La société française Ingenico a quitté la Russie : pourquoi cet acte peut-il être considéré comme significatif ?

Économie
11 avril 2023, 17:50

Une histoire très révélatrice et même instructive s’est produite en Russie le 10 avril. Les médias locaux ont publié une correspondance entre l’Association russe des banques et le ministère de l’Industrie et du Commerce, qui montre que le système bancaire du pays, déjà soumis à des sanctions occidentales, a un autre problème, d’une valeur de 40 milliards de roubles (plus de 451 millions d’euros).

Ce problème n’a été créé que par une seule entreprise française, qui a complètement vendu ses activités et quitté la Russie. Il s’agit d’Ingenico, une société spécialisée dans la production de terminaux de point de vente. Selon la correspondance publiée, après le retrait d’Ingenico, les banques russes ont demandé 40 milliards de roubles (plus de 451 millions d’euros) au gouvernement pour remplacer les terminaux que la société française avait fournis au marché russe. En conséquence, les banques ont eu des difficultés à se procurer les pièces de rechange et les logiciels qu’Ingenico avait développé.

Ingenico n’est pas partie du jour au lendemain : son retrait du marché russe a pris plusieurs mois.

À cette époque, des scandales ont éclaté avec le détaillant français Auchan. L’entreprise a été contrainte de justifier son travail en Russie. À la recherche d’arguments, elle a même qualifié son travail de « mission » : veiller « tout simplement » à ce que la population civile ait accès à des denrées alimentaires de qualité au meilleur prix. Peu importe que la population russe soutienne massivement son dirigeant Vladimir Poutine et sa guerre d’agression menée au centre géographique de l’Europe, l’Ukraine.

En conséquence, l’Agence nationale de prévention de la corruption de l’Ukraine a ajouté Auchan à la liste des parrains de guerre internationaux.

Un scandale encore plus retentissant s’est produit avec une autre entreprise française, Bonduelle, qui est devenue un sponsor de la guerre terroriste russe au sens propre du terme – l’entreprise a été prise en flagrant délit de transfert d’aide humanitaire aux forces d’occupation russes. Bonduelle figure également sur la liste des sponsors internationaux de guerre de l’International War Sponsor.

Au total, quatre entreprises françaises figurent actuellement sur la liste des sponsors internationaux de la guerre.

C’est dans ce contexte qu’Ingenico a quitté la Russie. L’entreprise était présente sur ce marché depuis 16 ans. Elle était donc en droit, elle aussi, d’imaginer une « mission » pour sauver la population russe. Après tout, au cours des quinze dernières années, Ingenico a représenté la moitié de tous les terminaux en Russie permettant de payer des services et des biens par carte. De plus, l’entreprise française est devenue le principal partenaire des deux plus grandes banques d’État et d’un autre établissement de crédit associé au complexe militaro-industriel.

Il est difficile de dire ce qui a été déterminant dans la décision d’Ingenico, qui a sans aucun doute touché l’entreprise elle-même. Ingenico n’a pas fait de déclaration. La raison en est peut-être les sanctions mondiales contre le système bancaire, et donc les problèmes juridiques liés à l’activité en Russie.

Ou peut-être s’agit-il des aspects moraux du travail dans un pays dont le régime a été reconnu comme un régime terroriste par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, le Parlement européen, ainsi que par des pays tels que l’Ukraine, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Pologne, la République tchèque, les Pays-Bas et la Slovaquie ?

Mais pourquoi le retrait d’Ingenico de Russie peut-il être qualifié d’indicatif et d’instructif ?

Voici l’explication : à peu près au moment où nous avons appris le coût des pertes infligés par Ingenico au marché russe, l’Ukraine a calculé combien la campagne de destruction du secteur énergétique ukrainien, qui a duré d’octobre 2022 à mars 2023, avait coûté à la Russie.

La Russie a mené 15 attaques massives et, selon des estimations approximatives, plus de 1 200 missiles et drones ont été tirés sur les installations énergétiques ukrainiennes. Le coût des projectiles uniquement interceptés par la défense aérienne ukrainienne s’éleve à environ 430 milliards de roubles (4,79 milliards euros).

Si on compare le trou créé dans le système bancaire russe par Ingenico, on peut estimer que c’était le prix d’une nouvelle frappe de missiles sur les villes et les infrastructures énergétiques ukrainiennes que nous pouvons estimer entre 320 et 450 millions euros.

Bien sûr, une telle comparaison n’est pas correcte, étant donné que la guerre russe est financée par de nombreux flux d’argent qui entrent chaque année dans le trésor russe. Mais le fait qu’Ingenico ait privé ce trésor de 40 milliards de roubles (451 millions d’euros) supplémentaires est une évidence qui fait plaisir.

À l’heure actuelle, selon une étude de l’Institut des cadres supérieurs de l’université de Yale, au moins 27 grandes entreprises françaises continuent d’opérer en Russie. Voici la liste détaillée :
Auchan Retail – opère en Russie.
Babolat – opère et vend en Russie.
Bonduelle – opère en Russie.
Camille Albane – les salons franchisés continuent d’opérer en Russie.
Clarins – vend en ligne en Russie.
Coface – exerce ses activités en Russie.
Criteo – exerce ses activités en Russie.
Dessange International – possède des salons de coiffure en Russie.
Etam – vend en Russie.
Faurecia – opère et promeut la publicité en Russie.
Foraco – exerce ses activités en Russie.
Groupe Le Duff – exerce ses activités en Russie.
Groupe Savencia – exerce ses activités en Russie.
Heliski Russia – coopère avec des personnes sanctionnées en Russie.
Jean Cacharel – vend des produits et fait de la publicité en Russie.
La Redoute – vend des produits à la Russie.
Lacoste – exerce ses activités en Russie.