait rien de plus que ce qui était inclus dans cet espace. Cette maison, si calme d’apparence, était tout son bonheur, elle lui suffisait en tout. »

Cependant, un nouveau « zeitgeist » (l’esprit du temps), incompréhensible pour elle, arrive (c’était aussi le nom de la version ultérieure de cette nouvelle de Kobrynska). Le temps est venu où « les fils se soulèvent contre leurs pères, et les filles contre leurs mères ». La modernité de cet esprit du temps est difficile à mesurer! Après tout, le conflit des générations dans la culture patriarcale a traditionnellement et invariablement été celui entre pères et fils. Était-ce simplement l’exclusion des femmes du processus historique ? Ou bien, fallait-il se convaincre que les filles ne se rebellent pas, mais veillent toujours comme de pauvres « protectrices » sur la tradition et l’ordre domestique éternel ? L’héritage de la filiation féminine est devenu extrêmement important dans le tournant des XIXe et XXe siècles, et Nataliya Kobrynska a saisi ces changements avec sensibilité.

Fondatrice du féminisme ukrainien. En 1884, l’écrivaine et militante Nataliya Kobrynska crée la « Société des femmes ruthènes » à Stanislav, la première organisation de femmes sur le territoire ukrainien.

Pour la pieuse Mme Shuminska, la vie conjugale est une affaire de patience et de soumission. Bien qu’elle n’ait connu que le mépris pour son sort, la rébellion contre le destin féminin traditionnel manifestée par ses filles et sa petite-fille, surgit comme une véritable fin du monde. Le « zeitgeist » menaçant et omniprésent, est perçu par elle comme destructeur de la « maison-forteresse » patriarcale; les objets eux-mêmes se rebellent. Cette insurrection des objets transforme le monde domestique, harmonieux pendant des siècles, en un chaos terrifiant; ce risque de la ruine menace d’enterrer tout ce qu’il y a de plus précieux sous ses décombres; elle prive de sens les problèmes quotidiens d’autrefois.

« J’ai vu une main invisible transporter la vaisselle, du garde-manger à la salle, et de la salle au garde-manger; tout se déplaçait, du sol à la cave, les lits et les tables bougeaient, les fauteuils étaient empilés, formant une pyramide, les tableaux sortaient de leurs cadres, et les ressorts de la vieille horloge eux-mêmes cédaient; ils s’envolaient, les roues et les petites chaînes s’enflammaient et roulaient de tous côtés. »

« Et voici qu’apparaît une véritable apocalypse, une rupture temporelle, la fin de la hiérarchie des valeurs et du sacré! La déraison creuse un abime entre la fille et la mère. Chaque « innovation » introduite par la fille, chaque chaise mal placée, chaque nouveau geste ou nouveau livre irrite et met en colère la mère. »

L’ancienne gardienne du foyer désigne les livres comme extrêmement dangereux; d’eux émane un tel risque, ils insinuent des choses si démoniaques que parfois elle les arrache des mains et les déchire en petits morceaux (des épisodes similaires apparaissent dans « La princesse » d’Olga Kobylyanska; la tante de l’héroïne, qui s’est émancipée, est outrée par la passion pécheresse qu’elle manifeste pour les livres; elle déchire les cahiers, qui s’envolent).

La grand-mère s’efforce de « déculpabiliser » sa petite-fille orpheline, tandis que celle-ci, poussée par le diable qui lui chuchote ses recommandations, aspire à l’éducation et au droit de gagner sa vie… Et l’héroïne de Kobrynska, épuisée par tous ces tracas se plaint amèrement d’avoir donné naissance à des filles plutôt qu’à des fils, car « depuis des siècles, il est connu qu’un fils fait plus d’honneur à une mère qu’une fille ».

Ces changements loin d’être désastreux aux yeux des filles sont bien plutôt porteurs d’espoir. Plus précisément à la fin du XIXe siècle, les femmes revendiquent de plus en plus activement le droit à l’éducation et à l’épanouissement professionnel. Comme l’a formulé l’héroïne d’Olga Kobylyanska, les femmes ne veulent plus languir dans l’oubli et croupir dans l’immobilité. Elles aspirent à des horizons plus larges, et convoitent un travail qui leur assurera l’indépendance matérielle. A l’époque, les internats féminins préparent surtout à des carrières de gouvernantes. Olga Drahomanova (qui écrivait sous le pseudonyme d’Olena Ptchilka – ndlr) est d’ailleurs diplômée de l’un d’eux, la pension Nelgovska de Kyiv, un internat qui se démarquait des autres car il enseignait la littérature, l’histoire et la géographie, ainsi que deux langues occidentales, de sorte que les futures diplômées pouvaient rêver ensuite d’un métier plus intéressant que l’enseignement dans une famille aisée. (à noter que pour payer les études de sa sœur, l’historien ukrainien Mykhailo Drahomanov a donné des conférences gratuites dans la pension Nelgovska).

A la génération suivante, les filles d’Olga (Olena) eurent accès à l’enseignement supérieur. Des lycées pour filles, un réseau de cours pour les femmes (dits Bestuzhev) ont fait leur apparition. Son roman « Camarades », inclus dans « La première couronne », n’est pas basé sur l’expérience de l’auteur lorsqu’elle était étudiante, mais sur les impressions de Kobrynska qui a étudié à l’Université de Zurich.

Pour l’ukrainophile Olena Ptchilka, la question primordiale fut de pouvoir impliquer les femmes dans les activités sociales et civiques. Dans son récit, l’écrivaine met en situation deux personnages féminins qui, grâce à leur travail assidu, acquièrent une formation pour exercer la profession médicale; elle exprime une préférence marquée pour Lyuba Kalinovska, qui revient en Ukraine et ne rechigne pas à dialoguer avec les paysans, s’intéressant à l’ethnographie. Contrairement à celle-ci, son amie se rend dans la ville impériale de Pétersbourg et perd progressivement son identité ukrainienne.

