Deux hommes âgés négocient activement. L’un vend du miel à l’arrière de son minivan, l’autre s’intéresse à la marchandise. Les variétés les plus chères sont le tilleul et l’acacia qui coûtent 200 UAH (5€) le pot d’un demi-litre. Les moins chers sont à 150 UAH (3€70) pour le même volume. Après avoir dégusté toutes sortes d’échantillons et discuté de tout et de rien, le client passe à l’attaque pour obtenir un rabais :
– Bon, écoute. Je prendrai ceci et cela (le miel de tilleul et d’acacia – ndlr), mais pour 350 hryvnias.
– Cher Monsieur, venez l’année prochaine et le prix sera de 350. Mais cette année c’est une saison difficile, il n’y a pas beaucoup de miel. Ainsi, le prix est 400, – répond le vendeur.
Scène d’un petit marché typique d’une ville de province. Ici, on vend de tout: des graines pour les semis, des balais, de la viande fumée, cuisinée dans un fumoir mobile, installé sur place. Et l’extra-ordinaire se trouve à côté du marché. La foire se déroule sur la place, en son centre de laquelle trône un buste du poète emblématique Taras Shevchenko. Le monument est devenu célèbre grâce aux photojournalistes qui, au printemps, ont filmé les conséquences de la courte occupation du village de Borodyanka, à 40 km au nord-ouest de Kyiv (Borodyanka a été prise pour cible durant la première phase de la guerre, au début du printemps – ndlr). Un peu plus loin, un bâtiment de plusieurs étages, détruit par une bombe est également connu grâce à de nombreuses photographies. Borodyanka a été libérée il y a presque neuf mois. La vie reprend progressivement son train-train quotidien, avec les mêmes problèmes et conversations. Mais la guerre n’est pas loin. Elle s’imprime dans la mémoire et les paysages environnants.
De Banksy à Banksy
Le marché et la plupart des immeubles en ruine sont situés dans la rue principale du village, au nom des plus pragmatiques: « Tsentralna » (Centrale en français). Souvent, il est possible de voir des plaques de rue portant leur ancienne appellation : «rue de Lénine». En les regardant, ainsi que les destructions qui les entourent, on pense tout de suite à la promesse faite par Vladimir Poutine avant la guerre – de montrer à l’Ukraine ce qu’était une «véritable décommunisation». (je pense que pourle lectorat français il faut expliquer. Pour le lectorat français Poutine n’a parlé que dénazification. Décommunisation ça se rapporte à quoi ? )
Deux personnes discutent près de l’immeuble situé en face de la foire (celui dont la travée s’est effondrée au milieu). Au premier abord, l’un de nos interlocuteurs réagit vivement et même de manière quelque peu agressive à nos tentatives de participation.
– Que font-ils encore ici, à prendre des photos de ces dessins ? Cela devrait être interdit.
Au début, il n’est pas facile de comprendre de quels dessins il s’agit. Cependant, en regardant de plus près le béton gris, on remarque une jeune gymnaste en équilibre sur les restes d’un mur intérieur d’un immeuble en grande partie effondré. C’est l’un des sept graffitis créés en Ukraine à l’automne par le célèbre street-artiste Banksy. Deux œuvres de cette série se trouvent à Borodianka. Le graffiti a vraiment provoqué une résonance et l’envie de nombreuses personnes de « prendre un selfie » sur fond d’œuvre d’art de rue. De telles actions maintiennent l’attention du monde sur l’Ukraine, mais dans un contexte local.
Après avoir entendu que nous sommes journalistes, l’homme se calme un peu. Il s’appelle Vitaliy et pour lui, le mur avec la gymnaste n’est pas une œuvre, mais un morceau d’appartement, de son logement.
L’homme décrit l’intérieur de telle façon qu’il est aisé d’imaginer un logement à la place des ruines. Ici, il y avait une salle de bain avec les toilettes, une cuisine se trouvait là, et des fenêtres de l’autre côté. Son indignation face à ces « excursions » n’est que partiellement due à l’invasion de ce qui était autrefois son espace privé, mais aussi au fait que certaines des maisons détruites sont laissées exprès en l’état. Ainsi, aux yeux de Vitaliy, l’œuvre de Banksy constitue également une menace supplémentaire pour l’obtention de nouveaux logements ou la restauration de l’habitat ancien.
