Le pompier Denys Dobrovolskyi : « Il n’y a pas d’héroïsme dans notre travail »

Société
11 avril 2023, 05:43

Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle, les pompiers et les sauveteurs, au même titre que les militaires et les médecins, comptent parmi les plus grands héros de cette guerre. Ce sont eux qui vont combattre le feu après l’arrivée des missiles russes, déblayer les décombres et aider les victimes. Dans le même temps, ils continuent à répondre aux appels causés par la négligence domestique, à enseigner aux enfants et aux adultes les règles de sécurité incendient et à sauver les chats perchés. Tyzhden.fr s’est entretenu avec Denys Dobrovolskyi, pompier et chef de la 5e unité d’incendie et de secours de Vinnytsia, sur les changements qui ont connu son service au cours de l’année.

« Cette année a été différente des précédentes », explique M. Dobrovolskyi, mais il ajoute immédiatement : « Même si la guerre a commencé en 2014 ». D’après son expérience de travail à Vinnytsia, ce n’est pas la quantité générale des incendies mais leurs spécificités qui ont changé en 2022. « Les gens se comportent aussi différemment », explique-t-il. « Ils sont devenus plus responsables par rapport à la sécurité. C’est pourquoi il y a moins des visites de pompiers ». En hiver, quand les coupures de courant étaient fréquentes, les habitants ont activement utilisé les générateurs, il y a eu un peu plus d’incendies liés aux spécificités de cet engin.

Si vous regardez une carte géographique, Vinnytsia se trouve presque au cœur de l’Ukraine. La ville et la région ont beaucoup moins souffert des attaques de missiles et de drones russes que Kyiv, Odessa, Kharkiv, Mykolaiv ou Zaporijjia, mais les occupants ont apportés beaucoup de chagrin aux familles de Vinnytsia. Le bombardement le plus violent a eu lieu en juillet 2022, lorsque les envahisseurs ont frappé le centre-ville, où de nombreuses personnes se trouvaient à l’époque. L’attaque terroriste russe a tué 28 personnes, dont trois enfants – Liza, 4 ans, Maksym, 7 ans, et Kyrylo, 8 ans. Plus de 200 personnes se sont rendues à l’hôpital pour obtenir de l’aide. L’attentat a également constitué un défi majeur pour les sauveteurs locaux. Comme le reste des secouristes de la ville, Denys Dobrovolskyi, a participé au sauvetage de Vinnytsia ce jour-là. Il considère le 14 juillet comme le jour le plus difficile de son travail dans les services de pompiers.

Denys Dobrovolskyi a pris ce selfie après une journée difficile, le 14 juillet, lorsque lui et ses collègues ont dû faire face aux conséquences d’un attentat terroriste russe.

« Nos hommes exercent une profession héroïque, ils ont choisi leur métier par coup de cœur. Dans mon travail, même avant la guerre totale, il y a eu trois cas où je savais avec certitude qu’il existait un vrai risque pour la vie des gens. Mais grâce à mes actions habiles, tout s’est bien passé », explique M. Dobrovolsky, tout en précisant : « Notre travail est très simple. Lorsque vous évaluez la situation, vous voyez le danger. Et il n’y a rien de compliqué. Il y a déjà eu des incendies. C’est juste que dans le passé, nous sortions à cheval avec un tonneau d’eau, alors qu’aujourd’hui nous avons beaucoup d’équipements. Il n’y a pas d’héroïsme ici. Il faut du professionnalisme à l’état pur ».

Selon le pompier de Vinnytsia, la partie la plus difficile de la lutte contre un incendie n’est pas l’extinction proprement dite du feu : « Lors d’un incendie, tout est simple : il y a une certaine liste de mesures à prendre pour éteindre le feu. Physiquement, cela peut être difficile et fatigant. Mais l’extinction du feu n’est pas la chose la plus compliquée à gérer. Le plus difficile est de démanteler les structures et de porter des objets lourds ». C’est le genre de travail que les sauveteurs ukrainiens doivent souvent accomplir cette année, car la Russie n’hésite pas à bombarder les infrastructures civiles.

Selon le ministère ukrainien des Communautés, des territoires et du développement des infrastructures, au début de l’année 2023, la Russie avait détruit plus de 170 000 bâtiments résidentiels en Ukraine. Dans les régions où ces destructions ont été généralisées, notamment dans la région de Kyiv, les sauveteurs ukrainiens ont également fait appel à des volontaires pour démanteler les structures. Cependant, la plupart du temps, ce sont les services d’incendie et de secours qui assument la majeure partie de ce processus.

« Maintenant qu’il y a des bombardements, la nature des menaces a changé », explique Denys Dobrovolsky. « Les installations énergétiques, les installations de stockage de carburant et de lubrifiant, ainsi que les installations militaires sont souvent prises pour cible. Et bien sûr, il y a la menace de bombardements en répétition. C’est ce que nous avons constaté pendant des mois à Kharkiv. C’est un défi auquel le service d’urgence n’a jamais été confronté auparavant ».

Les alertes aériennes dues à la menace de bombardements russes entraînent également des ajustements dans le travail des pompiers ukrainiens : « En cas d’alerte, le personnel est retiré de l’objet de la lutte contre l’incendie et tout le travail est interrompu, car nous devons sauver la vie du personnel. Bien sûr, l’héroïsme est nécessaire quelque part, mais il doit être significatif. Il faut savoir que cela en vaut la peine, afin de ne pas aggraver la situation », raconte le pompier.

Denys et son collègue avec les pompiers bénévoles de l’Amicale Pompjeeën Ettelbréck

Depuis le début de l’invasion massive, les services d’incendie et de secours des villes ukrainiennes reçoivent plus fréquemment l’aide de partenaires étrangers. Il s’agit surtout d’aide dans de l’équipement nécessaire. Cette coopération apporte également une expérience utile. Denys Dobrovolskyi travaille depuis 2019 avec des pompiers volontaires de la ville d’Ettelbruck au Luxembourg : « En 2019, j’étais au Luxembourg. Bien sûr, j’étais intéressé par voir comment leur service d’incendie fonctionne. J’ai visité une caserne de pompiers. Nous avons discuté avec eux. Ils m’ont montré leurs équipements. Évidemment, le niveau était différent du nôtre. Mais économiquement, le Luxembourg n’est certainement pas le pays le plus pauvre d’Europe. Je voyais déjà que le niveau était complètement différent. Et bien sûr, je voulais m’assurer qu’en Ukraine, on arrive rapidement au même niveau ».

Après le 24 février 2022, l’Ukraine a simplifié le transfert de matériel dans le cadre de l’aide humanitaire. Ainsi, au cours de l’année écoulée, l’unité de Denys Dobrovolskyi a reçu divers équipements, des combinaisons et des générateurs de la part de ses amis luxembourgeois, Amicale Pompjeeën Ettelbréck. « Je suis très reconnaissant de nos amis de l’Amicale Pompjeeën Ettelbréck pour leur aide et leur soutien », déclare Denys, « Le service d’incendie en Ukraine était d’un niveau élevé, mais il devait être amélioré. Bien sûr, nous avons besoin de machines, de matériel et d’équipements, surtout aujourd’hui, essentiellement, dans les régions de Kyiv, Kharkiv, Louhansk et Donetsk (les parties sous contrôle ukrainien), où les bombardements sont constants. Ces régions sont proches de la ligne de front. Les équipements y souffrent. Parfois, il n’est plus en état de marche. Et les gens ont besoin de travailler tous les jours », résume Denis Dobrovolskyi.