Une épée à double tranchant. Dans ses activités littéraires et sociales, Olena Ptchilka a cherché à combiner la cause de la libération nationale et celle de l’émancipation des femmes.

Au tournant du siècle, le problème de l’identité et l’évolution vers un environnement culturel impérial ont suscité des discussions très vives. Une double fidélité n’est plus tolérée; l’ukrainophilie quitte l’arène du débat historique et cède la place au mouvement pro-ukrainien moderne. Il est intéressant de noter que le moment où Lyuba Kalinovska s’affirme en tant que médecin est aussi celui d’une confrontation avec les a priori patriarcaux. Une femme devenue médecin se heurte à de nombreux préjugés, la démarche elle-même de « se promener sans savoir où et pourquoi, de faire des études pour devenir médecin » semble suspecte.

Mais lorsque Kalinovska sauve la femme qui vient d’accoucher alors qu’elle était jusqu’alors mal soignée par un guérisseur incompétent, l’attitude envers elle change. (Un conflit similaire sera décrit plus tard par un écrivain ukrainien Volodymyr Vynnychenko dans le roman « Petite demoiselle ». Il oppose une jeune femme médecin à une foule en colère: comment est-il possible d’utiliser les forceps sur un nouveau-né? Éperdue, elle « se jette contre la horde des femmes qui se dressent comme un mur, et, prenant son élan, frappe de toutes ses forces une femme au visage, puis une deuxième, une troisième, elle attrape leurs mains et les repousse avec une telle fureur que tante Katria se raidit et tombe presque ». Les menaçant de prison et de châtiments, la « demoiselle » chasse la foule terrifiée et, dans la maison désormais fermée et dont les fenêtres grincent sous la pression des guérisseuses indignées, elle achève l’accouchement et prenant l’enfant secouru dans ses bras, le lève, tandis que celui-ci célèbre sa venue au monde par un grand cri). Olena Ptchilka, contrairement à Vinnichenko, met plutôt l’accent sur la solidarité féminine: certaines paysannes prêtent main-forte à la doctoresse avec respect.

En 1887, année de publication de l’oeuvre, le sujet des «Camarades» est si novateur, il paraît si insensé, qu’Olena Ptchilka juge nécessaire de le préfacer pour soumettre aux lecteurs son projet. « Je voulais, écrit-elle, montrer dans « La première couronne » une représentation du premier élan de notre féminisme à sa naissance, l’envol vers l’émancipation, vers la lumière, réveillant un désir d’apprendre, de savoir, et cherchant l’affranchissement, la libération de la pensée par la science. »

Casser les vitres

Si la pratique médicale est alors exceptionnelle, l’enseignement devient beaucoup plus fréquemment une profession féminine. Plusieurs auteures de « La première couronne » gagnaient leur vie en travaillant dans des établissements scolaires. Parmi elles, la célèbre poètesse Ulyana Kravchenko, chargée d’écrire une nouvelle sur la vie d’un enseignant.

Ivan Franko, cependant, n’a pas, semble-t-il, approuvé la publication de « Voix du cœur », qui a donc été édité plus tard. Pourtant encore aujourd’hui, la nouvelle suscite un vif intérêt. Elle décrit très subtilement les affres d’un choix difficile; il s’agit de renoncer à un bonheur personnel au bénéfice d’autrui et d’assurer le respect de soi et la fidélité à ses valeurs. Ulyana Kravchenko abolit l’opposition habituelle entre le rationnel, apanage masculin, et l’émotionnel, attribut féminin. Son personnage féminin fait un choix, non en répondant à l’appel du cœur, mais à partir d’un argument rationnel. Lors d’élections, elle ne soutient pas son fiancé, mais choisit l’enseignant ukrainophile persécuté. En d’autres termes, elle atteste de la capacité d’une femme à défendre ses propres opinions et ses valeurs.

Pour de nombreuses auteures du recueil, l’idéologie émancipatrice est restée importante tout au long de leur carrière. Et les féministes les plus cohérentes se sont avérées être les plus cohérentes des modernistes. Ce sont Lesya Ukrainka et Olga Kobylyanska qui ont orienté la culture ukrainienne vers le modernisme. Les femmes en sont venues à influencer le cours de l’histoire, à en devenir des actrices. La Première Guerre mondiale a apporté des changements irréversibles. Lorsque les hommes sont partis à la guerre, les femmes ont occupé leurs emplois. À la fin de la guerre, elles ont refusé de revenir dans l’espace domestique.

Ce n’est pas un hasard si dans les années 1920, le mode de vie, les moeurs et la mode elle-même ont changé: les robes et les jupes se sont raccourcies pour faciliter l’utilisation des transports urbains. Les féministes les plus radicales qui ont continué à exercer un métier, ont réalisé l’importance et la signification de cette première brèche. Dans les années 1930, une poétesse ukrainienne Olena Teliga écrivait que lorsque « La première couronne » a surgi, ce fut comme si « dans le haut mur qui séparait la cour étroite de la vie des femmes, du vaste monde, alors accessible uniquement aux hommes, quelques femmes courageuses avaient brisé les vitres des fenêtres à travers lesquelles on pouvait voir le monde et y projeter ses désirs et ses aspirations à l’exemple de ceux qui y vivent ». La tâche fixée avec intelligence par Virginia Woolf – tuer le génie du foyer – a été achevée avec éclat par les écrivaines modernes.