– Ils vont faire un musée ici, et où devrions-nous vivre? Ils ont rédigé les actes, mais nul ne sait ce qui va se passer ensuite », s’indigne-t-il.
Les autorités locales sont-elles en contact avec les personnes concernées ? A cette question, Vitaly répond d’un geste évasif de la main. Au moment où les journalistes de Tyzhden s’approchaient, il conversait avec un homme répondant au nom de Valentin.
Cet homme vit à côté, son immeuble a eu plus de chance. Le bâtiment reste intact, bien que les communications aient été endommagées et les fenêtres brisées par l’onde de choc. Valentin précise qu’il a reçu quelques dédommagements de diverses institutions et fondations, et en particulier de l’ONU. Interrogé sur une aide complémentaire des autorités ou sur les conséquences des résultats des visites des étrangers à Borodyanka, il répond après une courte pause.
– La rencontre avec le président de la Suisse s’est très bien passée, commence à raconter Valentin. – Rien n’a été fait au printemps, rien n’a été fait en été, mais lorsque le président suisse est arrivé, ils ont installé les fenêtres et ont assuré du chauffage pour l’hiver.
Le chauffage dans la maison est autonome. Un troisième immeuble à plusieurs étages, voisin des deux premiers, a été gravement endommagé. Au moment de notre visite, il était déjà à moitié démonté. Des excavateurs sont sur le site et démantèlent les restes de l’immeuble. Ce genre d’activité est maintenant le plus visible sur la rue Tsentralna.
Quelques brigades démolissent les immeubles, reconnus impossible à réparer. Le site où se trouvait le bureau d’enrôlement militaire a déjà été rasé et ressemble à un petit potager au printemps.
Sur l’un des sites, nous avons rencontré Petro. Il est représentant de la société qui effectue le démantèlement et ne fait que surveiller le travail de l’équipe. Il n’y a plus grand-chose à faire ici. Nous nous trouvons sur les ruines de la maison. Quelques rats se dispersent dans différentes directions, effrayés par des machines de constructions. Petro explique son travail :
– Avant la phase de démolition, il faut d’abord apporter la terre pour le soubassement. C’est un travail déjà considérable, car il faut organiser la logistique. Ensuite, l’excavateur se dirige vers le terrassement et entame la démolition du bâtiment avec le godet. Et ainsi on descend jusqu’au fond. Ensuite, il faut tout retirer du site. Les grands fragments sont utilisés pour renforcer les positions de l’armée ukrainienne. Le reste est transporté à proximité en vue d’une utilisation ultérieure VIRGULE par exemple pour la construction de routes.
Petro précise que les travaux doivent être terminés le lendemain. Tout est compliqué par le fait qu’il est possible de travailler seulement à la lumière du jour, qui est désormais courte. Quand les travaux ont-ils commencé ? A cette question, Petro sourit:
– C’était le 1er décembre. Mais les discussions, par contre, ont commencé en été et se sont poursuivies tout l’automne.
Le démantèlement à Borodyanka est effectué par la société «Teravtobud», située à Kyiv. Des détails du projet associé sont accessibles dans le système Prozorro. Les travaux sont financés par le budget de l’administration régionale, et non celui des collectivités locales. Le démantèlement d’un immeuble de cinq étages est évalué à environ 5 millions de hryvnias (environ 120.000 euros), cela donne une idée de l’effort budgétaire.
– Les grandes cloisons entre les étages de l’immeuble où nous nous trouvons, ont été soulevées et sont apparemment revenues en place après l’explosion. Mais en fait, elles ont quand même bougé, même si le bâtiment ne s’est pas effondré, – reprend Petro. – Il y a d’autres immeubles qui ont échappé à une destruction importante, mais on observe tout un réseau de fissures sur les murs. C’est devenu inhabitable. Si le béton a brulé, le bâtiment ne peut pas être reconstruit non plus. Le béton commence à se désagréger et se fissurer. Seules des commissions spéciales peuvent effectuer des évaluations.
