Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

La vache, le chien Umka et le deuxième anniversaire de tonton Mykola. Une autre petite histoire de la grande guerre

Société
26 septembre 2022, 09:26

Un petit village de la région de Kharkiv. Le samedi de Pâques, une « cassette » a volé dans la cour de Mykola et Natalie. Ils ont réussi à se cacher dans la cave. Mais de nombreux poulets et lapins ont été tués et, pire que tout, la vache qui venait d’être ramenée du pâturage a été grièvement blessée. C’était une salutation du « monde russe », profondément orthodoxe et pieux, comme affirment ses porte-paroles.

Ça crevait le cœur, mais il était inutile de soigner la vache. Son abdomen déchiré ne pouvait pas être réparé, même s’il y avait un vétérinaire à proximité prêt à faire le travail. Par conséquent, le lendemain matin, ils ont décidé d’abattre l’animal pour qu’il ne souffre pas. Découper une vache n’est pas une tâche facile, et Mykola a appelé à l’aide ses nouvelles connaissances, des soldats de la défense territoriale de Ternopil, qui s’étaient récemment installés à proximité.

L’hôte a immédiatement trouvé un langage commun avec les salodats et ils sont même devenus amis. Mykola les a aidé pour l’électricité, pour s’installer dans un nouveau lieu, a transporté des rondins pour la construction de blindages avec son propre tracteur. Pendant l’installation des positions, les soldats vivaient même dans l’ancienne maison parentale de Mykola juste à côté, et, en cas de danger, ils se cachaient dans sa cave.

C’était Pâques, quand, malgré la fête religieuse et pendant que la famille s’était retrouvée obligée de s’occuper de la vache dans l’arrière-cour de la maison, un autre « cadeau » des russes, cette fois beaucoup plus généreux, est arrivé dans la cour. « Je dis aux soldats: l’avion vole », se souvient Mykola. « C’est probablement un des nôtres », répondent-ils. Pendant qu’ils réfléchissaient, ils entendirent une forte explosion, et les voilà tous couchés dans la boue, sans même avoir eu le temps d’avoir peur. Ma femme préparait le dîner dans la cuisine. Elle est devenue sourde, c’est un miracle qu’elle n’ait pas été tuée dur place. »

Natalya s’était dirigée vers le poêle, au fond de la maison, donc en dehors de la zone d’explosion. Si elle avait été plus proche de la porte d’un mètre, cela aurait pu être fatal. La roquette est tombée à 30 mètres, près du puits, qui a pris le plus gros du coup. Le petit tracteur a aussi été touché.

La maison des propriétaires a eu beaucoup moins de chance. Un coin entier du bâtiment a été emporté par l’onde de choc et le toit a été gravement endommagé par des débris. Mais c’est la niche de chien Oumka qui a le plus souffert: il n’en restait plus qu’un morceau de chaîne brisée. Heureusement, le chien n’était pas là au moment où c’est arrivé.

« Ils ont frappé le coin de la maison, » Natalya montre un énorme aileron de fusée, « tout a été arraché là-bas, puis les soldats l’ont un peu recouverte. » С’était une telle explosion que les cerisiers plantés devant la maisons ont tous perdu leurs fleurs. « Ce tracteur, qui nous était d’une grande aide, a été détruit, » ajoute la femme.

Natalya montre les « cadeaux » des Russes

Il était impossible de vivre dans la maison après le bombardement, alors les propriétaires sont partis le jour même chez leurs cousins. Bien sûr, ils avaient peur de nouveaux bombardements. « C’était un des habitants du village qui a informé les Russes, suppose le propriétaire, on a vu que les soldats étaient chez nous, que nous les aidions, et les informateurs ont fait leur sale travail. » Que ce soit vrai ou non, le front était vraiment loin d’ici, donc, évidemment, le bombardement n’était pas accidentel. À la même époque, l’école locale a également été touchée. Un avion russe a largué une bombe dessus, espérant que des soldats ukrainiens y étaient basés, mais ce n’était pas le cas.

Un jour après le bombardement, Oumka est apparu de dessous les décombres. Il était sale, comme s’il avait sauté de l’enfer. Personne n’aurait pu deviner que son pelage naturel était blanc, et non gris. Au début, le chien s’était caché dans les ruines de la maison, et c’est seulement lorsqu’il a retrouvé un peu de courage et accepté un repas offert par les soldats qu’il s’est assis devant la porte pour attendre ses propriétaires.

Mykola est en effet bientôt apparu dans sa vieille voiture. Il est venu chercher Oumka et couvrir tant bien que mal le toit endommagé, afin que les pluies printanières ne labîment pas encore davantage et ne gâchent pas les meubles qui avaient survécu au bombardement.  » Je suis arrivé deux jours plus tard, se souvient l’homme, et les soldats m’ont dit: «Joyeux anniversaire Tonton Mykola! Vous êtes né une deuxième fois… ». A eux aussi, j’ai souhaité un joyeux anniversaire! Ils sont gentils, ces soldats. De vrais défenseurs. Ils aident tout le temps. »

Grâce des efforts conjoints, le toit a été couvert le soir même et à la fin, les soldats ont remis à Mykola de l’argent pour acheter une nouvelle vache. Une unité entière a cotisé, chaque soldat a donné un peu de sous afin de soutenir la famille, qui avait été si gentille avec eux dans un moment difficile.

Tonton Mykola

« Voilà la « paix russe », a conclu Mykola en chargeant les restes de ses biens sur la remorque. Ils nous ont écrasés, nous ont laissés sans abri en une seconde et nous ont presque tués ici avec les soldats. »

Un mois plus tard, l’homme est revenu dans sa cour, accompagné de sa femme et de son fils. Il devait apporter des affaires dans un village voisin, dans le garage d’un ami, en attendant que la maison soit réparée. Mais quand cela sera-t-il possible? Nul ne sait. La ligne de front change tout le temps. Bien qu’elle ne soit pas proche d’ici, personne ne peut garantir qu’elle ne s’enfoncera pas soudainement. Tant que la guerre continue, c’est un peu imprudent de se lancer dans les travaux. Et il n’y a pas assez d’argent de toute façon.

« Dès que tout sera fini, nous vous aiderons », promet un soldat en chargeant une partie de l’armoire de cuisine sur la remorque. « Après la guerre, nous viendrons ici rendre visite à Mykola et reconstruire sa maison. Nous nous sommes promis de nous retrouver ici. Il faut juste expulser les « Russkofs » définitivement. »

Auteur:
Roman Malko