Il peut être vraiment difficile de comprendre au premier coup d’œil pourquoi certains immeubles de la rue Tsentralna peuvent être restaurés, quand d’autres sont voués à la démolition. À l’entrée de certaines cages d’escaliers, des avis indiquant que les bâtiments sont reconnus en état grave, bien qu’il soit possible d’entrer à l’intérieur et de se promener dans les étages. Les portes d’entrées des appartements, s’il en reste, sont ouvertes. Les objets de valeurs ont disparu. Certaines maisons n’ont pas l’air trop touchées à l’entrée. Ainsi, il y a du papier peint et du linoléum sur le plancher. Mais en lieu et place de la pièce suivante, il n’y a qu’un trou béant. Aux entrées d’autres immeubles, qui semblent avoir subi des dégâts de même ampleur, les affichent indiquent que la commission est sur le point d’évaluer les conséquences des dommages.
Dans l’une des cours nous rencontrons Yaroslava. Elle vit dans une maison qui n’est pas démolie, mais qui n’a pas été préparée pour l’hiver. Le fils de Yaroslava vit dans le bâtiment voisin de cinq étages : il est partiellement occupé, bien que toute l’entrée extérieure ait été détruite par une explosion. Des fleurs artificielles ont récemment été déposées à côté des ruines en mémoire des victimes.
Yaroslava vit maintenant avec sa mère, non loin de là.
La femme raconte qu’à la fin du mois de février, son fils lui a téléphoné et conseillé de se cacher. Mais elle n’a pas suivi son conseil et observé la route depuis la fenêtre de son appartement du deuxième étage. Elle a compté les unités de véhicules russes qui descendaient la rue Tsentralna. Elle en a dénombré 176. Les Russes ont détruit tout sur leur passage ou presque. Un char d’assaut a été utilisé pour démolir un magasin. Un kiosque temporaire a été installé à sa place.
Yaroslava et sa famille ont réussi à évacuer vers Rivne. Elle raconte que les gens se souciaient d’eux et les ont très bien traités. Mais le volontaire, qui les a aidés à évacuer, a été tué plus tard lors d’une nouvelle mission. Il était évangéliste et père d’une grande famille. Après la fuite des Russes de la région de Kyiv, le fils de Mme Yaroslava a été le premier à revenir à Borodyanka.
– J’ai rassemblé nos affaires très vite lors de l’évacuation. Et il se trouve que j’ai oublié les bijoux en or et les pièces de monnaie que mon fils collectionnait. Je pensais que tous ces objets de valeur avaient été perdus. Puis mon fils a téléphoné et m’a dit que tout était là. J’étais si heureuse que tout soit encore là! Et mon fils a ajouté : «Maman, tes bijoux en or c’est une chose. Ce qui est étonnant, c’est que mes pièces de collection soient toujours là».
Et il s’est avéré qu’un autre membre de la famille de Yaroslava, décédé depuis longtemps, avait été impliqué, d’une certaine manière, dans la sauvegarde de la propriété. Il avait un hobby bien à lui. À l’époque soviétique, il se rendait à Moscou pour son travail et achetait de l’alcool fort de très bonne qualité et rare à l’époque. «Avec des médailles sur les bouteilles», précise Yaroslava. Il a accumulé toute une collection, et puis il est mort. On n’a pas touché à ces bouteilles, sauf les jours de commémoration. C’est ainsi que la collection a survécu jusqu’à l’invasion russe.
Pendant l’occupation, les envahisseurs se sont introduits dans l’appartement de Yaroslava, mais ils ne sont pas allés plus loin que la collection d’alcools. Ainsi, les bouteilles « avec Lénine » ont sauvé l’or et les pièces de collection.
Notre interlocutrice indique que l’immeuble de son fils est encore partiellement habité, car les voisins ont réussi à y installer un chauffage indépendant. Par contre, son appartement au premier étage est encore froid. Elle souhaite que le bâtiment soit reconstruit.
– Ce matin, nous avons été invités à une réunion. Une commission de Lviv est venue évaluer l’immeuble. En été, des experts de l’Université de construction et d’architecture de Kyiv sont venus et ont également déclaré qu’il fallait démonter le dernier étage, car les cloisons avaient bougé. Mais les quatre autres étages peuvent être sauvés.
A cet instant, la conversation est interrompue par le passage d’une jeune femme avec un enfant. Elle a entendu que Yaroslava habite dans cette cour et tente de connaître le sort de membres de sa propre famille. Ces gens y vivaient, mais ils ont perdu le contact. Après une courte conversation, il s’avère que tout va bien chez ses parents. De temps en temps, d’autres personnes s’approchent d’un bâtiment d’un étage près de l’école maternelle dans la cour. Nous faisons quelques pas et la raison devient claire : il y a un autre graffiti de Banksy à Borodyanka. La deuxième étape de l’itinéraire « touristique ».
Logement et Emploi
Sur le chemin du retour, nous rencontrons deux hommes occupés à retirer les restes d’objets plus ou moins précieux d’une autre habitation détruite. Il s’agit, par exemple, de portes intérieures en bois et de radiateurs en fonte. Un court entretien avec eux révèle que certains habitants de Borodyanka se méfient de la procédure de démantèlement.
– Ils ont délivré les certificats de démolition. Mais ils n’ont signé aucun accord avec nous. Ils vont démonter l’appartement, et on ne sait pas ce qui va se passer ensuite. Nous avons besoins d’un accord pour savoir qu’un nouvel immeuble sera construit au même endroit. Et ça c’est important.
Il existe essentiellement quelques options pour les habitants de Borodyanka qui ont perdu leur logement. Il est possible de résider avec ses proches ou louer un appartement ici ou dans une autre ville. Selon une information de troisième main, un logement loué dans le village est d’environ 3.500 hryvnias (90 euros) par mois, sans compter les frais communaux. Ce n’est pas aussi cher qu’à Kyiv, mais ce n’est certainement pas bon marché selon les normes ukrainiennes. Il existe également par ici un village modulaire, installé avec le soutien du gouvernement polonais. Nous nous y rendons.
Ce village représente un ensemble de blocs résidentiels situés près du complexe sportif de football de Borodyanka. Il y a actuellement quatre grands blocs, mais un agrandissement est prévu. Il existe un terrain vide à proximité, explique Olga Kobzar, la responsable du village.
– Il y a 352 places résidentielles, et actuellement 260 personnes vivent ici. C’est parce que nous essayons d’accommoder les familles. Le module est fait pour quatre, et si une famille se compose de trois personnes – nous ne pouvons accueillir personne d’autre, – explique Mme Kobzar. – Mais il y a des cas où des personnes non apparentées vivent ensemble, si cela ne les dérange pas.
Selon Mme Kobzar, il y a une longue liste d’attente pour habiter ici. Il manque des logements, même pour ceux qui cherchent à louer. Un certificat de destruction du logement permet de s’installer ici. Il faut apporter ce document au Conseil du village. Le logement peut être proposé non seulement dans le camp modulaire, mais aussi dans les dortoirs prévus à cet effet. L’hébergement est gratuit. Selon Mme Kobzar, les résidents du camp changent très rarement. La plupart ne trouvent pas de meilleures conditions.
Plusieurs raisons expliquent la crainte des habitants locaux de s’installer dans d’autres villes ou villages. Outre l’attachement à sa ville, il y a aussi un aspect pratique. C’est ce qu’explique Pavlo, l’un des habitants du village de préfabriqués que nous avons rencontré ici. Il vit à Borodyanka et est employé dans le métro de Kyiv.
Il faut environ une heure pour se rendre à la capitale depuis Borodyanka. Ce qui est peu comparé à certains habitants de Kyiv qui passent à peu près le même temps à se rendre des quartiers périphériques au centre-ville. Les salaires sont plus élevés à Kyiv. Pavlo dit qu’il gagne jusqu’à 15.000 hryvnias (soit environ 370 euros) par mois dans la capitale. C’est un petit salaire, mais à Borodyanka le salaire moyen s’élève à 8.000 hryvnias (environ 200 euros). Pavlo précise que les autorités régionales ont proposé aux habitants locaux des appartements à Bohouslav (c’est une ville de l’oblast de Kyiv, située à plus d’une centaine de kilomètres par la route au sud de Kyiv – ndlr). Mais cette ville est deux fois plus éloignée de la capitale, ainsi, il faut oublier les emplois et donc les salaires à Kyiv. Par ailleurs, ça peut être dur, en principe, de trouver un emploi dans ces villes.
Il y avait une proposition identique à Boryspil située à 34 km de Kyiv (cette ville héberge le principal aéroport de Kyiv et d’Ukraine – ndlr). Mais là, il y a une pénurie de logements abordables et notamment de logements sociaux. Les habitants de la ville modulaire précisent qu’une famille a réussi à y obtenir un appartement. Mais il s’agit d’une grande famille, c’est-à-dire de ceux qui sont prioritaires pour l’obtention dans ce genre de situation.
– Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas être installés dans des hôtels? J’ai travaillé à Kyiv dans le domaine de sécurité. Avant la guerre, le taux de d’occupation était assez faible. Et encore plus à présent, déclare Pavlo.
Plus tard, le maire par intérim de Borodyanka, George Yerko confirme l’histoire de Pavlo en termes généraux. Le siège temporaire du conseil municipal se trouve dans le lycée académique, qui n’a été que peu endommagé par l’occupation et les combats. L’enseignement des enfants et le travail des autorités se déroulent ici simultanément, dans différentes ailes du bâtiment.
Selon M.Yerko, des personnes se sont effectivement vu proposer des logements à Bohuslav, ainsi qu’à Makariv. Il n’y a pas eu de preneurs. Aujourd’hui, Boryspil et Brovary (une autre ville proche de la capitale) sont des options plus attractives : beaucoup sont prêts à y vivre.
Le maire de Borodyanka cite les chiffres de la destruction: 11 immeubles d’habitation (711 appartements) et 358 maisons privées sont complètement détruits. Près de 370 maisons privées nécessitent des réparations importantes.
– Ces chiffres sont valables aujourd’hui. Mais le nombre peut augmenter en raison des pluies et du gel. Les bâtiments vont continuer à s’effondrer, et ce que nous constatons déjà, ajoute Yerko.
Il indique que la plupart des inspections des structures ont eu lieu en mai et juillet. Mais certaines maisons nécessitent des études supplémentaires plus approfondies avant la décision finale :
– Par exemple, deux ou trois bombes de 250 kg ont explosé près de la maison. Il faut mener un examen approfondi des fondations, déterminer l’état des murs. Dans les maisons qui ont été incendiées, il faut comprendre comment les plaques de fer et de béton vont se comporter. Cela demande du temps et des ressources. Les maisons qui représentent une menace pour les habitants sont les premières à être démolies.
Yerko répond également à la question de notre interviewé Vitaliy sur le futur de l’immeuble arborant le graffiti de Banksy.
– Une décision sera prise sur le lieu et la manière de déplacer les graffitis. Ensuite, le bâtiment sera démoli. Les gens veulent vivre exactement là où ils ont vécu avant la guerre. Nous écoutons leurs besoins. Beaucoup de rumeurs circulent. La décision doit être écrite pour être respectée.
Selon le maire, à présent, à Borodyanka, un nouveau projet pour la rue Tsentralna est en cours de préparation. Il sera soumis à débat public. Cependant, la communauté de Borodyanka comprend également un certain nombre de villages voisins. Certains d’entre eux sont comme effacés. De nombreuses entreprises qui généraient des emplois, ont été fermées. Récemment la production a partiellement repris, comme par exemple dans les scieries locales. Mais le principal employeur reste le secteur des services publics.
L’aide extérieure joue un rôle énorme. Il s’agit de soutien de la part des autorités régionales et centrales, de fondations et différents Etats. Selon Yerko, la principale entreprise communale a un déficit budgétaire de 6 millions de hryvnias. A ce jour, 700 foyers ne paient plus pour les services, mais les prélevements se font quand même.
Au début de la guerre, le bureau du Président a lancé l’idée que chaque région ukrainienne devait être « assignée » à un pays étranger qui jouerait un rôle de premier plan dans la reconstruction. Selon des déclarations notamment de Boris Johnson, Premier ministre britannique de l’époque, la région de Kyiv serait soutenue par la Grande Bretagne. Cependant Yerko mentionne d’autres pays dans la conversation. La Hongrie restaure une école du village de Zahaltsy. La Lituanie participera dans l’expansion du village modulaire, la Turquie a pris en charge l’école maternelle locale «Kazka».
Compte tenu des circonstances, les résidents sont pour la plupart satisfaits, même dans les conditions spartiates des préfabriqués. Ici, des dortoirs étroits avec deux lits superposés sont répartis de chaque côté d’un couloir traversant. Au milieu, se trouvent une salle de loisirs et une cuisine. Il y a des douches et des toilettes communes.
Olena et Nadia vivent ici quasiment depuis l’installation du village. Nous les retrouvons dans la cuisine, où elles terminent leur repas. Ils sont gratuits et assurés par les volontaires. Aujourd’hui, il y a de la soupe, du sarrasin, des saucisses et une salade. Plusieurs fois par mois, des rations sèches sont distribuées. Olena vivait dans l’un des immeubles détruits. Le bâtiment a d’abord pris feu. Une voisine, la mère de deux enfants, a téléphoné à Olena pour lui enjoindre de s’enfuir. Il s’est avéré par la suite que l’immeuble de cette voisine avait été visé par une frappe aérienne.
– Elle et ses enfants sont morts. Donc, elle m’a sauvé, mais elle est morte. Je me sens très mal à ce sujet…, dit Olena, les larmes aux yeux.
Lorsque les gens oublient les souvenirs pénibles, l’ambiance dans le village modulaire est plutôt bonne. Ils se contentent de petites choses. Nadia indique qu’une machine à laver a été installée dans chacune des salles de bain. Cela a grandement amélioré le quotidien : beaucoup moins d’embouteillages devant la machine à laver. Auparavant, il n’y avait qu’une seule par module.
Mais les problèmes restent nombreux. Depuis que la Russie a commencé à attaquer l’infrastructure énergétique ukrainienne, l’électricité a souvent été coupée. Ainsi, la cuisine, le circuit d’eau chaude sanitaire et le chauffage restent régulièrement sans l’alimentation. L’absence de chauffage dans les préfabriqués se fait sentir après quelques heures seulement. Ils sont froids et humides. Les habitants ont essayé d’améliorer la situation avec des générateurs, mais leur capacité est insuffisante. Ainsi, ils sont contraints de répartir alternativement l’électricité entre les deux moitiés de chaque module.
– Il y a trois générateurs. Nous avons considéré qu’un seul suffirait pour un module entier, mais ce n’est pas le cas, – explique le maire. – Sa capacité ne correspond pas à ce qui est indiqué dans la documentation technique. Nous avons mesuré et constaté qu’un module consomme au moins 100 kWh. Il y en a quatre: un de 250 kWh, qui alimente deux modules, et trois autres de 70 kWh. Ils alimentent la moitié du module, ce qui nous permet de fournir de l’énergie pendant une heure en cas de panne de courant.
Il n’y a pas beaucoup de divertissements ici. L’un des modules dispose d’une chambre d’enfants. C’est une pièce de jeux. Des volontaires étrangers y organisent des leçons d’anglais. Dans la salle de récréation dans le module où vivent principalement des personnes âgées se trouve un autel improvisé.
On dit (enlever la virgule) que le père Dmitriy, le curé local, rend visite aux résidents. Il était là également pour la Saint-Nicolas.
– Il est le représentant de notre église, précise rapidement Mme Olena. – Nous avons visité le père Victor toute notre vie.
Après clarification, il devient clair que « notre » église actuelle est l’église ukrainienne orthodoxe autocéphale, et celle « où ils sont allés toute leur vie » est celle du Patriarcat de Moscou. Les femmes disent franchement qu’avant, elles n’attachaient aucune importance à l’affiliation d’un prêtre.
– Tout le monde se rendait chez le père Victor. A Pâques, nous avons fait la queue la nuit. Je ne peux pas vraiment dire du mal de lui personnellement, dit Nadia. – Son appartement a aussi été brûlé à cause des frappes de Russes. En été il permet de cueillir des pommes dans son jardin. Il n’y a pas de problème. Mais après tout ce qui s’est passé… – et la femme fait un signe de la main sur son cœur. Elle montre qu’elle n’a plus envie de visiter cette église, liée à Moscou.
Avant le début de l’invasion à grande échelle, la population de Borodyanka se montait à environ 14.000 personnes. Maintenant le chiffre est descendu à 8.000-9.000. De nombreuses questions sont sans réponses. Concernant par exemple la reconstruction et son financement. Il y a aussi des interrogations concernant la crainte d’une nouvelle attaque depuis le Bélarus. Mais les habitants veulent continuer à vivre ici. De fait, la sonorité du moteur des excavateurs qui démolissent les maisons, est accompagnée par le bruit des marteaux utilisés pour réparer les immeubles d’habitation ayant survécu.